Le festival mondial des arts nègres oublie Aimé Césaire
Donner à la Martinique la promesse faite à Césaire
Par Adams Kwateh, journaliste à France-Antilles en Martinique (devant la tombe d'Aimé Césaire sur notre photo), Kouyate.sk2@orange.fr
En dépit du démenti apporté par Alioune Badara Bèye, coordinateur général du Festival mondial des arts nègres (FESMAN), sur les ondes dakaroise de RFM le 21 janvier dernier, le nom de Césaire en tant que parrain ne figure ni dans le document de présentation, ni sur le site du FESMAN, dont la 3e édition est prévue en décembre 2009. Résultat, aucun membre de la famille et de l'entourage de Césaire n'est impliqué dans les préparatifs de l'évènement.
Le FESMAN III se prépare donc sans aucune référence au nom d'Aimé Césaire qui pourtant avait été sollicité pour en être le parrain. Accordons à l’humain la faiblesse d’avoir une mémoire faillible mais comment les responsables du ministère de la Culture sénégalais peuvent-il oublier la date du 25 juin 2007 quand ils ont lancé le FESMAN III devant le dernier des fondateurs du mouvement de la négritude ?
Les images sont encore gravées dans la mémoire de tous ceux qui, le 25 juin 2007, ont assisté à Fort-de-France, au Parc Floral — devenu depuis le Parc culturel Aimé-Césaire — au lancement de la troisième édition du Festival mondial des arts nègres. Malgré le poids de l'âge et l’humilité qui le caractérisait, Césaire et son grand ami de toujours Pierre Aliker (102 ans) étaient là. Les artistes de Sorano et du Ballet national ont salué le grand homme par des voix chaleureuses, la cora a vibré et la comédienne Marie-Anne Sadio a reçu les félicitations de Césaire. L'émotion avait atteint son comble. Du jamais vu sur le sol martiniquais depuis le 14 février 1976, lorsque Léopold Sédar Senghor était venu saluer Aimé Césaire. C'était la fraternité retrouvée entre deux hommes sur la terre caribéenne. Oui, la date du 25 juin 2007, veille des 94 ans de Césaire, est à marquer d'une pierre blanche. Ce fut le dernier anniversaire de Césaire ; il décédera 10 mois plus tard.
1966, 1977 et 2009
Devant la Martinique tout entière, la promesse avait été faite que Césaire serait le parrain de la troisième édition du FESMAN. Il n'avait pas réclamé cet honneur et il n'en a plus jamais reparlé. C'était un homme discret. Il disait rarement non. Comment ce grand homme aurait-il refusé un honneur qui lui venait du monde noir, singulièrement de l'Afrique ? Comment lui, le dernier grand témoin et précurseur avec Alioune Diop et Senghor du premier festival des arts nègres en 1966, aurait rejeté une demande des Sénégalais ? D'ailleurs, rien ne dit que le festival tel qu'il est conçu actuellement par le comité d'organisation du Sénégal aurait reçu son aval. Pour cause, Césaire n'était pas de ceux qui tenaient le crachoir pour chanter les valeurs nègres. Césaire balayait d'un revers de la main toute invitation à la mondanité. Il était lucide face aux errements et l'absence de perspective des dirigeants du tiers-monde. A ce propos, allez chercher dans les archives du premier festival des arts nègres en 1966. Vous risquez de n'y trouver ses traces que de manière symbolique. L'essentiel de sa présence était ailleurs : son voyage avec Malraux en Casamance et ce fameux débat sur l'art et la politique. Son intervention au cours de ce débat est d'une actualité criante sur la place que les dirigeants accordent à la culture.Pour la deuxième édition, à Lagos, en 1977, Césaire avait tout simplement brillé par son absence. Non parce qu'il redoutait les griffes du tigre Soyinka — il affectionnait beaucoup l’écrivain nigérian — mais parce que, pour lui, les rendez-vous manqués avec nous-mêmes ont été si nombreux qu'un festival des arts nègres serait la caution d'une incurie collective. Laissons Césaire se reposer après 60 ans de combat pour que l’Afrique et la Caraïbe entrent sur la scène du monde.
