Un Antillais, Christian Julien, joue Molière au festival d'Avignon
M. de Pourceaugnac est NoirLa pièce est ancienne, c’est un classique mis en scène par Isabelle Starkier et elle est de Molière. Un provincial, M. de Pourceaugnac (Christian Julien) débarque à Paris pour y épouser Julie (Eva Castro) qui lui est promise. L’amant de celle-ci, Eraste (Stéphane Miquel), aidé d’un valet voyou, Sbrigani (Jean-Marie Lecoq) va monter stratagèmes sur stratagèmes pour briser la noce et dégoûter le promis et qu’il retourne d’où il était venu, Limoges. Ici pas de happy end, le héros devient la victime d’un rival sans scrupule. Mais on rit ! On rit du pauvre type, du plouc, du boloko… Mais sa crédulité est touchante.
Il passe devant des psychiatres, des fausses épouses et leurs enfants qui le réclament comme père, des gardes suisses égrillards qui le prennent pour une femme et en veulent à son intimié, des faux juges.
Un drôle de Limôsin !
La machine comique s’emballe dans une théâtralité débridée, colorée, acidulée, un peu histrionique parfois, où tout n’est que faux-semblants aux dépens d’une victime ahurie et impuissante. C’est la farce terrible sur l’autre, celui dont on se moque parce qu’il vient d’ailleurs. « Du ridicule naît le rire de la différence — inacceptable ». Isabelle Starkier a choisi de mettre en avant cette différence en faisant du Limousin de Pourceaugnac, un Antillais. Le texte est respecté, mais le casting donne une force nouvelle à ce classique où les Parisiens jettent un regard impitoyable sur l’exotisme du Limôsin (seule infidélité au texte !) M. de Pourceaugnac, désormais nègre. Les masques d’Anne Bothuan, comiques et terrifiants, viennent renforcer cette cruauté du regard porté… Au XVIIe siècle, Limoges est aussi loin que pourraient l’être les Antilles ! C’est aussi une belle occasion de montrer que rien n’interdit d’ouvrir le répertoire à la diversité. Cette pièce était au grand marché du théâtre qu’est le festival off d’Avignon et la troupe du Star théâtre rêve de venir la montrer aux Antilles, en Guyane ou à la Réunion. Avis aux programmateurs audacieux !Déguisé en femme, M. de Pourceaugnac est agressé par des soudards avinés, des gardes suisses ! (rdg)
A l’espace Alya, 31, rue Guillaume Puy, Avignon, jusqu’au 2 août 2008
Contact : Marianne Allemand 06 63 11 94 36
star.theatre@wanadoo.fr
Une Espagnole et une Hollandaise assurent qu'elles ont déjà épousé M. de Pourceaugnac ! Le voilà accusé de polygamie... (rdg)
Christian Julien, acteur
Le comédien Martiniquais, Christian Julien, est natif du Lorrain. A Paris depuis 1988, il a fait tout le parcours obligé de l’apprenti comédien. Il a démarré au SERMAC à Fort-de-France, puis à Paris où il suit la préparation Acteur 2000, au théâtre Essaïon (avec José Valverde ou Edmond Tamiz). Il poursuit ses classes chez Grotowski et décroche, en 1992, à Paris VIII une maîtrise de théâtre. On l’a vu dans La noce chez les petits bourgeois créoles de Philippe Adrien, dans la Bonne âme du Se-tchouan d’Irmina Brook, Othello de Callies. Tabataba de Moïse Touré ou Le balcon de Greg Germain. Il a joué dans des publicités (Préfont retraite, Chevrolet…) et dans des séries télévisées (Les sopranos, Cordier juge et flic, Les bleus, Commissaire Moulin, Plus belle la vie). Au cinéma, on l’a vu dans Lumumba de Raoul Peck. C’est encore lui qui a prêté sa voix pour le CD d’accompagnement de l’ouvrage pour la jeunesse d’Alain Foix, L’esclavage raconté à Marianne (Gallimard-jeunesse).
Interview Isabelle Starkier, metteur en scène, directrice du Star théâtre
« Comment démanteler un être que l’on ne veut pas connaître »
Comment avez-vous eu l’idée de donner ce rôle à un Antillais ?
C’est drôlement important parce que Othello, ça va cinq minutes ! Je pense qu’il y a plein de pièces que les Noirs et les Arabes peuvent jouer. Ces textes sont assez grands, assez forts pour être portés par tous les frères humains.
Le théme du plouc abordé dans M. de Pourceaugnac rejoindrait celui du rejet, de l’ostracisme que l’on peut ressentir aujourd’hui quand on est Noir en France ?
