Greg Germain est Colin Powell aux Amandiers de Nanterre
Interview Greg Germain
« Quand on ne peut convaincre, on doit contraindre »
Il est au théâtre des Amandiers à Nanterre jusqu’au 14 juin où il interprète le rôle de Colin Powell dans la pièce Stuff happens de Davide Hare, mise en scène par William Nadylam et Bruno Freyssinet. Il vient d’être nommé au CMHE et au conseil d’administration de l’audiovisuel extérieur de la France et s’apprête à diriger une 13e saison du TOMA au festival d’Avignon. InterviewPhoto de scène : Sébastien Vaillant
Vous êtes Colin Powell au théâtre. N’est-ce pas un personnage ambigu ?
C’est un héros tragique. C’est un soldat qui est devenu par la grâce d’un président chef de la diplomatie américaine. Il s’est retrouvé face à un chrétien fondamentaliste, face à des faucons qui avaient décidé qu’il y avait besoin pour le Moyen-Orient d’une nouvelle donne politique. Et ce que Powell a tenté de faire à tout prix, c’était d’éviter la guerre. Alors héros tragique ? Oui, car il aurait pu démissionner. Je vis en 2 heures et demie le drame qu’a vécu Colin Powell en quatre ans ! Et c’est difficile de raccourci le temps psychologique du personnage. Mais Colin Powell n’était pas sûr… Aujourd’hui nous sommes sûrs que Saddam Hussein n’avait pas d’armes de destruction massive.
Finalement, Colin Powell vous est sympathique ?
Il est sympathique à plusieurs titres. D’abord, pour l’acteur, c’est un rôle immense ! Mon personnage ramasse tout ! Mais aussi, c’est un homme noir ! Au-delà d’être un héros, il est Noir. Et on n’a pas si souvent que ça au théâtre l’habitude d’interpréter des héros noirs ! C’est le quatrième personnage de l’Etat américain, il y a dix ans déjà ! Ce qui signifie bien qu’il précède Barack Obama.
Vos combats pour la représentation de la diversité ont été récompensés puisque vous avez été très récemment nommés à des postes importants comme, par exemple, membre du comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage. Que voulez-vous y faire ?
Dans ce pays-là, ce qui manque d’abord, c’est la mémoire. Et la mémoire guérit beaucoup de maux. Il y a des choses qu’on peut imposer depuis nos « chères têtes blondes » jusqu’à de vraies cérémonies du 10 mai qui font, effectivement, qu’il y a quelque chose qui se passe, comme aux Etats-Unis, comme en Angleterre, comme dans les pays anciens esclavagistes de la façade atlantique.
Vous avez aussi été nommé administrateur de l’audiovisuel extérieur de la France. Ca vous permet de surveiller Christine Ockrent ?
(Rires) Non, je ne dirai pas ça mais ça me permet d’être au cœur d’un réseau. Evidemment, il n’est pas question d’intervenir dans la programmation des chaînes, mais une chaîne est une antenne, une présence à l’antenne, des contenus et ceux qui présentent l’antenne. Il va falloir que l’audiovisuel extérieur de la France soit une vraie image de la France d’aujourd’hui aussi bien dans son contenu que dans l’image de ce contenu. Qui présente, qui fait quoi ? Il va falloir maintenant qu’on commence à parler… C’est ma première demande.
Il y a 20, 30 ou 40 ans, on avait un Martiniquais à la Comédie française, une Martiniquaise qui chantait avec Placido Domingo ou Luciano Pavarotti, un Guyanais n°2 de l’Etat. N’avez-vous pas l’impression qu’on a connu un recul ?
Il y avait même un Guadeloupéen qui jouait un héros emblématique dans une série télévisée, Médecin de nuit, et qui continue à recevoir des lettres alors que cette série a 30 ans ! Oui, il y a eu un recul. Il y a eu une certaine lâcheté de la gauche et de la droite avec la montée du Front national, l’un instrumentalisant les autres… Et le corpus social de notre pays s’en est ressenti. C’est vrai que les événements de Guadeloupe, Elie Domota, etc, ne font que traduire une crise sociale et morale que subit la France. C’est à nous, puisque le pays a grandi, de retailler les vêtements à sa mesure.
