Les békés dans la crise
La place des békés en débat
Un débat était organisé à la délégation des Français d’outre-mer, mercredi 18 mars dernierQuelle est la place des békés dans la société antillaise ? Pour répondre à cette question posée par le délégué Patrick Karam. Philippe Lavil, José Maraud des Grottes, Roger de Jaham, Willy Angèle et Jean-Louis de Lucy, rejoints plus tard par Hervé Damoiseau. En guise de prologue, Patrick Karam s’en est pris à la politique des boucs émissaires, qu’ils soient Dominiquais, Haïtiens ou aujourd’hui békés. « On a voulu poser une question béké, il n’y a pas de question béké, il y a des Martiniquais et des Guadeloupéens. » Patrick Karam a incriminé l’échec de la République qui a « failli à sa promesse faite en 1946. Ce n’est pas une question béké, mais une question qui interroge l’Etat… » Willy Angèle, patron du Medef Guadeloupe a estimé que cette question était un faux problème : « Je refuse de faire de la question du préjugé de race une question, ce qui m’intéresse c’est le développement économique et social… » Sur la puissance béké, Angèle tempère avec l’arbre qui cache la forêt : « Il y a un grand groupe, GBH qui embauche 1200 salariés sur les 80 000 salariés privés de la Guadeloupe. 79 000 sont embauchés dans une des 10 000 entreprises qui appartiennent à des gens de toutes les couleurs. United colors of Guadeloupe ! » Sur les propos d’Huygues-Despointes, il rétorque : « Si on veut garder la pureté de la race, on ne m’intéresse pas… », mais il demande : « Alors, ressentiment ou on se demande qu’est-ce qu’on fait ensemble. » Et il propose une nouvelle définition du guadeloupéen ou du Martiniquais en prenant exemple sur les Catalans : « Le Catalan est celui qui vit, investit en Catalogne, parle le catalan et développe le territoire. Ne peut-on s’en inspirer sans avoir recours à un critère de couleur ? » Il avoue descendre d’un colon blanc du XVIIe siècle et d’une esclave de la Désirade et lance avec fierté : « Je ne suis victime de rien, mon passé est une chance ! » Il pense que l’in peut dégager de la richesse immatérielle en développant une stratégie d’arrière-pays comme à Singapour. Il évoque le capitalisme régional comme point fort : « Le capitalisme multinational n’a pas de territoire, pas de culture. »
"Singulier débat sur un groupe ethnique"
Philippe Lavil est venu témoigner à son tour : « Il y a un mois et demi, en pleine grève, des choses ont été dites, mais si on avait cette image-là, je ne sais pas si on aurait pu être copains un jour… Depuis quarante ans, dans les arts, la musique, dans ce milieu-là, je n’ai jamais ressenti de racisme. »
Roger de Jaham trouve « singulier » ce débat sur un groupe ethnique et propose à l’assistance de changer le mot béké par le mot juif. Quelques protestations se font entendre…. Il n’y a pas de statistiques, mais de Jaham évoque le chiffre de 1 500 à 2 000 personnes en Martinique et beaucoup moins en Guadeloupe avant d’aborder la « réussite démesurée » de Bernard Hayot. « Tous les békés ne sont pas Bernard Hayot… » José Maraud des Grottes, expert-comptable enchaîne avec la réalité du pouvoir béké : « Les grands monopoles, SARA, ciment, CGM, Air France sont tous liés à l’Etat. Quant à parler d’économie de comptoir, c’est insultant, 30 % du PIB provient des importations, 70 % des services qui ne dépendent pas des importations ! Nos diplômés sont moins chômeurs que leurs homologues de métropole… » Jean-Louis de Lucy, agriculteur, frère du célèbre Eric, revient sur le rôle de lobbyiste que l’on prête aux békés : « Ce n’est pas un gros mot ! Sans le lobbying, nous n’aurions pas obtenu l’appellation AOC pour nos rhums… » Dans la salle, le public s’impatiente, veut poser des questions, réagir… Serge Romana, président de l’association mémorielle CM98, s’en charge : « Les békés ne sont pas des privilégiés ? Ils n’ont pas reçu un héritage matériel, moral, culturel ? Que les békés écoutent un peu ce que les descendants d’esclaves ont dans leur cœur : un sentiment d’infériorité, un mépris de soi-même. Le racisme séculaire, c’est la société béké, cela doit être dit et assumé pour avoir un rapport profitable. Libérer