Christine Kelly
ITW Christine Kelly, membre du CSA
« On ne parle plus de moi en tant que Noire, mais comme membre du CSA »
Voilà un an et presque trois mois que vous êtes membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Votre ancien métier de journaliste ne vous manque-t-il pas ?
Rires… Je ne regrette pas du tout l’antenne et j’oublie même que je faisais de l’antenne. En revanche, l’actualité me manque parfois, le fait de ne plus la vivre, de ne plus savoir tout ce qui se passe... Mais j’oublie complètement que je faisais de la télé. A ma grande surprise, je me suis totalement adapté à mon nouveau milieu. Des téléspectateurs me disent que j’ai disparu, que je leur manque, que j’aurai dû rester mais je leur dis que je sers les téléspectateurs autrement. On ne me voit pas, mais j’aide aussi à ma façon.
Vous avez été citée en exemple parce que vous avez renoncé complètement à votre carrière, contrairement à d’autres membres du CSA venus du service public et qui ont prévu une clause de retour… Vous jouez le jeu à fond, sans parachute ?
Lorsqu’on m’a nommée au CSA, je me suis demandée ce qu’était le CSA et à quoi je devais m’attendre. J’ai passé une nuit entière à éplucher tout le code de déontologie du CSA. On ne peut même pas imaginer ce qu’on ne peut plus faire ! J’ai dû fermer ma boîte de production avec laquelle je gagnais bien ma vie, vendre toutes mes actions des chaînes dans lesquelles j’ai travaillé avant. Ca a été un vrai long travail avec un avocat. Choisir, c’est renoncer. Donc j’ai choisi le CSA mais j’ai renoncé à beaucoup de choses.
Quel est le cœur de votre activité au CSA ?
Le rôle du CSA est de faire appliquer les lois de l’audiovisuel. Il y a une multitude de lois et d’articles de loi que toutes les chaines télé et radio doivent respecter et c’est ce à quoi nous sommes chargés de veiller. Nous sommes neuf conseillers et nous nous répartissons des portefeuilles. Je m’occupe de publicité et de protection du consommateur, d’accessibilité aux personnes handicapées, de la mission santé et développement durable et de France Télévisions dont je préside le groupe de travail. Je veille donc à ce qu’il n’y ait pas de publicité mensongère, clandestine…
Vous avez eu les honneurs du zapping de Canal +. On vous a vue présenter un nouveau pictogramme « P » pour produit placé…
Oh ! Je n’ai pas vu… C’est mignon ! Le placement de produit est une forme de communication commerciale toute nouvelle à la télé prévue par la loi du 5 mars 2009. Depuis un mois - nous avons délibéré - les fictions françaises peuvent faire de la publicité pour des marques. On peut voir des marques apparaître à l’écran. Il ne s’agit pas que de rentabilité mais aussi de réalisme dans les scènes. Si on tourne une fiction à Pointe-à-Pitre, qu’une personne est assise à la terrasse d’un café, il faut qu’elle puisse lire le France-Antilles. C’est ça le placement de produit.
Quel a été votre travail sur l’accessibilité aux handicapés ?
Le sous-titrage pour les personnes sourdes et malentendantes. La loi du 11 février 2005 demandait aux chaînes de sous-titrer les programmes dans un délai de cinq ans. Pour être prêt au 12 février 2010, on a dû voir, chaîne après chaîne, pourquoi ce n’était pas encore appliqué… Des téléspectateurs en Guadeloupe et en Martinique m’ont écrit pour demander pourquoi alors que TF1 sous-titrait ses journaux télévisés, ils n’en disposaient pas aux Antilles. J’ai dû écrire aux fournisseurs d’accès Internet qui reprennent TF1 sur ADSL pour savoir pourquoi ils reprenaient les programmes sans les sous-titres. Pour les chaînes d’info en continu, nous avons dû insister pour qu’ils fassent chaque jour un journal en langue des signes avec des tranches horaires réparties entre les chaînes. C’est une révolution ! Maintenant, je vais m’attaquer à l’audio-description pour les fictions.
Vous êtes justement la marraine d’une association de sourds et malentendants en Guadeloupe…
Oui, Karukinterface, et ça me tenait vraiment à cœur, d’autant que je me rends en Guadeloupe le 24 avril pour inaugurer un café signe, un restaurant d’insertion d’entreprise professionnelle pour favoriser l’insertion des sourds et malentendants.
Comment vous êtes-vous retrouvée la marraine de cette association ?
C’est lorsque je me suis rendue en Guadeloupe, le 26 juin dernier avec le président de la République, que j’avais accepté d’être marraine. Mais je profiterai aussi de ma présence en Guadeloupe pour participer aux entretiens de l’excellence, le 24 avril au matin au campus de Fouillole. Je suis là aussi marraine !