Comment avez-vous ressenti ces événements du début de l’année aux Antilles ?
Qu’est-ce que c’est extraordinaire de voir un peuple se lever ! Evidemment tout le monde n’était pas d’accord, mais ça n’est pas le fait de quelques nervis si pendant 44 jours on se met en grève. Donc ça voulait bien dire qu’il y avait un malaise crucial dans la population et que la population a voulu dire par cet appel, un appel au secours, qu’est-ce qu’on fait exactement ? Soixante ans après la départementalisation, on fait quoi ? Aujourd’hui, il y a des Antillais partout ; la France est un grand pays grâce à ses départements d’outre-mer. C’est la question du mieux vivre ensemble, de mieux vivre sa citoyenneté française qu’a posée la population.
Les états généraux étaient-ils une bonne réponse ?
C’est évident qu’il fallait avoir cette vaste interrogation. Maintenant la réponse que constitueront ces états généraux, les propositions que nous ferons et l’accueil qui leur sera réservé… Qu’est-ce que ça va donner, sur quoi ça va déboucher… Pour moi, si on ne peut pas convaincre, on doit contraindre. C'est le rôle de l'Etat. Pourquoi cette absence, ce manque de visibilité ? Pourquoi il n’y a aucun imaginaire ? En musique par exemple, on dit qu’il y a un quota d’œuvres françaises qui doivent être diffusées par les radios. Très bien. Dans ce quota, il faut un quota d’œuvres d’outre-mer et puis c’est tout ! Il n’y a pas à barguigner, c’est comme ça. En littérature, dans les salons du livre, les librairies, les médiathèques, il n’y a pas que Césaire ! Toutes choses égales par ailleurs... Quand voit-on Glissant, Chamoiseau, Condé, Pépin ? Ce sont des gens qui écrivent des livres distribués chez Gallimard. Mes exigences sont républicaines !
Comment voyez-vous les choses dans le spectacle vivant ?
Le ministère de la Culture doit convoquer les directeurs de centres dramatiques nationaux ou régionaux qui reçoivent tant de millions de nos poches et dire que ceci est intolérable. Pour monter des pièces de théâtres, vous devez prendre des gens de la diversité parce que vous recevez de l’argent de l’Etat. C’est aussi simple que ça !
Dans la télévision ?
C’est exactement la même chose. Si France Télévision a 20 millions d’euros par an pour monter des téléfilms ou des films concernant des héros emblématiques, il y a des héros en outre-mer, il en faut un dans les cinq ans ! Un ! C’est du simple mieux vivre ensemble. On n’est pas arrivé à convaincre les automobilistes de faire moins d’accidents, on les a contraints. Et si le président de la République, garant de la cohésion nationale, veut que ça se passe différemment, il peut le faire. La question est posée clairement et les responsabilités clairement définies.
En Avignon, depuis douze ans, vous contribuez justement à montrer d’autres théâtres de France. Que nous concoctez-vous pour la prochaine édition qui démarre le 8 juillet ?
Pour la première fois au théâtre de la Chapelle du verbe incarné, je reçois une actrice, Nouara Naghouche qui présente Sacrifices. Elle nous raconte son vécu de fille d’immigrés à Colmar. Il y a Bintu qui est monté par la fille d’Henri Guédon, Laetitia. De la même façon que j’ai accueilli Antoine Bourseiller qui est mon maître au théâtre, c’est aussi extraordinaire d’accueillir la fille d’un ami. Je reçois encore D de Kabal… La ligne continue de cette programmation est de montrer des imaginaires qui sont différemment français. Ca apporte quelque chose à la France d’aujourd’hui. C’est ça le mieux vivre ensemble, faire entrer une culture intéressante dans l’imaginaire du pays.
