5e edition des Trophées des arts afro-caibéens. Euzhan Palcy
Euzhan Palcy, prix d'honneur
« On ne s’improvise pas réalisateur »
Le jury des TAAC a décerné une mention spéciale à Euzhan Palcy pour l’ensemble de sa carrière. Impressionnante de beauté et d’éloquence, la cinéaste martiniquaise a dénoncé les écueils qui jalonnent le parcours français des cinéastes et acteurs noirs. Première femme noire diplômée de l’école de cinéma Louis-Lumière, fille spirituelle d’Aimé Césaire, l’artiste martiniquaise a aujourd’hui un rayonnement international et une carrière qui imposent le respect.
Ces TAAC ont-ils une importance particulière à vos yeux ?
Je suis très heureuse. Quand j’ai décidé d’être cinéaste, j’étais jeune, mais c’était justement pour voir un jour ce genre de cérémonie, y participer, voir d’autres films. Pas seulement en Afrique ou dans la Caraïbe mais en France, en Europe, partout, avec plein de gens, une salle métissée qui comprend que c’est important. Ils sont venus parce qu’ils comprennent que nous aussi on a des choses à dire. Comme disait Césaire : « Qu’il est bon, légitime et beau d’être nègre pour la faim universelle et la soif universelle. »
Quels sont vos projets ? Travaillez-vous sur un film actuellement ?
Je développe un projet aux Etats-Unis. Je ne peux pas trop en dire parce que, sans être superstitieuse, il faut être prudent dans le monde du cinéma. Tant que vous n’êtes pas sur le plateau, que vous n’avez pas dit « coupez ! », vous n’êtes pas sûr que le film se fasse. Simplement je travaille sur un projet qui est un hommage à une légende du gospel.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui aimeraient suivre vos traces ?
Il n’y a pas de recette. Il faut déjà avoir la passion et puis il faut étudier, il faut apprendre. On ne s’improvise pas réalisateur, c’est un art extrêmement difficile qui ne souffre pas la médiocrité. Ceux qui ont la passion et l’envie de faire ce métier, qu’ils se battent et qu’ils ne se laissent pas décourager.
Les horizons sont-ils plus clairs aujourd’hui que quand vous commenciez ?
C’est difficile et différent. Quand j’ai commencé, on me disait : « On ne veut pas de Rue Cases Nègres, parce que vous vous rendez compte avec un tel titre personne n’ira le voir. » Ou alors on me disait qu’il faudrait peut être ne pas mettre l’enfant à l’affiche parce qu’il est noir, que ça serait une sorte de repoussoir. Oui j’en ai entendu des vertes et des pas mûres. Donc oui, c’était difficile pourtant je sortais d’une des plus grandes écoles de cinéma, mais ce n’était toujours pas suffisant. Ca a été très dur et aujourd’hui, c’est différent. Il y a eu une évolution. Une évolution technique. Maintenant, nos jeunes, même si on leur dit non, ils prennent une caméra, ils font des clips, des vidéos et s’expriment. En ce sens il y a eu une évolution mais le combat reste le même : la représentation des minorités sur les chaines de télévisions en France. Pourtant ces chaines n’hésitent pas à acheter des séries américaines truffées de Noirs et de Latinos. Alors y a-t-il un problème avec les Noirs francophones ? Ces acteurs Noirs américains jouent de vrais personnages et non pas des rôles de Noirs ou de Nègres. Mais, il y a un sursaut et j’espère qu’il va s’avérer juste et qu’un jour je pourrai faire les films que je veux en France et que je n’aurai plus à aller aux Etats-Unis pour pouvoir travailler .
Propos recueillis par G.J.