Patrick Karam s'explique
ITW Patrick Karam, délégué interministériel à l'égalité des chances des Français d'outre-mer
« Maintenir deux guichets, c'est mettre encore les Français d'outre-mer à part »
Lors d’une réunion devant les associations ultramarines de métropole,, mercredi soir, Patrick Karam, délégué interministériel à l’égalité des chances des Français d’outre-mer a indiqué qu’il allait mettre fin à sa mission. Interview.
Vous avez déclaré récemment que vous estimiez avoir quasiment achevé votre travail à la délégation interministérielle. Qu'en est-il ?
Je suis allé effectivement beaucoup plus vite que prévu et j'ai mis l'accélérateur parce que des situations me semblaient relever de l'urgence et réclamaient des réponses fortes. Je l'ai fait dans 180 domaines de la vie quotidienne, concrète... Tous les chantiers sur lesquels le président de la République s'était engagé ont été traités, sauf un domaine qui reste à terminer, celui de la visibilité. Un sujet que j'ai fait porter par un atelier des états généraux comme celui du sport. Mais, rien n'a été facile. Tout d'abord pour une raison de fonctionnement institutionnel : un ministre n'accepte jamais qu'un délégué interministériel intervienne dans son domaine.... Il se trouve aussi que les Ultramarins sont des Français. Quand je parle auprès des cabinets ministériels ou de l'administration, de discriminations, d'injustice, j'ai l'impression qu'on ne me comprend pas alors que je donne des chiffres, des faits... Sur les 180 dossiers, il a fallu parfois six mois ou un an, au terme d'un bras de fer dur, parfois violent, qui a laissé des traces, pour obtenir gain de cause. Le préfet Richard Samuel m'a dit : « Chaque fois qu'on parle de toi à un ministre, il est crispé. » IL n'a pas tout à fait tort même si tous les ministres ne sot pas crispés bien sûr, beaucoup m'ont accompagné mais effectivement, pour certains cas, j'ai dû aller chercher l'arbitrage du Premier ministre. Je n'ai fait aucune concession pendant ces deux ans. Je suis resté un militant au service des Ultramarins et de mes convictions.
Comment pouvez-vous dire que votre travail est fini alors que vous prétendez vous occuper du quotidien des Ultramarins de métropole qui subissent toujours le délit de sale gueule, la discrimination à l'embauche ou au logement ?
Soyons clairs ! Tout ce qui relève du quotidien et de la spécificité je l'ai quasiment réglé ! Prenez le cas de la discrimination au logement (le refus de caution outre-mer), il reste quelques dizaines de cas mais ce n'est plus les dizaines de milliers qu'on relevait chaque année. Sur la question de la couleur de peau, ça n'est plus normalement dans mon champ d'activité. Les discriminations liées à l'apparence et à l'origine concernent aussi bien les Africains que les Maghrébins, et relèvent du domaine de Yazid Sabegh, commissaire à la Diversité. Même si sur l'emploi ou le logement, je n'ai pas hésité à prendre des mesures.
Lesquelles ?
Sur la question du logement, j'ai confié une mission à SOS Racisme pour qu'ils lancent des testings, certes sur le refus de caution mais aussi les refus liés à l'origine ethno-racial ou la religion. Sur l'emploi, toujours avec SOS Racisme, certains sites de recrutement demandaient aux candidats de donner obligatoirement leur nationalité et je me suis aperçu qu'à côté des Anglais, Américains, Angolais, Français, on trouvait aussi Guadeloupéens, Martiniquais, guyanais, réunionnais... mais pas les autres régions de France métropolitaine. Un fichier est-il constitué en lien avec les origines ethiques ? Et pourquoi faire ? Il y a une présomption de discrimination. J'ai missionné SOS Racisme pour trouver toutes les entreprises qui ont de telles pratiques, pour saisir les fichiers, vérifier l'utilisation qui en est faite puis déposer des plaintes. De grandes entreprises sont aujourd'hui dans notre collimateur. J'ai monté tout cela avant la création du commissaire à la diversité, désormais ce type d'opérations relèvent de sa mission. Si je maintiens en vie la délégation alors qu'il y a un commissaire, et qu'il n'y a plus de problématiques spécifiques, cela revient à dire qu'il y aurait deux guichets, l'un pour les Français d'outre-mer, l'autre pour la diversité. Maintenir deux guichets, c'est mettre encore les Français d'outre-mer à part, ce dont je me refuse.
