Abraham Petrovitch Hanibal
La ville de La Fère honore Hanibal, « le nègre de Pierre le Grand »
Abraham Pétrovitch Hanibal (1696-1781) était l’arrière grand-père d'Alexandre Pouchkine, le grand poète russe, et fut général en chef des armées impériales du tsar Pierre le Grand. C’était un Africain. Samedi 23 octobre à partir de 10 heures, cette figure historique du Panthéon noir fera l’objet d’un colloque international et d’un hommage dans l'Aisne à la Fère, là même où Hanibal effectua, à l’école d’artillerie, sa formation militaire entre 1720 et 1723. Il y avait été envoyé par le tsar Pierre le Grand dont il était le filleul. Hanibal était né à Logone dans l’actuel Cameroun et fut victime de la traite ottomane. C’est ainsi qu’il passa de Constantinople à Moscou au début du XVIIIe siècle. Une plaque rappelant le souvenir de son passage à l'école d'artillerie de La Fère sera dévoilée en présence du ministre camerounais de la Culture, des ambassadeurs de Russie, d’Estonie, de Suède, de Turquie, de sa Mahamat Bahar Marouf, sultan de Logone au Cameroun, et du député socialiste René Dosière. L'hommage à Hanibal s'inscrit dans le cadre de l’année de la Russie en France et de l'année internationale du rapprochement des cultures de l'UNESCO. Une exposition se tiendra à l'Espace Drouot de La Fère consacrée au poète Pouchkine et l’historien Dieudonné Gnammankou ainsi que des spécialistes russes d'Hanibal et de Pouchkine, animeront le colloque.
FXG (agence de presse GHM)
« Le nègre de Pierre le Grand »
Abraham Pétrovitch Hanibal est né en 1696 à Logone, actuel Cameroun, et mort le 20 avril 1781 en Russie. Il a été général en chef d’armée, directeur général des fortifications de l’Empire russe, chef du corps des ingénieurs, mathématicien, hydraulicien, riche propriétaire terrien et humaniste. Marié en secondes noces à une aristocrate suédoise, il a eu onze enfants. Sa petite-fille, Nadine Hanibal surnommée la belle créole, donnera naissance au poète russe Alexandre Serguievitch Pouchkine (1799-1837). D’origine princière, le jeune Hanibal fut victime de la traite ottomane et conduit comme otage, avec son frère, à Constantinople en 1703. Il avait 7 ans. Transféré clandestinement à la cour du tsar à Moscou, il fut affranchi, adopté et baptisé par Pierre 1er.
En 1720, il intègre la nouvelle Ecole d’Artillerie de la Fère qui forme les premiers officiers du génie. En janvier 1723, il rentre en Russie avec son brevet d’ingénieur du roi et le grade de capitaine de l’armée française. Les sciences apprises en France font de lui le premier ingénieur militaire moderne de l’histoire russe. Pierre 1er le nomme lieutenant à la Compagnie des bombardiers de Preobrajensky et professeur dans ses écoles militaires. Maîtrisant plusieurs langues européennes, le français, le néerlandais, l’allemand, en plus du russe, il est nommé traducteur principal des livres scientifiques et militaires étrangers en russe au palais, puis précepteur de mathématiques et de fortifications du futur empereur Pierre II. Son implication active dans la vie politique russe - il est secrétaire d’un parti politique et proche du ministre et ambassadeur autrichien, le comte Raboutine – lui coûtera un exil de plusieurs années (1727-1730) dans l’enfer sibérien après la mort de son parrain Pierre 1er.
Le "Vauban russe"
A partir de 1742, après la prise du pouvoir par Elisabeth Petrovna, fille de Pierre le Grand, il fait une impressionnante carrière militaire et occupe les plus hautes fonctions dans l’armée russe devenant le 4e personnage de l’Empire. Il est le « Vauban » russe. Gouverneur de la province de Vyborg, il est chef de la commission russe chargée de négocier le nouveau tracé des frontières entre la Russie et la Suède à l’issue de la Guerre de Sept ans. Son épouse, Christine-Régine de Schoeberg, issue de l’aristocratie suédoise, est l’arrière petite-fille de l’amiral de la flotte danoise et norvégienne, Lauritz Galtung. Leur fils aîné deviendra le général et amiral Ivan Hanibal, et leur petite-fille, Nadine Hanibal, surnommée la belle Créole dans les cercles mondains de Saint-Pétersbourg, donna naissance à Pouchkine.
La place centrale qu’occupera le poète Pouchkine dans la société russe explique les tentatives de certains savants russes de nier dans le passé toute ascendance « nègre » dans la généalogie de celui-ci. Ainsi, le futur académicien Dmitri S. Anoutchine lui inventa en 1899 une origine « éthiopienne ». Soutenir l’idée que les Ethiopiens n’étaient pas des « Nègres », et attribuer à Pouchkine une origine éthiopienne permettaient de rendre « acceptable » son ascendance africaine. Les travaux de Dieudonné Gnammankou dénonçant cette falsification de l’origine nationale du 1er général noir de Russie, Abraham Hanibal, ont conclu en une origine camerounaise, reconnue aujourd’hui en Russie par la plupart des spécialistes de Pouchkine. Ce dernier a rendu hommage à son bisaïeul noir en faisant de lui le héros de son roman historique inachevé, « Le Nègre de Pierre le Grand », et en créant un thème africain dans la littérature russe du XIXe siècle.
Sources
GNAMMANKOU Dieudonné, Abraham Hanibal, l'aïeul noir de Pouchkine, Présence Africaine, Paris, 1996, 255p.
En russe, Abram Gannibal, Moscou, Molodaïa Guardia, 1999, traduit par L. Brumberg, 219p.
GNAMMANKOU D.,"Tak gde že Rodina Ganibala?" (Où se trouve donc la patrie d'Hanibal?), in The Herald of the Russian Academy of Sciences, Editions Sciences, Moscou, vol.65, N°12, 1995, pp.1094-1101.
GNAMMANKOU D., "Otkuda rodom Ibragim Gannibal?" (en russe) in Rossiyskie Vesti, N°101 du 02 06 96.
En anglais, "New Research on Pushkin's Africa : Hannibal's Homeland, in Research in African Literatures, vol.8, N°4, Indiana University Press, 1997.
GNAMMANKOU D., "Entre la Russie et l'Afrique : Pouchkine, symbole de l'âme russe, in Diogène, Gallimard, Paris, vol.179, Juil-Sept 1997, pp.188-204.
Edition américaine, GNAMMANKOU D., "Pushkin Between Russia
and Africa", Diogenes, Berghan Books, Providence, N°179, vol.45/3, Autumn 1997.
GNAMMANKOU D., "La Traite des Noirs en direction de la Russie", communication présentée à la conférence de lancement du projet international Unesco "La Route de l'Esclave", Ouidah, Bénin, 1994; parue sous le même titre dans l'ouvrage collectif La chaîne et le lien, Dir. DOUDOU DIENE, Editions Unesco, 1998.
GNAMMANKOU D., dir., Pouchkine et le Monde Noir, Paris, Présence Africaine, 1999, 287p+40p. d'illustrations.
POUCHKINE A., Le Nègre de Pierre le Grand, traduit du russe par Rostislav Hofmann, in Pouchkine et le Monde Noir, 1999, p.259-287.
POUCHKINE A., "Début d'autobiographie", in Oeuvres complètes, T.III, Autobiographie, Critique,
Correspondance, Traduction d'André Meynieux, Lausanne, Ed. L'Age d'Homme, 1977.