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Publié par fxg

Interview Etienne Apaire, président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie, en Martinique, les 27 et 28 octobre, en Guadeloupe, le 29 octobre, à Saint-Martin, le 30 octobre.
« On ne peut vivre constamment entre deux joints et/ou entre deux vins ! »
Quelle est la particularité des Antilles en matière de consommation de drogues ?
La Martinique et la Guadeloupe se caractérisent par une inquiétante consommation de crack ou free base, dérivé de la cocaïne. On estime qu’il y a environ 2000 consommateurs de ce produit par département dont une forte proportion sont des poly consommateurs, c’est-à-dire qu’ils consomment d’autres drogues illicites et/ou de l’alcool. Le cannabis est aussi très répandu contrairement aux autres drogues illicites (champignons hallucinogènes, poppers, cocaïne, héroïne) dont les niveaux de consommation sont relativement bas et inférieurs à ceux de la métropole. L’autre particularité des Antilles est sa situation démographique : comparativement à la métropole, elles présentent une proportion de jeunes nettement plus importante ce qui suppose une communication adaptée dans les messages de prévention que nous souhaitons diffuser. En outre, les pratiques linguistiques et les spécificités culturelles de ces départements exigent une déclinaison particulière des campagnes nationales pour une meilleure identification et appropriation des messages par la population. Je voudrais au passage saluer le dynamisme local en matière de lutte contre les addictions, notamment à travers la figure pionnière du Pr Aimé Charles-Nicolas, psychiatre spécialisé dans la prise en charge des toxicomanes.
Lors de votre déplacement dans les Antilles cette semaine, vous venez notamment présenter le nouveau plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies 2008-2011. Quelle en sera la déclinaison au niveau local ?
Le plan met un accent particulier sur la prévention des entrées en consommation, des usages des produits illicites et des abus d’alcool, en ciblant les jeunes et en mobilisant les adultes qui les entourent. Il élargit le registre de la prévention aux mesures pouvant avoir un effet dissuasif sur les consommations : mise en place des stages de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants et réduction de l’offre d’alcool aux mineurs pour lutter contre le « binge drinking ». Par ailleurs, le plan diversifie le dispositif de prise en charge sanitaire et sociale des addictions en ciblant les populations exposées et vulnérables. Cela passe par le développement de nouvelles communautés thérapeutiques, l’augmentation du nombre de jeunes accueillis dans les consultations jeunes consommateurs par une meilleure couverture géographique et une polyvalence des consultations (alcool et cocaïne notamment), mais aussi en poursuivant la politique de réduction des risques chez les usagers de drogues illicites avec un renforcement des actions de lutte contre l’hépatite C. Mais la prévention et la prise en charge sanitaire et sociale ne peuvent pas suffire à elles seules. Elles doivent être accompagnées de mesures concrètes et efficaces pour limiter l’offre de drogues illicites, en direction des jeunes. Pour cette raison, il faut développer des plans départementaux de lutte contre le trafic local. Un effort particulier doit ainsi concerner les abords des établissements scolaires. Parallèlement à cela, la ministre de l’Intérieur a souhaité que les groupes d’intervention régionale (GIR)* intensifient leur action sur la lutte contre les trafics de drogues et l’économie souterraine et a annoncé la création de deux GIR supplémentaires en Martinique et en Guadeloupe. Ce dernier a été créé cette année, celui de Martinique est en cours de création. Le phénomène du ‘’binge drinking’’ou alcoolisation massive express, se développe localement.
Quelle type de communication comptez-vous mettre en œuvre pour protéger les jeunes ?