Totalement ! En plus ce qui est intéressant, c’est qu’il est riche. Il est beaucoup plus intelligents que les autres personnages, beaucoup plus cultivé mais, parce qu’il n’est pas de chez nous, on en fait un bouseux, un sous-homme… Tout ce que l’on peut imaginer de l’autre.
Comment avez-vous eu cette idée ? C’est Christian Julien qui vous l’a suggérée ?
Non, pas du tout. C’est en lisant le texte… Je travaille beaucoup sur le thème de la vérité, de l’autre. Qu’est-ce qui fait la différence ? Pourquoi on met en scène l’autre dans ses différences ?... Et quand j’ai lu ce texte, je me suis dit : c’est incroyable ! Une comédie drôle, cruelle qui explique comment démanteler un être que l’on ne veut pas connaître et comment on l’annihile, on l’anéantit. Pourceaugnac perd son identité sexuelle (il se déguise en femme), il perd son identité psychique (on le diagnostique fou), il perd son identité de filiation (il a tout un tas d’enfants qui arrivent en disant papa), il perd son identité financière puisqu’on le dépouille, il ne lui reste rien, mais rien !
Que son caleçon et des menottes…
Et le bruit de l’avion qui le ramène chez lui ! (Rires...)
Comment le public réagit-il ?
Les gens nous renvoient à la fois le plaisir qu’ils ont de la comédie et celui d’y trouver du sens. Aujourd’hui, je pense que le théâtre est de plus en pus désinvesti de sens. On est dans un monde où tout le monde dit : il faut rire, il faut rire… Et c’est ce que dit Molière à la fin de la pièce : « La grande affaire, c’est le plaisir, ne pensons qu’à nous réjouir ! » Là, oui on se réjouit, mais au prix de quoi ? Aujourd’hui, on se réjouit de la mort des gens… On fait du spectacle avec les génocides, c’est horrible ce qui se passe à la télévision. Là, ce qui fait plaisir, c’est de voir le spectateur qui sort en se disant que ça lui a amené des choses, qu’il faut le dire, qu’il faut dénoncer et ça, je pense que c’est formidable.
Comment avez-vous choisi Christian Julien ?
Au départ, je voulais un comédien africain et lors d’un casting, j’ai vu Christian Julien que j’avais vu dans La noce des petits bourgeois et qui était formidable. Je me suis dit qu’en prenant un comédien antillais plutôt qu’un africain, c’est à dire un homme dans la même problématique du département français de Limoges, ça me paraissait encore plus pertinent. C’est vrai qu’après on a fait entrer un peu de Césaire et de la biguine…
Pourquoi Césaire et pourquoi à ce moment-là dans la pièce ?
J’avais envie qu’on entende un peu la parole de l’autre. Justement parce qu’on fait de lui un sous-homme, je voulais que l’on voit à quel point la victime était non seulement plus intelligente, plus cultivée qu’eux, mais avait une culture qui valait très largement la culture métropolitaine. Cette revendication à travers les mots de Césaire de sa négritude, je voulais qu’on l’entende un moment parce que je trouvais que l’émotion, elle était aussi importante à donner de l’autre côté. Pour que de M. de Pourceaugnac, l’on ne voit pas que l’être humilié. Je voulais aussi que l’on entende sa parole de dignité et de révolte. Alors, je précise que l’on n’a pas fait cela parce que Césaire est mort. On a appris sa mort, hélas, au moment où l’on finissait de répéter. Le choix s’est fait avec Christian qui est un livre vivant et une culture très forte et c’est lui qui m’a apporté ces textes.
Interview Christian Julien, interprète du rôle titre dans Monsieur de Pourceaugnac de Molière
« Il y a du grain à moudre pour le comédien »
Ca fait quoi d’interpréter un tel rôle ?
C’est le répertoire ! Je suis content d’être dans le répertoire. C’est important de le défendre, de le mettre au goût du jour et de voir dénoncer, traiter les problèmes qui pourrissent quand même notre société.
En vous choisissant, vous acteur antillais, Isabelle Starkier accuse le trait…
Ca colle… Sans changer le texte, c’est ce qui est drôle ! Oui, je me sens un peu Pourceaugnac… (rires)
Sans changer le texte, mais on entend du Césaire…
Oui, il y a des ajouts comme ça, qui sont là pour appuyer, pour mettre un peu de couleur… locale.
Et les chansons créoles ?
C’est du classique, du bon vieux folklore…Des vieilles biguines traditionnelles, Asi parè mwen bel encò et Matinik… Heu, pardon, Limousin tro bel mé zanmi.
Que ressentez-vous à jouer le sale rôle ?