M. Sabegh a été nommé il y a presque six mois !
Quand Nicolas Sarkozy a nommé Yazid Sabegh, j'ai plaidé auprès de Claude Guéant pour interrompre ma mission, le président de la République a refusé. C'est vrai que je n'avais pas tout à fait achevé ma mission sur les problèmes spécifiques mais maintenant, je la considère quasiment terminée. Mon pacte avec les Français d'outre-mer était de régler leurs questions.
En décembre 2007, vous avez démissionné et le président de la République a refusé votre démission. Racontez ce qui s'est passé...
J'ai fait mes cartons et pendant deux mois je n'ai pas mis les pieds à mon bureau. Sur la question des billets d'avion, je considérais que je n'avais pas carte blanche pour négocier avec les compagnies. Or c'est un sujet sur lequel je ne fais aucune concession, j'ai donc remis ma démission au président de la République.
Qu'est-ce qui a inversé les choses ?
Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée, m'a rencontré le 31 décembre 2007 et m'a dit que le président refusait ma démission. il souhaitait que je continue à mettre mon énergie au service de la République et des Ultramarins. Il a pesé directement en me faisant savoir que j'aurai les moyens de travailler.
Est-ce que l'ancien président du Collectifdom peut s'estimer satisfait de ce que le délégué a obtenu en matière de continuité aérienne avec les fameux billets d'avion Karam ? N'est-ce pas un peu léger ?
Si c'était facile d'autres l'auraient fait. Tous les gouvernements précédents, tous sans exception, droite comme gauche, ont essayé de mettre en place un tel dispositif et tous ont échoué. Rappelez-vous que la presse me prédisait un échec sur cette question. Pourtant je l'ai fait. Je montre qu'avec la volonté politique, tout est possible. Cette convention constitue une véritable révolution. 15 % de places entre le 15 juin et le 15 septembre, c'est considérable et c'est déjà un progrès substantiel. Avant, c'étaient quelques milliers de places, aujourd'hui c'est 145 000 sièges ! Alors bien sûr, il n'y a pas 100 % de sièges et bien sûr, il y a des gens qui ne pourront pas trouver ces places ,au prix des « billets dits Karam », mais nous sommes dans un système ultralibéral. Les trois compagnies peuvent se targuer d'être les seules au monde à avoir accepté de signer une convention pour perdre de l'argent en se liant les mains au moment où ils devraient engranger le maximum de bénéfices ! Une compagnie a refusé de signer et j'ai mis dix-huit mois à convaincre les trois autres. Air Austral s'est justifié en disant que ça lui coûtait entre 3 et 6 millions d'euros. Alors c'est vrai que ça implique des obligations aux signataires mais en termes d'image, ils s'y retrouvent. Pour les deuils, ce sont 360 personnes par mois qui vont enterrer un proche au prix le plus bas de la grille tarifaire annuelle. Pour les personnes en dessous des minima et qui ne sont pas retournés depuis plus de 10 ans dans leur région de naissance, j'ai obtenu une réduction de 33 % pendant les périodes creuses. Avec le RSA et le RSTA, on va pouvoir cibler le public bénéficiaire et mettre en oeuvre concrètement cette mesure qui fonctionne sur des quotas de places.
Comment ça se passe avec Mme Penchard ? Le jour de son installation, vous auriez ostensiblement tourné la tête...
Le jour de la passation de pouvoir, j'ai vu Yves Jégo à 9 h 30, puis je suis retourné dans mon bureau. Marie-Luce Penchard est arrivée vers 10 heures ou 10 h 10. Comment aurai-je pu tourner la tête ou les talons puisque je n'étais plus là... Il y a eu un axe très fort Karam-Jégo et sur beaucoup de dossiers, on défendait ensemble les dossiers devant d'autres ministères ou devant Bercy. Cela dit, nommer une Guadeloupéenne, la première, à la tête de ce secrétariat d'Etat est une première et mérite d'être salué comme il se doit.
Si vous partez, qu'allez-vous faire ?