Panafricanisme moderne
La question qui se pose aujourd'hui est de savoir si le président Abdoulaye Wade cautionne la démarche d'un groupe de personnes qui, au nom des valeurs nègres, font du FESMAN la plus grande mondanité nègre. Le chef de l'Etat sénégalais aurait-il un excès de confiance en son ministre de la Culture qui, venu à l'enterrement de Césaire, s'étonnait de la présence de Sénégalais en Martinique ? Son directeur de cabinet de l’époque a sans doute eu une amnésie pour ne pas lui dire que Césaire avait accueilli toute l’Afrique chez lui. Tout laisse à penser qu'il y a une absence d'ambition utile pour servir une cause commune basée sur un panafricanisme modernisé. M. Wade a toute la légitimité de relancer le FESMAN sur cette base. D'abord, il est l'un des rares intervenants vivants de la première rencontre des écrivains et artistes noirs en 1956 à Paris (le jeune juriste qu’il était avait traité de notre relation au droit). Je ne doute pas non plus du panafricanisme de Wade, encore moins de sa sensibilité à donner place à la diaspora. La preuve : le FESMAN III est dédié aux frères et soeurs des Amériques. Car aujourd'hui, la diaspora concentre en son sein des forces capables de dialoguer d'égal à égal avec l'Afrique-Mère. Finie l'Afrique mythique ou celle des "ancêtres bambaras". En somme, la diaspora a atteint son autonomie à la fois au plan spirituel, religieux et culturel. Les exemples de la santeria, du vaudou et du condomblé sont là pour montrer que les Dieux d'Afrique ne sont pas une simple survivance africaine mais sont dans les comportements, les pensées. Sur le terrain de la musique et des arts en général, la diaspora africaine dans les Amériques continue à tracer des sillons. Ces anonymes très nombreux qui habitent la zone qui va de Salvador de Bahia au Brésil à Salvador de Cuba attendent les retrouvailles avec l'Afrique. Le nom de l’Afrique a une résonnance particulière, car elle est synonyme d’humanité.
Alors, il faut donner à la Martinique la promesse faite à Césaire. D'abord le Sénégal doit oser le pari d'associer les animateurs culturels haïtiens, martiniquais, guadeloupéens, guyanais, réunionnais à la conception même de ce festival. Ainsi, ces porteurs d'utopie tisseront le lien rompu avec la diaspora. Le coordinateur général du FESMAN III et son ministère doivent comprendre que ce ne sont pas les personnalités et les grands noms qui feront de la manifestation de Dakar « un rendez-vous du donner et du recevoir ». Mais ceux qui gèrent la culture à Dakar ont-ils une petite dose d'ouverture d'esprit pour éviter que le FESMAN III ne soit le rendez-vous manqué de l'Afrique avec la diaspora ?
Par Adams Kwateh, journaliste à France-Antilles en Martinique (devant la tombe d'Aimé Césaire sur notre photo), Kouyate.sk2@orange.fr

Le FESMAN III se prépare donc sans aucune référence au nom d'Aimé Césaire qui pourtant avait été sollicité pour en être le parrain. Accordons à l’humain la faiblesse d’avoir une mémoire faillible mais comment les responsables du ministère de la Culture sénégalais peuvent-il oublier la date du 25 juin 2007 quand ils ont lancé le FESMAN III devant le dernier des fondateurs du mouvement de la négritude ?
Les images sont encore gravées dans la mémoire de tous ceux qui, le 25 juin 2007, ont assisté à Fort-de-France, au Parc Floral — devenu depuis le Parc culturel Aimé-Césaire — au lancement de la troisième édition du Festival mondial des arts nègres. Malgré le poids de l'âge et l’humilité qui le caractérisait, Césaire et son grand ami de toujours Pierre Aliker (102 ans) étaient là. Les artistes de Sorano et du Ballet national ont salué le grand homme par des voix chaleureuses, la cora a vibré et la comédienne Marie-Anne Sadio a reçu les félicitations de Césaire. L'émotion avait atteint son comble. Du jamais vu sur le sol martiniquais depuis le 14 février 1976, lorsque Léopold Sédar Senghor était venu saluer Aimé Césaire. C'était la fraternité retrouvée entre deux hommes sur la terre caribéenne. Oui, la date du 25 juin 2007, veille des 94 ans de Césaire, est à marquer d'une pierre blanche. Ce fut le dernier anniversaire de Césaire ; il décédera 10 mois plus tard.
