Archéologie de l'esclavage
Les cimetières, nouveaux champs de recherche mémoriel
Vendredi dernier, au musée du Quai Branly, a eu lieu le colloque d’archéologie de l’esclavage colonial. Une vingtaine de chercheur venus du monde entier et des outremers ont échangé leur point de vue sur les résultats de leurs fouilles dans les cimetières d’esclaves. Le colloque était organisé par l’institut national de recherches archéologique (INRAP), le comité pour l’histoire et la mémoire de l’esclavage, le ministère de la Culture et de la Communication, et a duré du mercredi 9 au vendredi 11. Le dernier jour a été consacré aux recherches archéologiques dans les cimetières d’esclaves des deux départements, Guadeloupe et Guyane.
Le développement de l’archéologie funéraire de l’esclave colonial dans les régions d’outre mer reste très marginale. Pourtant les premiers résultats apportent des éléments très intéressants sur les conditions de vie des ces hommes et femmes. L’étude des cimetières en Guadeloupe et en Guyane donne des informations importantes sur les conditions d’inhumation des esclaves et sur leurs pathologies. « Ces cimetières restent un champ d’investigation privilégié pour les chercheurs ainsi que les jardins de grandes maisons de maître », indique Thomas Romon, chercheur en Guadeloupe.
Patrice Courtaud, du CNRS, présentait ses travaux sur les conditions de vie et conditions de mort dans le cimetière de l’anse Sainte-Marguerite au Moule en Guadeloupe. Un vaste ensemble funéraire regroupe, en bord de mer, plusieurs centaines de tombes de l’époque de l’esclavage, assez bien conservées. « Notre objectif est de mettre en évidence les traitements funéraires, biologiques et sanitaires des défunts. » Cette étude donne des visages aux sans nom.
Du coté de la Guyane, Catherine Rigeade a étudié le site du cimetière de Torcy et de sa chapelle engloutie sur la rive droite du fleuve Mahury. L’érosion a mis à jour les fondations et les menace. « Les conditions de travail sont difficiles voire impossibles sur ce site, fait savoir la chercheuse. Les fouilles dans la vase sont possibles seulement une fois par mois pendant deux à trois heures, en fonction de la marée dans le canal du Torcy. » L’avenir du site est en danger, et déjà en partie enfoui. En cause, le dragage des bateaux qui creuse un sillon au centre du fleuve Mahury. Une évaluation globale de la chapelle et du cimetière a été réalisée en 2011 par l’association Arkaeos. « Un site unique qui diffère très nettement des sites d’inhumation d’esclaves découverts sur d’autres lieux », selon Catherine Rigeade.
L’enjeu de l’archéologie de l’esclavage colonial est de tenir compte de la question de l’invisibilité des descendants des Africains dans l’histoire de ces pays et leurs épouvantables conditions de vie. Il n’y a pas, aujourd’hui, de recherches approfondies pour les Antilles. Le travail qui doit apporter une connaissance scientifique de la vie au temps de l’esclavage et de la colonie se fait à petits pas. Les corps restés sous terre pendant plusieurs siècles délivrent leurs secrets. Le temps n’est plus aux seuls documents laissés par les esclavagistes.
Le professeur Ibrahim Thioup a conclu : « J’ai eu l’impression qu’on organisait un mariage à trois entre archéologie, esclavage et colonisation et cela nous a causé d’énormes difficultés. » Pour Françoise Vergès, présidente du comité pour l’histoire et la mémoire de l’esclavage, « un chantier est ouvert, il faut continuer pour ouvrir les savoirs ». Les travaux de ce colloque feront l’objet d’une publication dans les mois à venir.
Alfred Jocksan (agence de presse GHM)