Il y a des camarades qui parlaient de victime, victimisation… C’est pourtant le meilleur rôle à jouer ! C’est la qu’il y a du grain à moudre pour le comédien. Il y a des passages qui ne sont pas forcément heureux ou agréables, mais c’est un vrai plaisir.
Vous faîtes la preuve que le bon vieux répertoire français est accessible aux Noirs…
Bien sûr ! Il faut ouvrir le répertoire aux Noirs. Là, j’espère le prouver et donner envie aux autres de le faire.
Il passe devant des psychiatres, des fausses épouses et leurs enfants qui le réclament comme père, des gardes suisses égrillards qui le prennent pour une femme et en veulent à son intimié, des faux juges.
Un drôle de Limôsin !
La machine comique s’emballe dans une théâtralité débridée, colorée, acidulée, un peu histrionique parfois, où tout n’est que faux-semblants aux dépens d’une victime ahurie et impuissante. C’est la farce terrible sur l’autre, celui dont on se moque parce qu’il vient d’ailleurs. « Du ridicule naît le rire de la différence — inacceptable ». Isabelle Starkier a choisi de mettre en avant cette différence en faisant du Limousin de Pourceaugnac, un Antillais. Le texte est respecté, mais le casting donne une force nouvelle à ce classique où les Parisiens jettent un regard impitoyable sur l’exotisme du Limôsin (seule infidélité au texte !) M. de Pourceaugnac, désormais nègre. Les masques d’Anne Bothuan, comiques et terrifiants, viennent renforcer cette cruauté du regard porté… Au XVIIe siècle, Limoges est aussi loin que pourraient l’être les Antilles ! C’est aussi une belle occasion de montrer que rien n’interdit d’ouvrir le répertoire à la diversité. Cette pièce était au grand marché du théâtre qu’est le festival off d’Avignon et la troupe du Star théâtre rêve de venir la montrer aux Antilles, en Guyane ou à la Réunion. Avis aux programmateurs audacieux !Déguisé en femme, M. de Pourceaugnac est agressé par des soudards avinés, des gardes suisses ! (rdg)
A l’espace Alya, 31, rue Guillaume Puy, Avignon, jusqu’au 2 août 2008
Contact : Marianne Allemand 06 63 11 94 36
star.theatre@wanadoo.fr
Une Espagnole et une Hollandaise assurent qu'elles ont déjà épousé M. de Pourceaugnac ! Le voilà accusé de polygamie... (rdg)
Christian Julien, acteur
Le comédien Martiniquais, Christian Julien, est natif du Lorrain. A Paris depuis 1988, il a fait tout le parcours obligé de l’apprenti comédien. Il a démarré au SERMAC à Fort-de-France, puis à Paris où il suit la préparation Acteur 2000, au théâtre Essaïon (avec José Valverde ou Edmond Tamiz). Il poursuit ses classes chez Grotowski et décroche, en 1992, à Paris VIII une maîtrise de théâtre. On l’a vu dans La noce chez les petits bourgeois créoles de Philippe Adrien, dans la Bonne âme du Se-tchouan d’Irmina Brook, Othello de Callies. Tabataba de Moïse Touré ou Le balcon de Greg Germain. Il a joué dans des publicités (Préfont retraite, Chevrolet…) et dans des séries télévisées (Les sopranos, Cordier juge et flic, Les bleus, Commissaire Moulin, Plus belle la vie). Au cinéma, on l’a vu dans Lumumba de Raoul Peck. C’est encore lui qui a prêté sa voix pour le CD d’accompagnement de l’ouvrage pour la jeunesse d’Alain Foix, L’esclavage raconté à Marianne (Gallimard-jeunesse).
Interview Isabelle Starkier, metteur en scène, directrice du Star théâtre
« Comment démanteler un être que l’on ne veut pas connaître »
Comment avez-vous eu l’idée de donner ce rôle à un Antillais ?
C’est drôlement important parce que Othello, ça va cinq minutes ! Je pense qu’il y a plein de pièces que les Noirs et les Arabes peuvent jouer. Ces textes sont assez grands, assez forts pour être portés par tous les frères humains.
Le théme du plouc abordé dans M. de Pourceaugnac rejoindrait celui du rejet, de l’ostracisme que l’on peut ressentir aujourd’hui quand on est Noir en France ?
Totalement ! En plus ce qui est intéressant, c’est qu’il est riche. Il est beaucoup plus intelligents que les autres personnages, beaucoup plus cultivé mais, parce qu’il n’est pas de chez nous, on en fait un bouseux, un sous-homme… Tout ce que l’on peut imaginer de l’autre.
Comment avez-vous eu cette idée ? C’est Christian Julien qui vous l’a suggérée ?
