Alain Mabanckou et le long sanglot de l'Homme noir
Alain Mabanckou est en Martinique ce 14 juin. L’écrivain donne une conférence ayant pour thème, « pour en finir avec le sanglot de l'homme noir ». Interview.
« Aller à la rencontre de l'Autre sans lui coller une étiquette »
Les termes que vous avez choisi de mettre en exergue, « en finir avec le sanglot de l’Homme noir », vont provoquer une controverse ! Est-ce une provocation ?
Non, je ne cherche pas à provoquer : je suis plutôt du côté de l'interrogation. Du reste ce sont les termes de mon livre "Le Sanglot de l'Homme noir" paru, il y a quelques années. Je sais que ce livre a suscité de vives polémiques en France - le plus souvent ce sont ceux qui ne l'avaient même pas ouvert qui tenaient des propos à la limite de l'insulte. Je ne fais que dire ce que je pense et que je tire de mon expérience en France où j'ai vécu 17 ans et aux Etats-Unis où je vis depuis maintenant 12 ans.
Certains vont vous traiter de neg a blan ou de bounty...Y etes-vous prêt ?
Je ne pense pas, je fais confiance au jugement du lecteur. Le livre que j'ai écrit est aussi inconfortable pour le Blanc. Il suffit de prendre le temps de le lire, notamment les chapitres consacrés aux indépendances africaines, au racisme en France, à la situation des immigrés dans ce même pays etc.
Vous avez l'air de dire que la négritude a bon dos pour tout expliquer des drames et les larmes du continent noir. Pour autant diriez-vous que la noirceur de la peau a été ou est un déterminant favorable à l'humain dans l'histoire et dans le monde ?
Je ne suis pas un pourfendeur de la négritude. C'est un mouvement qui a libéré notre esprit, mais il me faut aussi regarder au-delà et ne jamais tout expliquer sous le prisme de ma couleur de peau ou de ce que j'ai subi au cours de l'histoire au risque de ne jamais opérer mon auto-critique. La noirceur a été définie par le dominant, et tout le travail de la négritude a été de repenser les choses, de refuser l'idée d'une certaine malédiction atavique qui se serait abattue sur le noir au point de l'écarter de la sphère de la pensée. En gros, pour paraphraser Frantz Fanon que je convoque abondamment dans mon livre, je dirais que je ne voudrais pas consacrer toute mon existence à faire l'inventaire des valeurs nègres. Je cherche dans l'expérience et les rapports, dans ce que Glissant qualifie de "poétique de la relation", comment aller à la rencontre de l'Autre sans pour autant lui coller une étiquette indélébile.
Faut-il associer ce refus du "sanglot de l'homme noir" à celui de la repentance par les héritiers des colonisateurs ?
« Le sanglot de l'homme noir » est un livre qui exhorte à dépasser le cadre de la lamentation et rappelle que la volonté et l'expérience devraient définir nos actes et non la simple couleur de peau. C'est à nous de nous réinventer sans cesse, et donc de nous occuper de notre présent. Quant au sentiment de repentance que nourriraient certains "héritiers des colonisateurs", j'ai presque envie de dire que c'est leur problème. Je n'attends rien d'une telle repentance parce que je suis préoccupé par mon présent et mon futur, je ne voudrais pas qu'on me les vole, qu'on me les viole.
Propos recueillis par FXG, à Paris