Brassage et Agora Mundo
Agora Mundo et Brassages, l’art contemporain des Outre-mer
La Cité internationale des arts de Paris reçoit jusqu’au 27 juillet une quarantaine d'artistes proposant leur vision du « vivre en pays insulaire », de l'Océanie aux Caraïbes.
Une centaine de pièces sur six niveaux passent au crible les arts tels qu’on les pratique avec une sensibilité façonnée dans les outre-mer. Il a des installations, des peintures voire des actes picturaux, des photographies et souvent un regard amusant sur l'art, son rôle social, les processus de ritualisation du corps et de l'acte de création…
Le CIFORDOM de José Pentoscrope a rassemblé pour l’exposition « Brassages » des artistes originaires des Antilles et de la Réunion vivant en Europe. L’association SIAPO a complété ce « Brassage » en allant chercher des artistes du Pacifique sud. Pour « Agora Mundo », l’association Yehkri et sa commissaire d’exposition, Catherine Kirchner, se sont occupées, avec le concours de l'Institut du Tout Monde et le Comité pour la Mémoire de l'Esclavage, de faire venir 13 artistes vivant et travaillant en Martinique. Les deux expositions se sont mélangées dans la vaste galerie de la Cité internationale des arts, entre le Marais et le bord de Seine. La déléguée interministérielle Sophie Elizéon, la cinéaste Euzhan Palcy, l’écrivaine Suzanne Dracius, le flûtiste Max Cilla, les artistes Romain Ganer ou Miguel Marajo ont participé au vernissage le 9 juillet dernier en présence de la quasi-totalité des artistes exposés. Il y avait peu d’acheteurs.
« Ces artistes offrent leur regard contemporain hors des sentiers exotiques déjà éprouvés. Ils ont des visions de la société d'aujourd'hui, plurielle, connectée au monde et inscrite dans diverses marges immuables », affirme la commissaire Catherine Kirchner.
FXG, à Paris
Photos : Régis Durand de Girard
Exposition du 10 au 27 Juillet de 14h à 19h 18 Quai de l’Hôtel de Ville
Des œuvres et des artistes en images
Arthur Joas, Martiniquais trentenaire du Kremlin-Bicêtre (94), travaille le fer, l’acier ou l’inox. Il en fait des pièces abstraites, des femmes, « déesses-mères ou Vénus, nées du métal en fusion et faites de petites gouttelettes déposées avec délicatesse se fondant ensuite dans la matière » (d’apres Beatriz Moya). Il fait aussi des sculptures monumentales, « déesses en acier, assemblées et soudées dont la ligne sensible se heurte à la froideur du métal ».
Christian Bertin pose entre l’une des cinq pièces baptisées Chapitre et Balisier. Né en 1952 en Martinique, il a étudié l’art à Macon avant de réinstaller en 1986 en haut du morne de Bellefontaine d’où il domine le monde. Sa liberté de railler le monde se retrouve dans son humour caustique. Son œuvre s’appuie sur des codes, le symbolisme, la culture et l’histoire. Michael Caruge, le Saintannais, pose devant Vanessa, l’une des cinq toiles exposées a Paris. Il affiche une ressemblance troublante avec son modele... Plasticien diplômé de l’IRAV et ESAC de Tarbes, un temps directeur de la galerie parisienne JL Michau, au Palais Royal, agent artistique ou commissaire d’exposition, il travaille sur « le corps social, l’homme dans le groupe », selon ses propres confidences.
Cat Mira devant une de ses « Case océan ». Energie et symbolisme donnent à ce travail photographique la perception de l’essence du lieu Martinique. Elle y a posé ses pinceaux et son appareil photo en 1998, est repartie en 2011 et y vit à nouveau depuis 2009.
Claude Cauquil est entre Lucia et Guy Marc, quelques-uns de ses fameux « Self portraits », peints d’après des photographies. Avec ces visages nommés, aux couleurs vives, l’artiste nous présente de vraies gens. Des gens qu’il fait rayonner et qu’il cadre serrés « pour éliminer le contexte social ». Claude Cauquil a laissé la ville de Béziers en Languedoc, tel Rimbaud fuyant Charleville, pour trouver son Aden en Martinique. « C’est une histoire d’amour qui m’a conduit en Caraïbes… », confiait-il à France-Antilles en 2008. Après trois ans à Porto Rico, faute de carte verte, il a débarqué à Rivière-Pilote… Il y peint encore.