1966, 1977 et 2009
Devant la Martinique tout entière, la promesse avait été faite que Césaire serait le parrain de la troisième édition du FESMAN. Il n'avait pas réclamé cet honneur et il n'en a plus jamais reparlé. C'était un homme discret. Il disait rarement non. Comment ce grand homme aurait-il refusé un honneur qui lui venait du monde noir, singulièrement de l'Afrique ? Comment lui, le dernier grand témoin et précurseur avec Alioune Diop et Senghor du premier festival des arts nègres en 1966, aurait rejeté une demande des Sénégalais ? D'ailleurs, rien ne dit que le festival tel qu'il est conçu actuellement par le comité d'organisation du Sénégal aurait reçu son aval. Pour cause, Césaire n'était pas de ceux qui tenaient le crachoir pour chanter les valeurs nègres. Césaire balayait d'un revers de la main toute invitation à la mondanité. Il était lucide face aux errements et l'absence de perspective des dirigeants du tiers-monde. A ce propos, allez chercher dans les archives du premier festival des arts nègres en 1966. Vous risquez de n'y trouver ses traces que de manière symbolique. L'essentiel de sa présence était ailleurs : son voyage avec Malraux en Casamance et ce fameux débat sur l'art et la politique. Son intervention au cours de ce débat est d'une actualité criante sur la place que les dirigeants accordent à la culture.Pour la deuxième édition, à Lagos, en 1977, Césaire avait tout simplement brillé par son absence. Non parce qu'il redoutait les griffes du tigre Soyinka — il affectionnait beaucoup l’écrivain nigérian — mais parce que, pour lui, les rendez-vous manqués avec nous-mêmes ont été si nombreux qu'un festival des arts nègres serait la caution d'une incurie collective. Laissons Césaire se reposer après 60 ans de combat pour que l’Afrique et la Caraïbe entrent sur la scène du monde.
Panafricanisme moderne
La question qui se pose aujourd'hui est de savoir si le président Abdoulaye Wade cautionne la démarche d'un groupe de personnes qui, au nom des valeurs nègres, font du FESMAN la plus grande mondanité nègre. Le chef de l'Etat sénégalais aurait-il un excès de confiance en son ministre de la Culture qui, venu à l'enterrement de Césaire, s'étonnait de la présence de Sénégalais en Martinique ? Son directeur de cabinet de l’époque a sans doute eu une amnésie pour ne pas lui dire que Césaire avait accueilli toute l’Afrique chez lui. Tout laisse à penser qu'il y a une absence d'ambition utile pour servir une cause commune basée sur un panafricanisme modernisé. M. Wade a toute la légitimité de relancer le FESMAN sur cette base. D'abord, il est l'un des rares intervenants vivants de la première rencontre des écrivains et artistes noirs en 1956 à Paris (le jeune juriste qu’il était avait traité de notre relation au droit). Je ne doute pas non plus du panafricanisme de Wade, encore moins de sa sensibilité à donner place à la diaspora. La preuve : le FESMAN III est dédié aux frères et soeurs des Amériques. Car aujourd'hui, la diaspora concentre en son sein des forces capables de dialoguer d'égal à égal avec l'Afrique-Mère. Finie l'Afrique mythique ou celle des "ancêtres bambaras". En somme, la diaspora a atteint son autonomie à la fois au plan spirituel, religieux et culturel. Les exemples de la santeria, du vaudou et du condomblé sont là pour montrer que les Dieux d'Afrique ne sont pas une simple survivance africaine mais sont dans les comportements, les pensées. Sur le terrain de la musique et des arts en général, la diaspora africaine dans les Amériques continue à tracer des sillons. Ces anonymes très nombreux qui habitent la zone qui va de Salvador de Bahia au Brésil à Salvador de Cuba attendent les retrouvailles avec l'Afrique. Le nom de l’Afrique a une résonnance particulière, car elle est synonyme d’humanité.
Alors, il faut donner à la Martinique la promesse faite à Césaire. D'abord le Sénégal doit oser le pari d'associer les animateurs culturels haïtiens, martiniquais, guadeloupéens, guyanais, réunionnais à la conception même de ce festival. Ainsi, ces porteurs d'utopie tisseront le lien rompu avec la diaspora. Le coordinateur général du FESMAN III et son ministère doivent comprendre que ce ne sont pas les personnalités et les grands noms qui feront de la manifestation de Dakar « un rendez-vous du donner et du recevoir ». Mais ceux qui gèrent la culture à Dakar ont-ils une petite dose d'ouverture d'esprit pour éviter que le FESMAN III ne soit le rendez-vous manqué de l'Afrique avec la diaspora ?