Et votre action dans le dossier santé et développement durable ?
Il s’agit surtout de la lutte contre l’obésité. Les chaînes ont signé le 18 février 2009 une charte alimentaire pour s’engager à faire des émissions pour apprendre aux enfants à bien se nourrir et à avoir des activités physiques. Les parlementaires voulaient supprimer la publicité des produits trop gras, trop sucré ou trop salé. J’ai pris ce dossier très à cœur et je me bats au côté des chaînes pour faire plein d’émissions de cuisine, sur les légumes, sur les fruits, sur l’alimentation équilibrée… Je suis ravie du résultat : les chaînes devaient faire 400 heures par et en ont fait 500. C’est un vrai bonheur de voir comment les chaînes jouent leur rôle social, leur rôle d’éducation… Ma belle surprise a été lorsque mes petits cousins qui ont 7 ans m’ont dit : « On a vu sur RFO qu’il fallait manger 5 fruits et légumes par jour… » Je vais d’ailleurs faire une audition spéciale avec RFO pour lutter contre l’obésité à la télé. Le président de la République m’a nommée membre de la commission obésité en France. Il y a 16 membres, des nutritionnistes, des profs de médecine, des élus… A chaque fois, je tapais du point sur la table pour dire : « Attention à l’outre-mer où les chiffres sont beaucoup plus élevés qu’en métropole. » 14 % pour les adultes et 4% pour les enfants contre 20 % en outre-mer… C’est comme aux Etats-Unis. Ca me fait mal au cœur et j’ai envie de pousser un grand coup de gueule. Arrêtons de subir l’alimentation qu’on nous donne. Un soda à table à chaque fois, c’est trop ! Arrêtons de manger n’importe quoi. La télé a son rôle à jouer, les parents aussi… Ce n’est pas les produits qui sont mauvais mais les comportements alimentaires.
Que faîtes-vous à la tête de la commission France Télévisions ?
On a eu un rôle actif pour le cahier des charges de France Télévisions, son contrat d’objectifs et de moyens. Maintenant, on attend le nom que va nous proposer le président de la République pour le prochain président de la télé publique. Si nous ne sommes pas d’accord avec ce nom, le chef de l’Etat sera obligé de changer son choix.
Faîtes-vous déjà l’objet de visites, de démarches de candidats ?
Habilement… Depuis six à huit mois environ, une dizaine de personnes agissent. On le sent dans des articles de presse, dans les invitations… Mais je me prononcerai sur le choix du président de la République avec les autres membres du conseil, en toute liberté…
France Ô sera nationale le 14 juillet, allez-vous veiller à ce qu’elle dispose de moyens suffisants pour produire ses propres programmes ?
Notre rôle c’est quand même de veiller à ce que France Ô ait des moyens, qu’elle puisse respecter le cahier des charges de France Télévisions, que France Ô joue son rôle auprès des spectateurs car c’est la chaîne de la diversité qui est appelée à jouer un véritable rôle. Ce n’est pas pour rien que le chef de l’Etat a pris cette décision de diffuser la chaîne sur tout le territoire. Nous devons veiller à ce qu’elle puisse jouer ce rôle là et prendre la place qui lui est due et proposée.
En outre-mer, les chaînes privées locales vont mal…
Elles sont quasiment toutes en souffrance. Il y en a deux ou trois qui sortent du lot, comme TV Huit Mont-Blanc. En outre-mer, c’est pire. Le CSA encourage ces chaînes car la population locale attend vraiment de ces télés. On l’a vu lorsqu’il y a eu la grève en Guadeloupe, que RFO ne diffusait plus et que tout le monde allait sur Canal 10… On nous faisait part des dérapages de telle ou telle chaîne. Donc, elles ont un rôle social à jouer et elles doivent faire attention à l’image des gens qu’elles véhiculent car qui les regardent ? La caissière, la femme de ménage, l’avocat et le médecin. Et parfois, ils ne se reconnaissent pas dans les programmes. Même si elles ont peu de moyens, qu’elles sont en souffrance, elles ne doivent pas perdre de vue que le téléspectateur ultramarin veut de la qualité. Il veut se voir et être fier de se reconnaître tel qu’il est dans les émissions. Ce qui n’est pas toujours le cas, parce que c’est vrai que financièrement c’est difficile et que le marché publicitaire est faible.
Comme Harry Roselmack, on a fait de vous et de votre nomination au CSA un symbole de l’ouverture à la diversité. Pour vous est-ce suffisant ?
