Cesaire communiste
Un livre raconte Césaire, le communiste
David Alliot, libraire et écrivain, sort aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, « Aimé Césaire et le PCF »
« Le communisme est à l’ordre du jour », écrit Aimé Césaire en 1950 dans un poème à la gloire de Maurice Thorez, alors tout puissant secrétaire général du PCF. Six ans plus tard, il écrit sa fameuse Lettre à Thorez dans laquelle il explique les raisons de sa rupture avec le communisme… David Alliot, libraire et écrivain, sort « Aimé Césaire et le PCF », un ouvrage consacré à l’engagement communiste du père de la négritude. Il a découvert Césaire en 1994 en lisant le « Cahier d’un retour au pays natal » et c’est une révélation. Il cherche une biographie synthétique, en vain, et décide alors de l’écrire. Il publie chez Infolio en 2008, « Aimé Césaire, le nègre universel ». Il se rend alors compte qu’il n’y a quasiment rien sur Césaire et le PCF : une demi-page de biographie et deux documents seulement aux archives départementales de Bobigny où sont entreposées les archives du PCF. Il s’agit de la Lettre à Thorez et de l’enregistrement sonore de son intervention au 13e congres du Parti en 1954. Devant la mine déçue de l’auteur, Pierre Boichu, le jeune conservateur des archives lui ramène un carton d’archives encore non classées. Une mine qui va rendre possible l’élaboration de l’ouvrage.
Le depute maire
« Césaire a réécrit son histoire a 94 ans », raconte David Alliot. C’est ainsi qu’il a parlé d’une adhésion accidentelle au PCF… » Les archives révèlent qu’Aimé Césaire a d’abord adhéré aux Jeunesses communistes de l’école normale en 1935 (Senghor ira chez les socialistes) avant d’entrer au Parti en juillet 1945. « Il va adhérer entre les municipales et les législatives de 1945 pour pouvoir se faire rembourser ses frais de campagnes législatives. » Le témoignage de Gabriel Henry (décède en 2012 à Toulon), adjoint de Césaire pendant sa première mandature, atteste aussi de la volonté de Georges Gratiant de laisser la tête de liste à un « moderne »… Et voilà Césaire député et maire. Il fait la départementalisation…
René Depestre témoigne de la lutte qui a opposé Aragon à Césaire. Le Martiniquais est resté fidèle à André Breton et aux surréalistes. « La poésie de Césaire portait ombrage à la dictature poétique d’Aragon », relate Dominique Desanti, alors journaliste a l’Humanité. Césaire sacrifie néanmoins aux exigences du réalisme socialiste. En 1948, il écrit « Pour une gréviste assassine », à la mémoire d’André Jacques, un ouvrier tué au Carbet lors d’un conflit social. Il écrit encore « Dans les boues de l’avenir, nous avançons notre chemin » où il s’en prend au préfet Trouillé… Le premier préfet des Antilles. « Il réservait la schlague aux Martiniquais noirs et communistes », résume David Alliot !
Staline et l'Algerie
René Depestre comme Rosan Girard honorent Maurice Thorez de leurs vers pour les cinquante ans du camarade secretaire. Césaire aussi : « Voix de Maurice Thorez, contrepoison aux poisons du mensonge… »
En 1953, Aimé Césaire est de la délégation communiste française qui se rend aux obsèques de Staline. Il y retrouve Thorez. En 1954, Césaire, « mandé » par les communistes des quatre DOM intervient au XIIIe congres du PCF. Mais vite, la rupture publique avec Aragon (« Fous t’en Depestre laisse aller Aragon ») est consommée. Césaire réédite le Cahier chez Présence africaine d’Alioune Diop plutôt que chez un éditeur communiste. Les crimes de Staline, les pleins pouvoirs en Algérie votés à Guy Mollet… Budapest et c’est La Lettre. Deux émissaires ont bien tenté de le retourner ; Césaire rend publique sa démission dans France Observateur. « Il a traité Thorez de Staline français… » s’amuse David Alliot. Aussitôt, le conseil municipal de Fort-de-France explose. La moitié suit Césaire, l’autre reste fidèle à Thorez. Aux élections municipales anticipées du 2 février 1957, Césaire remporte 70 % des voix. C’est la fin du PCF, le début du PPM.
FXG, à Paris
Interview de David Alliot
« La Martinique n’était pas la priorité des communistes métropolitains »
Est-ce que vous faites des révélations dans cet ouvrage ?
Beaucoup de révélations d’après les archives du PCF et des témoignages. Je révèle ainsi la date d’adhésion de Césaire au Parti, ses poèmes staliniens écrits pendant son compagnonnage au PCF. Les témoignages de ses anciens élèves qui montrent un portrait bien différent de ce qu’a voulu dire le poète.
L’image de Césaire n’est donc pas celle qu’il aurait voulu laisser a la postérité ?
Elle est différente parce que Césaire, à la fin de sa vie, se forge un peu sa légende et là, les archives montrent la réalité, forcement différente.
Une réalité qui vous aurait déçu ?
Non ! Ca ne bouleverse rien, ça précise beaucoup de choses parce que Césaire est reste très flou dans de très nombreux domaines. Il disait qu’il avait adhéré comme ça… Non, il a adhéré au Parti pour des raisons très précises, s’est battu pour des raisons très précises et s’il quitte le PCF, c’est encore pour des raisons très précises. Voilà ce que raconte ce livre.
Quelles ont été les relations entre Césaire et le PCF pendant les onze ans que dure son compagnonnage ?
Elles ont été très compliquées comme la politique ! Le Parti était inféodé à Moscou et les Antilles étaient un département du PCF assez lointain. Césaire lui-meme était à cheval entre la Martinique et la Métropole, à la fois poète et écrivain, c’est forcément compliqué. La Martinique n’était pas la priorité des communistes métropolitains.
Qu’est-ce qui le pousse à rompre avec le PCF ?
Le rapport Kroutchev ! Il sort en février 1956 et Césaire le dit ; il attendait une remise en question pour repartir du bon pied et le PCF ne l’a pas fait. Budapest a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et là, c’est la rupture.
Rien à voir avec le vote des pleins pouvoirs à Guy Mollet pour résoudre la crise algérienne ?
Oui, c’est important puisqu’il s’agit de la question coloniale et les communistes ont voté les pleins pouvoirs à un régime qui oppresse les Algériens, donc forcement c’est une déception. Comme alors beaucoup de communistes, Césaire ne comprend pas.
Si on devait retenir quelque chose du Césaire communiste…
Un humaniste qui pensait d’abord à l’homme, qui s’est retrouvé dans un appareil qui lui pensait plutôt à une idéologie. D’où le clash.
C’était difficile d’être la bouche des sans bouches au PCF de ces années-là ?
Oui, c’était difficile, mais il a essayé.
Propos recueillis par FXG