Jean-Marie Louise est devant ses « Photogratures », de la pellicule argentique numérisée, tirée sur vinyle et contrecollée sur de l’aluminium. L’homme de Ducos travaille sur la dimension insulaire de l’identité martiniquaise. Il fait disparaître dans des agrandissements de détails le sujet qu’il a pris en photo dans la zone des cinquante pas géométriques. Il transcende ainsi la peur atavique de la mer.
Joël Zobel pose devant ses « Jeu de mains ». Il est le dernier des Zobel (un petit-neveu) à vivre en Martinique et c’est un Solognot par sa mère ! Dans son studio de Fort-de-France, il travaille sur la poésie des corps et patine son travail de noir et blanc vintage. « À chaque époque, à chaque société, à chaque culture, à chaque homme ses critères de beauté ! Avec mes photos, j’essaie de faire abstraction de tous ces critères. Sous mon regard d´artiste, mes photos traversent le temps, se jouant des modes et des époques. La diversité des horizons qui défilent devant mon objectif comble ma curiosité du genre humain (…) Je tiens toujours à les photographier sur le même fond neutre. Tous égaux dans l´œil de mon objectif… »
Louis Laouchez est entre « Elles sont généreuses » et « Vous et nous ». Artiste prolixe, il est né en 1934. Son parcours très intense est jalonné de nombreuses expositions aux Caraïbes, aux USA, en Afrique et en Europe, dont l’exposition fondatrice initiée par Léopold Sedar Senghor en 1966 à Dakar, le Festival Mondial des Arts Nègres. C’est lui qui, en 1970, a créé avec Serge Hélénon l’école négro‐caraïbes.
Ses œuvres ont été acquises par de nombreuses collections privées ou publiques (FRAC, FNAC, Musées à Cuba, bâtiments officiels en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, aux Comores, en France, en Suède et aux USA). Louis Laouchez est le frère de Maurice et l’oncle d’Olivier, PDG de Trace. Il a exercé de 1958 aux années 1980 des fonctions de conseil pour des chefs d’Etat africains.
David Alibo est devant trois de ses œuvres de collages. « A travers le collage, c'est la magie de la mise en scène qui m'anime. » Ses toiles sont des arrêts sur image qu’il vit et qu’il illustre tantôt sur le thème de ses racines ethniques, tantôt de façon philosophique, poétique ou humoristique. « C'est mon humeur qui colle et mon coeur artistique qui survole... »
David Alibo appartient au collectif Artcolle et il est le troisième artiste de la famille Alibo, avec Michel, le bassiste, et José, le photographe.
Thierry Jarrin est entre la « Constellation de l’acrobate » et la « Constellation du cerf-volant ». Né à Paris, il y a 44 ans, d'une mère métropolitaine et d'un père Antillais, il a trois mois quand ses parents s’installent à la Martinique. Gamin, il fouille les commodes et les greniers à la recherche de trésors : boutons, dentelles… Plus tard, il explore les décharges, fréquente les récupérateurs de métaux, avec cette passion de la découverte et cet impérieux besoin de lier les matériaux disparates. Ses œuvres ressemblent à des alphabets de personnages hybrides. « Cette écriture ne represente ni fusion, ni séparation, mais une interdépendance », revendique-t-il.
René Louise (né en 1949) est devant « Métamorphose », « Voyage triangulaire » et « Hommage a l’Afrique ». Ce membre fondateur du groupe « fwomajé », l'association de cinq plasticiens martiniquais qui voualient créer une esthétique caribéenne, est chercheur, peintre, sculpteur et scénographe, Après plusieurs années de recherche, il a publié « Le manifeste du marronisme moderne », théorie déjà énoncée dans sa thèse de doctorat. Il souligne dans cet ouvrage l'importance des racines africaines, mais aussi caribéennes avec la prise en compte des arts précolombiens.
Norville Guirouard-Aizée est devant deux de ses sculptures, « Autel des sacrifices » et « Autel des plaisirs ». Ce jeune quinquagénaire propose une création artistique fertile et culturellement enracinée Son travail est axé sur la prégnance de l’Inde dans la Caraïbe et, avec elle, les pratiques religieuses.
L’artiste fait preuve d’un sens aigu de la dérision. Le plaisir et le sacrifice se côtoient telles les deux faces d’une même pièce. « Le paradis ne se donne pas, il se gagne… » Sa rue Monte-au-ciel en est la démonstration. C’est une sculpture représentant une échelle avec pour montants de la corde et pour degrés des coutelas !