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Publié par fxg

Interview Albert Uderzo

Pour le cinquantenaire du village gaulois, les éditions Albert René sortent un nouvel album où tous les personnages créés depuis le premier album doivent se retrouver. Retour sur un demi-siècle d’Astérix et Obélix…

"On n’aimait pas mes gros nez et on trouvait l’humour de René Goscinny trop intellectuel"

Astérix est né avec la sortie du premier numéro de Pilote, le 29 octobre 1959, mais qu’en a-t-il été de sa conception et sa gestation ?

Albert Uderzo : On a fait une première planche avec le Roman de Renard mais nous avons appris que Jean Trubert réalisait un film dessus. Ca a été la catastrophe parce que nous étions à trois mois de la sortie du premier numéro. Nous nous sommes réunis chez moi, dans une HLM, face au grand cimetière parisien de Pantin. C’était l’été et il faisait très chaud, on a bu beaucoup de pastis et fumé beaucoup. René m’a demandé de citer les époques françaises de notre histoire les plus intéressantes. J’ai dit les Gaulois… En vingt minutes, tout était prêt : le chef, le druide, le barde, les guerriers gaulois… On a construit le petit village comme ça. On savait très bien que les Romains avaient complètement envahi la Gaule, mais René voulait prendre le contrepied de l’histoire. Au début, c’était encore un peu tatillon, puis on a mieux connu nos personnages.

Pourquoi leur avez-vous fait des gros nez ?

Albert Uderzo : J’ai toujours dessiné des personnages à gros nez et les éditeurs n’aimaient pas ça. Je devais travailler pour un journal belge quand j’ai été présenté au directeur à qui je montrai mes personnages. Il m’a dit : « Mais enfin, pourquoi dessinez-vous des gros nez comme ça ? Regardez autour de vous, les gens sont beaux… »  Et lui-même avait un nez… Je vous assure ! J’ai éclaté de rire et je n’ai pas eu le travail. On n’aimait pas mes gros nez et on trouvait l’humour de René Goscinny trop intellectuel. Avec René, on s’était dit : « Tant pis, puisque nous avons l’occasion de créer un personnage qui doit plaire, eh bien, même si on est mal payé, au moins on va rigoler ! »

Est-il exact qu’Obélix soit né avant Astérix ?

Albert Uderzo : J’ai commencé à dessiner ce personnage qui était un peu trop grand pour René… Il préférait que ce soit un petit bonhomme qui soit plutôt laid parce qu’on en avait marre de dessiner des personnages dans lesquels les enfants devaient pouvoir s’identifier. René voulait quasiment un anti héros. Alors ce personnage un peu fort qui n’était pas prévu allait devenir Obélix. Nous étions en Bretagne et je lui ai fait porter un menhir et René, petit à petit, s’est rendu compte que ce personnage pourrait être très amusant. Il l’a donc appelé Obélix.

Et Idéfix ? il n’apparaît que dans le 5e album, Le tour de Gaule…

Albert Uderzo : Il n’était pas question que mes personnages soient accompagnés d’un animal car nous avions été sollicités par des éditeurs qui voulaient suivre la mode tintinesque. Là, on s’est dit qu’il n’y aurait qu’un personnage et pas d’animaux, pas de chien, rien ! Mais dans le Tour de Gaule, pour trouver du jambon de Lutèce, ils devaient s’arrêter devant une charcuterie… René avait indiqué dans le scenario : « Il y a un petit chien à l’entrée. ». Je lui ai dit : « Ce petit chien qui n’apparaît plus, verrais-tu un inconvénient à ce qu’ils suivent les personnages sans que personne ne le voit ? » Et à la dernière image de l’album, le chien est là avec un os dans la gueule. Les lecteurs ont trouvé ce petit chien formidable et nous ont demandé son nom. On a été coincé et on a été obligé de le ressortir. On a lancé un concours et il y a cinq lecteurs qui ont trouvé le nom d’Idéfix.

Il y a une légende sur Astérix et de Gaulle… Est-elle exacte ?

