Bayrou dans les DFA
« Je serai un président de la République qui aimera l’outre-mer »
Les sondages sont très bons pour vous en métropole. Pensez-vous pouvoir entraîner les Antillais dans cette tendance ?
Les Antillais ont toutes les raisons de ressentir, avec plus de force encore qu’en métropole, la nécessité d’un rassemblement pour agir, d’une politique nouvelle dans son esprit et ses méthodes. Ils ont tout particulièrement souffert des affrontements de clans et des dérives d’un Etat partial et impuissant.
Quels rapports entretenez-vous avec les Antilles ?
J’ai toujours aimé les Antilles. D’abord comme un rêve d’enfance : les plus grands poètes de mon adolescence étaient Saint-John Perse qui naquit et vécut son enfance en Guadeloupe et Francis Jammes qui rêve aux Antilles fleuries de tabac rose, où sa famille a des racines. Plus tard, j’ai admiré la langue de Césaire, celle d’Edouard Glissant et de Chamoiseau. J’ai aimé le créole, comme une source vive. J’ai vu respirer cette langue qui s’invente tous les jours.
Plus tard, en découvrant les Antilles lors de multiples voyages, j’ai salué une réussite unique dans l’histoire. La France a fait naître là des sociétés avancées. Et les Antilles ont donné à la France des horizons et une ouverture d’esprit que, confinée en son Hexagone, elle n’aurait jamais trouvés.
Je serai un président de la République qui aimera l’outre-mer, en y voyant une source de vitalité, de vigueur, d’appétit de vie dont notre grand ensemble national a besoin.
Votre programme électoral a-t-il un volet spécifique à l’outre-mer ? Quelles ambitions avez-vous pour les départements français d’Amérique ?
La situation de l’outre-mer requiert un immense effort de solidarité avec pour objectif de garantir l’égalité dans le respect de l’identité et de la culture de chacun.
L’impartialité et la neutralité de l’Etat doivent être restaurées, pour rassembler, donner confiance et rendre à nouveau possible l’adhésion des citoyens.
Je veux rétablir une relation de confiance entre l’outre-mer et la métropole, appliquer pleinement le principe de continuité territoriale, garantir la cohésion sociale et l’égalité des chances, relancer une politique ambitieuse de logement social, favoriser le développement économique local, maîtriser les flux migratoires. Cela passe notamment par la stabilisation des institutions, des programmes de soutien scolaire et éducatif adaptés à chaque région, des aides pour que les jeunes d’outre-mer puissent poursuivre leurs études en métropole et dans le monde entier, un plan permettant de combler le retard en matière d’offre de soins et d’accès aux soins, un soutien aux économies agricoles d’outre-mer dans leurs efforts de modernisation…
Les Antilles et la Guyane français d’Amérique peuvent devenir des départements pilotes pour la mise en œuvre et l’exportation des énergies renouvelables, grâce à leurs richesses naturelles. Il y a une chance à saisir pour le développement des biocarburants, les biotechnologies, la protection de l’environnement ou l’aquaculture, qui sont autant d’activités créatrices d’emplois. Un effort particulier doit être réalisé en faveur du tourisme, allant dans le sens d’une offre de plus haute qualité, d’une plus grande cohérence et d’une meilleure organisation.
La France a devant elle un grand enjeu : valoriser les atouts essentiels de l’outre-mer, qu’il s’agisse de la maîtrise d’importantes zones maritimes, des possibilités d’accès aux matières premières, des avantages géostratégiques pour le rôle international de notre pays.
Les Antilles et la Guyane ont un rôle essentiel de pôles de rayonnement linguistique et culturel de la France et de la Francophonie. Bien loin d’être des reliquats du passé, les départements d’outre-mer préfigurent par leur diversité culturelle le monde de demain.
Dans votre projet économique, vous évoquez une remise en question des niches fiscales, qu’en sera-t-il de la loi de programme pour l’outre-mer et de la défiscalisation ?
Je maintiendrai les mesures de défiscalisation, qui constituent un moteur pour le développement local, en simplifiant les procédures et en corrigeant les imperfections. Je propose en particulier que l’accent soit mis sur les incitations à l’investissement dans les logements sociaux.
Après des évaluations précises, elles entreront dans le champ du dispositif de plafonnement de l’avantage fiscal né du cumul des dépenses fiscales au je propose. La défiscalisation de fonds communs de placement réalisés outre-mer sera étudiée.
S’agissant des exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale applicable à certains secteurs, je propose que l’on évalue l’efficacité de chaque mesure avec les partenaires sociaux. Les dispositions de la loi de 2003 qui auront fait la preuve de leur efficacité seront maintenues, celles qui sont coûteuses et inefficaces supprimées.