Les consommations de boissons alcoolisées des jeunes guadeloupéens, martiniquais ou saint-martinois sont dans l’ensemble plus basses que celles de la moyenne nationale mais la tendance est à l’augmentation. 90% des jeunes (filles et garçons) âgés de 14 ans ont déjà consommé de l’alcool et 30% ont déjà connu une ivresse à 15 ans. L'ivresse régulière est quant à elle un phénomène encore rare même s'il augmente : les observations de terrain (infirmières scolaires notamment) font remonter la plus grande fréquence d'évènements où les élèves reviennent manifestement ivres en cours après la pause déjeuner. D’autres comportements sont tout aussi préoccupants : d’après ce que nous disent les alcoologues, il est n’est pas rare de voir des jeunes faire des mélanges dangereux, que ce soit de la bière avec de l’essence sans plomb ou encore, un mélange de 6 alcools forts différents appelé « cercueil ». Il est donc important que les pouvoirs publics élaborent une stratégie d’intervention en direction des jeunes, en lien avec l’ensemble des secteurs concernés (institutionnels, professionnels, associatifs, industriels, société civile). Comme je l’ai déjà évoqué, cela passera notamment par une réduction de l’offre d’alcool en direction des plus jeunes en interdisant la vente aux mineurs de moins de 18 ans, en interdisant la pratique de l’open-bar et la consommation d’alcool aux alentours des établissement scolaires. Il s’agit parallèlement de « déromantiser » l’image des drogues en général par des campagnes de communication adaptées. C’est ce que nous ferons l’année prochaine dans le cadre de campagnes nationales qui trouveront leur échos dans les DOM. Enfin, il faut encourager les initiatives locales qui visent à mieux informer la population et les publics vulnérables (jeunes, femmes enceintes) sur cette problématique.
La communication suffit-elle ?
La communication est un levier destiné à accroitre la conscience des enjeux. Mais il faut qu’elle soit relayée concrètement par des acteurs de terrain dans le champ de l’éducation à la santé, de la loi, en impliquant particulièrement les adultes. Il faut en effet mobiliser les parents, les éducateurs pour qu’ils disent clairement ce qu’est la règle. On ne peut vivre constamment entre « deux joints et/ou entre deux vins » !
Votre déplacement prévoit aussi des rencontres avec les acteurs de la lutte contre le trafic de drogues. Quel état des lieux peut-on faire en Guadeloupe, à Saint Martin et en Martinique ?
La plus grande partie de la drogue qui transite par les Antilles part en destination de l’Europe, cependant on sait qu’une partie non négligeable est consommée localement. Le nombre d’infractions à la législation sur les stupéfiants est en très nette augmentation venant ainsi confirmer ce constat (plus de 20% en Guadeloupe, et plus de 42% en Martinique). Cette préoccupation s’est traduite par la mise en place de diverses structures engagées dans la lutte contre le trafic de stupéfiants : en 2004, une antenne de l’Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants (OCRTIS) a vu le jour à Fort de France. Depuis sa création, cette unité a saisi 11,4 tonnes de cocaïne et contribué au démantèlement d’une trentaine d’organisations criminelles. Porte d’entrée unique pour les pays de l’arc caribéen et les Etats engagés dans la lutte contre le trafic dans la région, cette unité outre ces capacités d’investigation, dispose à la fois d’une compétence reconnue en matière d’échange de renseignements mais également de capacités opérationnelles maritime et aérienne grâce à une étroite collaboration avec la marine nationale et la douane.
Où en est le projet d'ouverture de l'antenne de l'OCRTIS à Saint-Martin ?
Un détachement de l’OCRTIS sur l’île de Saint-Martin devrait également voir le jour d’ici quelques mois. Cette nouvelle unité viendra renforcer ce dispositif en accentuant l’action internationale de la France dans le domaine de lutte contre le blanchiment et le recueil du renseignement dans une zone abritant bon nombres de paradis fiscaux et d’organisations criminelles. S’agissant des routes de la cocaïne, il faut souligner non seulement l’importance du rôle des GIR dont j’ai parlé précédemment mais aussi, celui du Centre Interministériel de Formation Anti-Drogue (CIFAD) basé à Fort-de-France. Le CIFAD dispense des formations techniques de haut niveau à la fois aux fonctionnaires et militaires français engagés dans les missions de lutte contre le narcotrafic mais également aux travers de programmes de coopération technique en exportant dans les Etats voisins un savoir-faire aujourd’hui indispensable pour contrer l’action des réseaux structurés dont les modes opératoires connaissent de perpétuelles évolutions. Beaucoup de pays comptent sur nous, je le vois bien à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne. C’est pourquoi la France répond : « présent » !

*Les GIR ont pour objectif la lutte contre l'économie souterraine, alimentée par le produit d'infractions pénales, douanières et fiscales, et les différentes formes de délinquance organisée qui en découlent. « Il faut mieux lutter contre l’argent de la drogue et l'utiliser pour assurer notre sécurité et soigner les personnes dépendantes », indique le président de la MILDT.
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