la parole, c’est ça l’effort de vérité. On ne peut effacer le passé mais les békés doivent avoir la force de dire : oui mes parents étaient racistes, ils n’aimaient pas les nègres… Tant qu’ils ne l’auront pas dit, on ne se comprendra pas. » Dans la salle, les gens observent que ce sont des patrons qui sont en face. Que le réel problème est économique, syndical… Daniel Dalin, président du Collectifdom évoque la mémoire de son père mort lors d’un conflit social… Daniel Robin (PPM) interpelle Roger de Jaham : « Tu n’es pas représentatif mais tu es sincère. La crise n’est pas raciale, mais elle soulève la question de l’égalité aussi bien dans le vivre ensemble que pour le pouvoir d’achat. Ceci nous renvoie aux békés qui, même imaginairement, incarnent le pouvoir économique. Nous sommes cloisonnés, il faut abattre les murs. » Il conclut en demandant des actes aux békés sur leur appartenance à la communauté antillaise et que l’on tienne ces débats, « chez nous »…
Lutte de classes
Il y a des békés pauvres, témoignait Roger de Jaham, certes, mas aucun n’est parti en métropole avec le Bumidom… La question béké ne saurait se résumer à un problème racial. C’est un problème de relation de classes sociales dont l’une est héritière de l’aristocratie d’ancien régime et l’autre de la masse laborieuse descendante des esclaves. La culture d’ancien régime a laissé une empreinte archaïque dans la mentalité patronale et une tradition émeutière dans le peuple. Ce sont ces deux positions ultra qui conduisent à ces impasses fréquentes dans le dialogue social aux Antilles.
Racisme
En posant la question béké, n’aurait-on pu l’élargir, si c’est une question raciale, à la situation des autres blancs, les métropolitains, aux Antilles ? En 1960, dans l’émission Cinq colonnes à la une, Pierre Desgraupes interrogeait un lointain parent de Bernard Hayot : « Etes-vous raciste ? » Le patriarche répondait : « C’est une question intéressante… Je suis sans doute plus raciste qu’un métropolitain qui arrive aux Antilles, mais beaucoup moins qu’un métropolitain qui quitte les Antilles…. » C’était en 1960.
Un débat était organisé à la délégation des Français d’outre-mer, mercredi 18 mars dernierQuelle est la place des békés dans la société antillaise ? Pour répondre à cette question posée par le délégué Patrick Karam. Philippe Lavil, José Maraud des Grottes, Roger de Jaham, Willy Angèle et Jean-Louis de Lucy, rejoints plus tard par Hervé Damoiseau. En guise de prologue, Patrick Karam s’en est pris à la politique des boucs émissaires, qu’ils soient Dominiquais, Haïtiens ou aujourd’hui békés. « On a voulu poser une question béké, il n’y a pas de question béké, il y a des Martiniquais et des Guadeloupéens. » Patrick Karam a incriminé l’échec de la République qui a « failli à sa promesse faite en 1946. Ce n’est pas une question béké, mais une question qui interroge l’Etat… » Willy Angèle, patron du Medef Guadeloupe a estimé que cette question était un faux problème : « Je refuse de faire de la question du préjugé de race une question, ce qui m’intéresse c’est le développement économique et social… » Sur la puissance béké, Angèle tempère avec l’arbre qui cache la forêt : « Il y a un grand groupe, GBH qui embauche 1200 salariés sur les 80 000 salariés privés de la Guadeloupe. 79 000 sont embauchés dans une des 10 000 entreprises qui appartiennent à des gens de toutes les couleurs. United colors of Guadeloupe ! » Sur les propos d’Huygues-Despointes, il rétorque : « Si on veut garder la pureté de la race, on ne m’intéresse pas… », mais il demande : « Alors, ressentiment ou on se demande qu’est-ce qu’on fait ensemble. » Et il propose une nouvelle définition du guadeloupéen ou du Martiniquais en prenant exemple sur les Catalans : « Le Catalan est celui qui vit, investit en Catalogne, parle le catalan et développe le territoire. Ne peut-on s’en inspirer sans avoir recours à un critère de couleur ? » Il avoue descendre d’un colon blanc du XVIIe siècle et d’une esclave de la Désirade et lance avec fierté : « Je ne suis victime de rien, mon passé est une chance ! » Il pense que l’in peut dégager de la richesse immatérielle en développant une stratégie d’arrière-pays comme à Singapour. Il évoque le capitalisme régional comme point fort : « Le capitalisme multinational n’a pas de territoire, pas de culture. »