La continuité territoriale, aérienne et numérique, est au cœur des préoccupations des domiens. Avez-vous des propositions en la matière ?
La prétendue continuité territoriale, c’est en fait une rupture territoriale ! Il y a beaucoup à faire pour rapprocher la métropole et l’outre-mer.
En premier lieu, il faut que la continuité territoriale s’applique aussi bien aux habitants d’outre-mer qu’aux ultramarins vivant en métropole. On reconnaît ce droit aux Corses et, malgré nos demandes réitérées, les gouvernements successifs l’ont refusé aux ultramarins ! Est-ce que un Antillais, un Guyanais ont moins besoin de leur vie de famille qu’un Corse ? C’est là où les trajets sont les plus chers que l’aide est refusée.
La continuité territoriale doit aussi valoir pour les coûts de communication et d’accès à internet, qui rendent très difficile la vie de famille et les relations économiques entre la métropole et les régions ultramarines. L’accès aux TIC doit se faire à des conditions de coût et de qualité comparables à ce qui se fait en métropole.
Beaucoup présentent les zones franches globales comme un atout pour l’outre-mer, partagez-vous ce sentiment ?
J’y suis très favorable. Je propose de soutenir le développement de nouveaux secteurs d’activité et d’expérimenter des formules originales de développement. Ainsi, des zones franches, urbaines et régionales, en permettant le rééquilibrage de la concurrence, la simplicité et la stabilité dans le temps, favoriseront le développement économique local, dans les Antilles et en Guyane. Ces zones franches concerneront les secteurs les plus porteurs et les plus exposés à la concurrence.
J’ai d’ores et déjà proposé une zone franche globale pour les Antilles. Le développement des Antilles est conditionné à une politique globale de long terme qui assure aux acteurs économiques une stabilisation du paysage fiscal, juridique et social.
Etes-vous favorable à la discrimination positive et aux statistiques de la diversité réclamées par certaines associations afro-antillaises ?
Je ne crois pas à la discrimination positive. J'ai au cœur un modèle différent : celui de l'égalité réelle. Ainsi, je propose que les places dans les filières sélectives de l’enseignement supérieur soient réparties également entre tous les lycées. Ce n'est pas une discrimination, c'est une égalité.
Ensuite, à diplôme égal, des études montrent que ce qui freine le plus l'accès à l'emploi, c'est le CV. Une fois admis pour un entretien, l'égalité des chances est plus grande. A l’initiative de parlementaires de ma famille politique, le Parlement a voté l'instauration du CV anonyme pour les entreprises de plus de 50 salariés. C’est une piste, que je demande à expérimenter avant de la généraliser si elle fait ses preuves, tant auprès des personnes concernées que des entreprises.
En France on connaît très mal la réalité chiffrée de l’immigration, et tout aussi mal la réalité chiffrée de la composition de la population résidente. Et même quand l’information existe, très peu de chercheurs ou de journalistes l’utilisent, donc, au bout du compte, très peu de décideurs. Sur ce point, je suis très intéressé par le travail mené l'Observatoire des discriminations. Je trouve également intéressante l’enquête réalisée l'an passé sur les Français de métropole originaires d'outre-mer, et d'autres encore. On ne gagne rien à se cacher la diversité de notre peuple, au contraire, on y perd beaucoup !
Malgré la célébration nationale du 10 mai, commémorant l’abolition de l’esclavage et de la traite négrière, les ultra-marins demandent une journée nationale dédiée à la mémoire des victimes de l’esclavage le 23 mai. Les soutiendrez-vous dans leur démarche ?
Je suis profondément sensible au drame que beaucoup de nos compatriotes vivent, drame souvent inconscient, qui est celui de la difficulté à remonter le temps pour retrouver la réalité de l’esclavage. Il ne s’agit pas seulement de commémoration mais plus encore de connaissance pour ceux qui sont les descendants des victimes d’un crime contre l’humanité. Car c’était un crime contre l’humanité, un crime conduit par toute l’humanité, de tous les pays, de toutes les sociétés, avant la société du libéralisme et de l’émancipation que nous avons réussi à construire.
Personnellement, j’aurais choisi le 27 avril, anniversaire de 27 avril 1848, abolition de l’esclavage par Victor Schœlcher. Une autre date a été choisie par le président de la République. Je ne pense pas qu’il soit utile d’y revenir.
Y aura-t-il un ministre originaire de l’Outre-mer dans votre premier gouvernement ?
Les hommes et les femmes qui forment l’outre-mer français méritent toute leur place dans notre République, à tous les niveaux de responsabilité. Mais le temps n’est pas encore venu de constituer un gouvernement !