Il me reste le chantier du sport et de la visibilité à clôturer. Ils sont intégrés au dossier des états généraux de l'outre-mer. Mon départ sera effectif dans quelques mois, il n'y a pas de dates précises mais ce sera bien avant un an.
Allez-vous faire de la politique ? En Ile de France ? En outre-mer ?
Est-ce que je vais faire de la politique dans l'Hexagone ou en Outre-mer ? Il ne vous a pas échappé que je suis Guadeloupéen, que je dispose en outre-mer d'un réseau de solidarités, de popularité, mais que j'y ai surtout des amis comme Victorin Lurel. Se présenter aux Régionales en Guadeloupe, ça signifie se présenter contre Lurel, jamais ! De février 2003 à aujourd'hui, on a toujours marché main dans la main. Ca n'est pas facile pour lui qui est socialiste et ça n'est certainement pas facile pour moi parce que des gens ne comprennent pas que Patrick Karam qui a pris sa carte UMP puisse être aussi proche d'un socialiste. Et on voudrait que j'utilise ma popularité pour le critiquer ? Jamais.
Et en métropole ? Aux régionales d'Ile de France ?
Je ne m'interdis rien même si pour l'instant je n'ai rien décidé. En tout cas, quand j'ai rejoint le président de la République, je l'ai rejoint sur un contrat moral qui était qu'il me permette de travailler pour les Français d'outre-mer et mettre en oeuvre un programme. Si jamais je décidais de m'engager aux régionales, ce serait pour être utile aux ultramarins et que je sois assuré d'en avoir les moyens.
Quelle est votre relation avec le président de la République ?
Ca a commencé par une opposition sur la question des violences policières. J'ai manifesté contre lui, plusieurs fois, durement en 2003 et 2004. A l'époque, il était l'homme le plus populaire de France... Notre rapprochement s'est fait en mars ou avril 2005, lorsque j'ai vu qu'il tenait ses engagements et qu'il était sensible à la question de l'outre-mer. Et quand il s'est retrouvé en difficulté sur l'affaire de la colonisation positive, qu'on lui a fait porter le chapeau, je me suis retrouvé seul en première ligne pour le défendre, avec Gabrielle Louis Carabin. J'ai accordé un nombre incalculables d'interviews pour le défendre, y compris en Martinique et en Guadeloupe où je me suis rendu à la veille de son déplacement. Nicolas Sarkozy n'a jamais oublié... Peu importe pour lui le rôle que j'ai joué dans la campagne électorale, ou les 4 500 personnes réunies à Montparnasse...
Vous voulez dire que votre relation s'est soudée autour de sa rencontre avec Aimé Césaire ?
Pas seulement. C'est le fait de l'avoir soutenu seul contre tous, lorsque tous ses amis politiques aux Antilles l'avaient abandonné. Cela dit, c'est vrai, qu'il avait reporté un premier déplacement en Martinique en décembre 2005. J'ai obtenu qu'Aimé Césaire accepte de le recevoir grâce à Camille Darsière. J'avais dit à Camille avec qui j'entretenais les mêmes rapports affectifs forts qu'avec Lurel, que je m'engageais à me battre auprès de Nicolas Sarkozy pour obtenir l'appellation de l'aéroport Aimé-Césaire. C'était un pacte entre Camille et moi.
Propos recueillis par FXG, agence de presse GHM
Quelle vie après la délégation ?
Patrick Karam refuse de dire ce qu’il fera quand il aura remis sa démission mais il semble que ce soit côté politique qu’il faille envisager les choses. Patrick Karam s’était engagé auprès de Roger Karoutchi quand il était candidat à l’investiture UMP pour les Régionales en Ile de France. C’est Valérie Pécresse qui a emporté le morceau… Karam a néanmoins rendez-vous en octobre avec elle. Il faut y voir la patte d’Yves Jégo qui a proposé à Patrick Karam d’être le M. Ultramarin de cette campagne. L’intéressé n’a pas dit oui, ni non… Même si son cœur est en Guadeloupe. On se rappelle qu’en juin dernier, à la mairie du 9e arrondissement de Paris, Patrick Karam était à côté de Victorin Lurel venu rôder son discours de campagne. De quoi attiser bien des spéculations.