Portraits : RDG
« Quand on ne peut convaincre, on doit contraindre »
Il est au théâtre des Amandiers à Nanterre jusqu’au 14 juin où il interprète le rôle de Colin Powell dans la pièce Stuff happens de Davide Hare, mise en scène par William Nadylam et Bruno Freyssinet. Il vient d’être nommé au CMHE et au conseil d’administration de l’audiovisuel extérieur de la France et s’apprête à diriger une 13e saison du TOMA au festival d’Avignon. InterviewPhoto de scène : Sébastien Vaillant
Vous êtes Colin Powell au théâtre. N’est-ce pas un personnage ambigu ?
C’est un héros tragique. C’est un soldat qui est devenu par la grâce d’un président chef de la diplomatie américaine. Il s’est retrouvé face à un chrétien fondamentaliste, face à des faucons qui avaient décidé qu’il y avait besoin pour le Moyen-Orient d’une nouvelle donne politique. Et ce que Powell a tenté de faire à tout prix, c’était d’éviter la guerre. Alors héros tragique ? Oui, car il aurait pu démissionner. Je vis en 2 heures et demie le drame qu’a vécu Colin Powell en quatre ans ! Et c’est difficile de raccourci le temps psychologique du personnage. Mais Colin Powell n’était pas sûr… Aujourd’hui nous sommes sûrs que Saddam Hussein n’avait pas d’armes de destruction massive.
Finalement, Colin Powell vous est sympathique ?
Il est sympathique à plusieurs titres. D’abord, pour l’acteur, c’est un rôle immense ! Mon personnage ramasse tout ! Mais aussi, c’est un homme noir ! Au-delà d’être un héros, il est Noir. Et on n’a pas si souvent que ça au théâtre l’habitude d’interpréter des héros noirs ! C’est le quatrième personnage de l’Etat américain, il y a dix ans déjà ! Ce qui signifie bien qu’il précède Barack Obama.
Vos combats pour la représentation de la diversité ont été récompensés puisque vous avez été très récemment nommés à des postes importants comme, par exemple, membre du comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage. Que voulez-vous y faire ?
Dans ce pays-là, ce qui manque d’abord, c’est la mémoire. Et la mémoire guérit beaucoup de maux. Il y a des choses qu’on peut imposer depuis nos « chères têtes blondes » jusqu’à de vraies cérémonies du 10 mai qui font, effectivement, qu’il y a quelque chose qui se passe, comme aux Etats-Unis, comme en Angleterre, comme dans les pays anciens esclavagistes de la façade atlantique.
Vous avez aussi été nommé administrateur de l’audiovisuel extérieur de la France. Ca vous permet de surveiller Christine Ockrent ?
(Rires) Non, je ne dirai pas ça mais ça me permet d’être au cœur d’un réseau. Evidemment, il n’est pas question d’intervenir dans la programmation des chaînes, mais une chaîne est une antenne, une présence à l’antenne, des contenus et ceux qui présentent l’antenne. Il va falloir que l’audiovisuel extérieur de la France soit une vraie image de la France d’aujourd’hui aussi bien dans son contenu que dans l’image de ce contenu. Qui présente, qui fait quoi ? Il va falloir maintenant qu’on commence à parler… C’est ma première demande.
Il y a 20, 30 ou 40 ans, on avait un Martiniquais à la Comédie française, une Martiniquaise qui chantait avec Placido Domingo ou Luciano Pavarotti, un Guyanais n°2 de l’Etat. N’avez-vous pas l’impression qu’on a connu un recul ?
Il y avait même un Guadeloupéen qui jouait un héros emblématique dans une série télévisée, Médecin de nuit, et qui continue à recevoir des lettres alors que cette série a 30 ans ! Oui, il y a eu un recul. Il y a eu une certaine lâcheté de la gauche et de la droite avec la montée du Front national, l’un instrumentalisant les autres… Et le corpus social de notre pays s’en est ressenti. C’est vrai que les événements de Guadeloupe, Elie Domota, etc, ne font que traduire une crise sociale et morale que subit la France. C’est à nous, puisque le pays a grandi, de retailler les vêtements à sa mesure.