"Singulier débat sur un groupe ethnique"
Philippe Lavil est venu témoigner à son tour : « Il y a un mois et demi, en pleine grève, des choses ont été dites, mais si on avait cette image-là, je ne sais pas si on aurait pu être copains un jour… Depuis quarante ans, dans les arts, la musique, dans ce milieu-là, je n’ai jamais ressenti de racisme. »
Roger de Jaham trouve « singulier » ce débat sur un groupe ethnique et propose à l’assistance de changer le mot béké par le mot juif. Quelques protestations se font entendre…. Il n’y a pas de statistiques, mais de Jaham évoque le chiffre de 1 500 à 2 000 personnes en Martinique et beaucoup moins en Guadeloupe avant d’aborder la « réussite démesurée » de Bernard Hayot. « Tous les békés ne sont pas Bernard Hayot… » José Maraud des Grottes, expert-comptable enchaîne avec la réalité du pouvoir béké : « Les grands monopoles, SARA, ciment, CGM, Air France sont tous liés à l’Etat. Quant à parler d’économie de comptoir, c’est insultant, 30 % du PIB provient des importations, 70 % des services qui ne dépendent pas des importations ! Nos diplômés sont moins chômeurs que leurs homologues de métropole… » Jean-Louis de Lucy, agriculteur, frère du célèbre Eric, revient sur le rôle de lobbyiste que l’on prête aux békés : « Ce n’est pas un gros mot ! Sans le lobbying, nous n’aurions pas obtenu l’appellation AOC pour nos rhums… » Dans la salle, le public s’impatiente, veut poser des questions, réagir… Serge Romana, président de l’association mémorielle CM98, s’en charge : « Les békés ne sont pas des privilégiés ? Ils n’ont pas reçu un héritage matériel, moral, culturel ? Que les békés écoutent un peu ce que les descendants d’esclaves ont dans leur cœur : un sentiment d’infériorité, un mépris de soi-même. Le racisme séculaire, c’est la société béké, cela doit être dit et assumé pour avoir un rapport profitable. Libérer la parole, c’est ça l’effort de vérité. On ne peut effacer le passé mais les békés doivent avoir la force de dire : oui mes parents étaient racistes, ils n’aimaient pas les nègres… Tant qu’ils ne l’auront pas dit, on ne se comprendra pas. » Dans la salle, les gens observent que ce sont des patrons qui sont en face. Que le réel problème est économique, syndical… Daniel Dalin, président du Collectifdom évoque la mémoire de son père mort lors d’un conflit social… Daniel Robin (PPM) interpelle Roger de Jaham : « Tu n’es pas représentatif mais tu es sincère. La crise n’est pas raciale, mais elle soulève la question de l’égalité aussi bien dans le vivre ensemble que pour le pouvoir d’achat. Ceci nous renvoie aux békés qui, même imaginairement, incarnent le pouvoir économique. Nous sommes cloisonnés, il faut abattre les murs. » Il conclut en demandant des actes aux békés sur leur appartenance à la communauté antillaise et que l’on tienne ces débats, « chez nous »…
Lutte de classes
Il y a des békés pauvres, témoignait Roger de Jaham, certes, mas aucun n’est parti en métropole avec le Bumidom… La question béké ne saurait se résumer à un problème racial. C’est un problème de relation de classes sociales dont l’une est héritière de l’aristocratie d’ancien régime et l’autre de la masse laborieuse descendante des esclaves. La culture d’ancien régime a laissé une empreinte archaïque dans la mentalité patronale et une tradition émeutière dans le peuple. Ce sont ces deux positions ultra qui conduisent à ces impasses fréquentes dans le dialogue social aux Antilles.
Racisme
En posant la question béké, n’aurait-on pu l’élargir, si c’est une question raciale, à la situation des autres blancs, les métropolitains, aux Antilles ? En 1960, dans l’émission Cinq colonnes à la une, Pierre Desgraupes interrogeait un lointain parent de Bernard Hayot : « Etes-vous raciste ? » Le patriarche répondait : « C’est une question intéressante… Je suis sans doute plus raciste qu’un métropolitain qui arrive aux Antilles, mais beaucoup moins qu’un métropolitain qui quitte les Antilles…. » C’était en 1960.