Non, pas du tout. C’est en lisant le texte… Je travaille beaucoup sur le thème de la vérité, de l’autre. Qu’est-ce qui fait la différence ? Pourquoi on met en scène l’autre dans ses différences ?... Et quand j’ai lu ce texte, je me suis dit : c’est incroyable ! Une comédie drôle, cruelle qui explique comment démanteler un être que l’on ne veut pas connaître et comment on l’annihile, on l’anéantit. Pourceaugnac perd son identité sexuelle (il se déguise en femme), il perd son identité psychique (on le diagnostique fou), il perd son identité de filiation (il a tout un tas d’enfants qui arrivent en disant papa), il perd son identité financière puisqu’on le dépouille, il ne lui reste rien, mais rien !
Que son caleçon et des menottes…
Et le bruit de l’avion qui le ramène chez lui ! (Rires...)
Comment le public réagit-il ?
Les gens nous renvoient à la fois le plaisir qu’ils ont de la comédie et celui d’y trouver du sens. Aujourd’hui, je pense que le théâtre est de plus en pus désinvesti de sens. On est dans un monde où tout le monde dit : il faut rire, il faut rire… Et c’est ce que dit Molière à la fin de la pièce : « La grande affaire, c’est le plaisir, ne pensons qu’à nous réjouir ! » Là, oui on se réjouit, mais au prix de quoi ? Aujourd’hui, on se réjouit de la mort des gens… On fait du spectacle avec les génocides, c’est horrible ce qui se passe à la télévision. Là, ce qui fait plaisir, c’est de voir le spectateur qui sort en se disant que ça lui a amené des choses, qu’il faut le dire, qu’il faut dénoncer et ça, je pense que c’est formidable.
Comment avez-vous choisi Christian Julien ?
Au départ, je voulais un comédien africain et lors d’un casting, j’ai vu Christian Julien que j’avais vu dans La noce des petits bourgeois et qui était formidable. Je me suis dit qu’en prenant un comédien antillais plutôt qu’un africain, c’est à dire un homme dans la même problématique du département français de Limoges, ça me paraissait encore plus pertinent. C’est vrai qu’après on a fait entrer un peu de Césaire et de la biguine…
Pourquoi Césaire et pourquoi à ce moment-là dans la pièce ?
J’avais envie qu’on entende un peu la parole de l’autre. Justement parce qu’on fait de lui un sous-homme, je voulais que l’on voit à quel point la victime était non seulement plus intelligente, plus cultivée qu’eux, mais avait une culture qui valait très largement la culture métropolitaine. Cette revendication à travers les mots de Césaire de sa négritude, je voulais qu’on l’entende un moment parce que je trouvais que l’émotion, elle était aussi importante à donner de l’autre côté. Pour que de M. de Pourceaugnac, l’on ne voit pas que l’être humilié. Je voulais aussi que l’on entende sa parole de dignité et de révolte. Alors, je précise que l’on n’a pas fait cela parce que Césaire est mort. On a appris sa mort, hélas, au moment où l’on finissait de répéter. Le choix s’est fait avec Christian qui est un livre vivant et une culture très forte et c’est lui qui m’a apporté ces textes.
Interview Christian Julien, interprète du rôle titre dans Monsieur de Pourceaugnac de Molière
« Il y a du grain à moudre pour le comédien »
Ca fait quoi d’interpréter un tel rôle ?
C’est le répertoire ! Je suis content d’être dans le répertoire. C’est important de le défendre, de le mettre au goût du jour et de voir dénoncer, traiter les problèmes qui pourrissent quand même notre société.
En vous choisissant, vous acteur antillais, Isabelle Starkier accuse le trait…
Ca colle… Sans changer le texte, c’est ce qui est drôle ! Oui, je me sens un peu Pourceaugnac… (rires)
Sans changer le texte, mais on entend du Césaire…
Oui, il y a des ajouts comme ça, qui sont là pour appuyer, pour mettre un peu de couleur… locale.
Et les chansons créoles ?
C’est du classique, du bon vieux folklore…Des vieilles biguines traditionnelles, Asi parè mwen bel encò et Matinik… Heu, pardon, Limousin tro bel mé zanmi.
Que ressentez-vous à jouer le sale rôle ?
Il y a des camarades qui parlaient de victime, victimisation… C’est pourtant le meilleur rôle à jouer ! C’est la qu’il y a du grain à moudre pour le comédien. Il y a des passages qui ne sont pas forcément heureux ou agréables, mais c’est un vrai plaisir.
Vous faîtes la preuve que le bon vieux répertoire français est accessible aux Noirs…
Bien sûr ! Il faut ouvrir le répertoire aux Noirs. Là, j’espère le prouver et donner envie aux autres de le faire.