Albert Uderzo : Nous étions invités, René et moi, à une première à l’Olympia. François Missoffe, un ministre du général de Gaulle, descendait l’escalier pour rejoindre le foyer à l’entracte. Il voit René, s’approche et lui dit : « Ecoutez, il s’est passé un truc étonnant au dernier conseil des ministres. De Gaulle a commencé à nous appeler chacun par un nom de personnage du village gaulois… Et chacun se reconnaissait ! Abraracourcix ? Présent ! Assurancetourix ? Présent… » Il nous l’a raconté du vivant du général. Après il s’est rétracté parce qu’il ne fallait pas évidement déflorer l’image de ce grand personnage et il n’a plus voulu avouer que c’était vrai.

Comment avez-vous ressenti, le 5 novembre 1977, la mort de René Goscinny ?

Albert Uderzo : Pour moi, c’était fini… C’était une belle aventure qui était derrière nous… Astérix chez les Belges est notre dernier album et dans la dernière image, j’ai dessiné un petit lapin qui s’en allait un peu tristement du banquet. C’était ma façon de marquer ce malheureux passage.

On s’attendait à l’arrêt d’Astérix, vous avez continué et le public est resté présent…

Albert Uderzo : Sans le concours de l’auteur, il était évident pour moi que les cours descendraient. Je ne m’attendais pas du tout à ce que ça marche… C’est une chose qui m’a ahuri car les nouveaux titres n’avaient aucun sens par rapport à ce qu’ils auraient dû être. Non pas qu’on n’avait pas de talent, mais on sait très bien que l’humour de René était exceptionnel et que personne ne peut prétendre avoir ce piment là ! Moi, paraît-il que je suis un peu plus féérique, je m’amuse à faire des tapis volants… Je ne crois pas que ça ait gêné la lecture des nouveaux albums.

Le premier d’entre eux a été Le grand fossé…

Ce qui m’a donné l’idée, c’est le mur de Berlin. J’avais l’impression que les Allemands comprendraient tout à fait pourquoi le grand fossé. Or, personne ne s’est rendu compte que c’était du mur dont je parlais. Les Belges l’ont pris pour la fracture qu’il existe entre les Flamands et les Wallons…

Et pour les cinquante ans, vous sortez un 34e album, l’Anniversaire…

Cet album est un peu différent des albums classiques où nous racontons de A à Z une histoire. Là, Astérix et Obélix ont oublié que c’est leur anniversaire et partent dans les bois pour chasser le sanglier. Pendant leur absence, le chef Abraracourcix réunit tout son petit monde pour organiser la fête aux deux héros du village. Ca se termine, non pas avec un banquet, mais avec la réunion de tous les personnages qui sont apparus depuis le premier album.

Finalement, cinquante ans plus tard, c’est qui Astérix ?

C’est vous, c’est moi et c’est tout le monde. On a cru un instant que c’étaient les petits Français, mais ça a dépassé largement les limites de la France parce que si vous voyez les Allemands, vous verrez qu’Astérix, il est Allemand ! C’est ça le phénomène, c’est qu’Astérix est devenu universel alors qu’il n’était pas du tout prévu pour l’être !

Comment expliquez-vous ce phénomène ?

C’est comme si vous vouliez savoir la recette de la potion magique ! On ne connaît pas la raison du succès et on ne peut la connaître… Si on l’avait su, on l’aurait fait bien avant. C’est une chance inouïe, ça nous est tombé sur la tête.

Propos recueillis par François-Xavier Guillerm, agence de presse GHM

Le cinquantenaire, un événement national

Les cinquante ans d’Astérix sont marqués par la sortie d’un 34e album, le 22 octobre, L’anniversaire d’Astérix et Obélix (« ils sont nés le même jour », aime à rappeler Albert Uderzo). Et pour cet album spécial, dit « le livre d’or », les éditions Albert-René ont vu les choses en grand : Sortie simultanée dans 15 pays avec 3 millions d’exemplaires dont 1 million pour la France. Parallèlement à la sortie de l’album, le musée de Cluny (à Paris) accueille dans les anciens thermes romains, le frigidarium, du 28 octobre au 3 janvier, une exposition des planches originales d’Albert Uderzo et des tapuscrits de René Goscinny. Et puis, toujours ce 29 octobre, Yvan Hinneman, l’homme du champ de blé sur les champs Elysées, l’homme de Paris Plage mais aussi le réalisateur du défilé Découflé de 1989, préparent un événementiel grandeur nature : les Gaulois descendent dans Lutèce. Enfin, le 2 décembre, la Poste proposera une planche de timbres anniversaires avec le prix en euros et en sesterces et où le mot Gaule sera substitué à celui de France.

 

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