Comment avez-vous ressenti ces événements du début de l’année aux Antilles ?
Qu’est-ce que c’est extraordinaire de voir un peuple se lever ! Evidemment tout le monde n’était pas d’accord, mais ça n’est pas le fait de quelques nervis si pendant 44 jours on se met en grève. Donc ça voulait bien dire qu’il y avait un malaise crucial dans la population et que la population a voulu dire par cet appel, un appel au secours, qu’est-ce qu’on fait exactement ? Soixante ans après la départementalisation, on fait quoi ? Aujourd’hui, il y a des Antillais partout ; la France est un grand pays grâce à ses départements d’outre-mer. C’est la question du mieux vivre ensemble, de mieux vivre sa citoyenneté française qu’a posée la population.
Les états généraux étaient-ils une bonne réponse ?
C’est évident qu’il fallait avoir cette vaste interrogation. Maintenant la réponse que constitueront ces états généraux, les propositions que nous ferons et l’accueil qui leur sera réservé… Qu’est-ce que ça va donner, sur quoi ça va déboucher… Pour moi, si on ne peut pas convaincre, on doit contraindre. C'est le rôle de l'Etat. Pourquoi cette absence, ce manque de visibilité ? Pourquoi il n’y a aucun imaginaire ? En musique par exemple, on dit qu’il y a un quota d’œuvres françaises qui doivent être diffusées par les radios. Très bien. Dans ce quota, il faut un quota d’œuvres d’outre-mer et puis c’est tout ! Il n’y a pas à barguigner, c’est comme ça. En littérature, dans les salons du livre, les librairies, les médiathèques, il n’y a pas que Césaire ! Toutes choses égales par ailleurs... Quand voit-on Glissant, Chamoiseau, Condé, Pépin ? Ce sont des gens qui écrivent des livres distribués chez Gallimard. Mes exigences sont républicaines !
Comment voyez-vous les choses dans le spectacle vivant ?
Le ministère de la Culture doit convoquer les directeurs de centres dramatiques nationaux ou régionaux qui reçoivent tant de millions de nos poches et dire que ceci est intolérable. Pour monter des pièces de théâtres, vous devez prendre des gens de la diversité parce que vous recevez de l’argent de l’Etat. C’est aussi simple que ça !
Dans la télévision ?
C’est exactement la même chose. Si France Télévision a 20 millions d’euros par an pour monter des téléfilms ou des films concernant des héros emblématiques, il y a des héros en outre-mer, il en faut un dans les cinq ans ! Un ! C’est du simple mieux vivre ensemble. On n’est pas arrivé à convaincre les automobilistes de faire moins d’accidents, on les a contraints. Et si le président de la République, garant de la cohésion nationale, veut que ça se passe différemment, il peut le faire. La question est posée clairement et les responsabilités clairement définies.
En Avignon, depuis douze ans, vous contribuez justement à montrer d’autres théâtres de France. Que nous concoctez-vous pour la prochaine édition qui démarre le 8 juillet ?
Pour la première fois au théâtre de la Chapelle du verbe incarné, je reçois une actrice, Nouara Naghouche qui présente Sacrifices. Elle nous raconte son vécu de fille d’immigrés à Colmar. Il y a Bintu qui est monté par la fille d’Henri Guédon, Laetitia. De la même façon que j’ai accueilli Antoine Bourseiller qui est mon maître au théâtre, c’est aussi extraordinaire d’accueillir la fille d’un ami. Je reçois encore D de Kabal… La ligne continue de cette programmation est de montrer des imaginaires qui sont différemment français. Ca apporte quelque chose à la France d’aujourd’hui. C’est ça le mieux vivre ensemble, faire entrer une culture intéressante dans l’imaginaire du pays.
Portraits : RDG