Pour la première fois de ma carrière audiovisuelle en métropole, on ne parle plus de moi en tant que Noire et Antillaise, on parle de moi comme membre du CSA. Terminé.
Est-ce une victoire ?
Je suis allée assister à un colloque au Maroc pour parler des quotas et de la discrimination positive pour les femmes. Pas une seule fois je n’ai parlé de la couleur de ma peau, personne ne m’a posé de question. Depuis que je suis au CSA, plus personne n’en parle et ça, c’est une victoire pour moi. Mais avec Rachid Arhab et Emmanuel Gabla, la diversité est installée au CSA. Maintenant, est-ce que cela suffit ? Non. Je regarde LCI où j’ai coloré l’antenne pendant 9 ans et maintenant que je suis partie, il n’y a plus personne de couleur. Je constate qu’il n’y a pas eu de renouvellement alors qu’il y a des gens qui frappent à la porte sans cesse. Ca, on le déplore et le CSA tape régulièrement sur la table. C’est vous dire à quel point c’est important. Il faut changer l’état de droit, mais avant il faut changer l’état d’esprit. 10 ans après la loi sur la parité, il n’y a que 18 % de femmes à l’Assemblée nationale. L’état d’esprit, il est difficile à changer…
Ca passe par la télé aussi…
Ca passe par la télé, ça passe par Roselmack…
Et quand ça passe par Zemmour ?
Le CSA a eu une réaction collégiale pour dire que Canal + aurait du dire à Eric Zemmour de faire attention. Sur France Ô, l’animateur l’a mis en garde. Thierry Ardisson ne l’a pas fait, d’où la mise en demeure du CSA à Canal +.
Est-ce que sa provocation n’est pas un refus d’une forme de « bien-pensance » privatrice de liberté ?
Le débat Zemmour est un long et profond débat que j’ai eu en privé, en petit comité. Je ne peux pas me permettre de l’avoir là comme ça à cause de mon devoir de réserve. Le moindre truc peut être mal interprété donc, je ne peux pas me prononcer. Je serais journaliste, je vous dirai tout ce que je pense…
Que ferez-vous après le CSA ?
N’en déplaise à beaucoup qui veulent décider à ma place, je ne sais pas et je n’ai pas envie de me poser la question parce qu’il me reste 4 ans et 9 mois. Il se peut que je croise la route de quelqu’un comme j’ai croisé celle du président du Sénat qui m’a proposé le CSA. Mais, je ne sais pas du tout ce que je ferai demain. Pour l’heure, je viens de créer ma fondation qui s’appelle K d’urgence pour venir en aide aux personnes qui sont en situation d’urgence vis-à-vis de l’alcool, de la précarité sociale et surtout aux familles monoparentales. J’ai pris mon temps pour la créer sous l’égide de la Fondation de France.
Quand êtes-vous allée pour la dernière fois chez vous, à Lamentin ?
Je suis venue voir mes parents l’été dernier et j’y retourne à la fin du mois. Mais l’an dernier, j’ai dû y aller cinq ou six fois !
Propos recueillis par FXG (Agence de presse GHM)
"Rien ne m’est tombé du ciel"
« Je voulais être formée dans l’audiovisuel. J’avais fait deux ans à Archipel 4 et je voulais aller à RFO. Comme j’avais appris sur le tas, je voulais être formée. Je pouvais aller à l’INA, Institut national de l’audiovisuel. Trois jours de formation, 8 500 francs. J’avais 2000 francs de revenus par mois… Je me renseigne et j’apprends que c’est le conseil régional qui peut aider à financer. Je fais un dossier et n’obtiens pas de réponse alors que la date de la formation arrive. Alors un jour, je me suis plantée devant l’entrée du conseil régional à Pointe-à-Pitre et j’attends la présidente qui était alors Lucette Michaux-Chevry… J’ai attendu jusqu’à ce qu’elle passe avec ses gardes du corps. J’ai bondi sur elle en disant : « J’ai mon dossier, pourquoi ne me répondez-vous pas ? » Les gardes du corps m’ont arrêtée mais finalement, j’ai pu décrocher ma formation au dernier moment et partir pour faire ma formation audiovisuelle. Tout ça pour dire que si on ne met pas ses trippes sur la table, on n’avance pas. Ma formation ne serait jamais tombée du ciel, je suis allée la chercher, la décrocher. On ne donne rien, il faut aller défoncer les portes. C’est ce que j’ai fait ! Rien ne m’est tombé du ciel… Je me suis bagarrée toute ma vie. La seule fois où on m’a proposée un job, c’est au CSA. On m’a dit : « Madame, vous voulez venir ? » Je l’ai pris comme le couronnement de tous mes efforts parce que jamais, on ne m’a fait de cadeau. »