Cinquantenaire de l'Algérie - Benjamin Stora aux Antilles
Benjamin Stora donne deux conférences, les 11 et 12 juillet, en Martinique et en Guadeloupe, autour du cinquantenaire de l'indépendance algérienne et de Frantz Fanon
« L’Algérie, une histoire progressive de séparation »
Comprenez-vous l’intérêt que peut susciter le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie dans des départements qu’on a longtemps appelés « les vieilles colonies » ?
Oui dans la mesure où il y a cinquante ans, il s’agissait de se débarrasser d’un système colonial. La question coloniale continue bien sûr d’agiter beaucoup d’esprits en rapport avec l’histoire de l’esclavage, de la colonisation tout au long des 18, 19 et 20e siècles. C’est une question qui continue de préoccuper, de mobiliser intellectuellement beaucoup de personnes aux Antilles aujourd’hui.
En Martinique, il existe un fort parti indépendantiste, en Guadeloupe, c’est moindre mais réel aussi. Cela vous inspire-t-il une réflexion particulière en comparaison de ce que vous avez étudié et vécu ?
Pour être honnête, je connais mal la situation en Martinique ; je ne suis pas un spécialiste des Antilles mais du Maghreb et je ne peux pas me prononcer sur les différentes composantes des mouvements politiques en Martinique, en Guadeloupe ou en Guyane. Je ne connais pas leur histoire particulière, leurs leaders, leurs programmes mais il y a un rapport à l’histoire visant une émancipation, une décolonisation des esprits, des stratégies de conquête d’égalité politique et qui rentrent en résonnance avec ce qui a pu se passer il y a un demi-siècle dans la guerre d’Algérie.
Beaucoup d’Antillais ont participé à cette guerre et quelques fois dans le camp du FLN…
Les années 1950-1960 sont un moment très fort de ce qu’on appelle la décolonisation. C’est un moment de rupture, de basculement et dans cet instant très particulier, un personnage comme Fanon a pu penser la question coloniale, comme la question noire d’ailleurs, de manière universelle en utilisant la problématique centrale de l’émancipation des peuples et des individus. C’est pour ça qu’il y a eu cet engagement et cette résonnance très forte qui s’est perpétuée dans les consciences politiques.
Quel angle avez-vous choisi pour évoquer la guerre d’Algérie ?
Ma conférence portera sur l’histoire de la guerre d’indépendance algérienne à travers l’itinéraire particulier de Frantz Fanon. C’est un itinéraire exemplaire, celui de quelqu’un qui est engagé dans la Seconde guerre mondiale contre le nazisme comme ça a été le cas de milliers de colonisés qui ont combattu à cette époque-là. Il a participé à tous les débats, toutes les discussions politiques qui ont mené à ce qu’on a appelé la naissance du tiers-monde avec la conférence de Bandoeng en avril 1955. Dans ces années 1945-1955, il a été pris dans ce tourbillon, cette effervescence à la fois culturelle, intellectuelle, politique. A partir de sa trajectoire, que ce soit la Seconde guerre mondiale, la montée du tiers-monde, la séparation d’avec la France sur la question coloniale, l’indépendance algérienne, je vais essayer de raconter l’histoire de l’Algérie qui est aussi une histoire progressive de séparation. L’itinéraire de Fanon illustre cet écart et ensuite cette séparation.
Vous êtes un universitaire, spécialiste de l’Algérie, de l’Indochine et même du Maroc mais il semble qu’avec le temps, l’homme Stora, le témoin de l’histoire ressort derrière l’historien. Comment mêle-t-on son histoire à la grande histoire ?
Il y a une part d’émotion, de subjectivité qui s’ajoute effectivement au récit historique traditionnel, au récit classique. Ca fait quarante ans que je travaille sur l’histoire de l’Algérie, du Maghreb, de la colonisation et c’est vrai qu’il y a tout un processus de passerelles entre le travail classique sur archives écrites, le travail sur les images et les imaginaires, le travail sur la mémoire collective et les représentations et enfin, la part singulière, personnelle dans ces mémoires collectives. Il n’y a pas d’étanchéité entre les séquences de ces travaux successifs.
Peut-on dire qu’en faisant votre métier d’historien, vous faites aussi une quête identitaire ?
Je ne pense pas parce que je suis rentré dans le monde de l’histoire par rapport à une quête d’universalité et pas d’identité communautaire ou d’appartenance singulière. Lorsque j’ai commencé à travailler sur l’histoire de l’Algérie ou du Vietnam, ce qui m’a intéressé, c’étaient les ruptures révolutionnaires de ces histoires en ce qu’elles avaient d’universel. Je me suis plus intéressé au basculement général, universel qu’au simple ressourcement identitaire. Ce ressourcement n’a pas été un moteur pour moi mais en même temps, il est évident que la part personnelle a joué un rôle et joue aujourd’hui un rôle plus important qu’il y a 30 ou 40 ans, mais ce n’était pas l’impulsion initiale.
En venant aux Antilles, pensez-vous y trouver matière à études qui vous intéresseraient ?
Pourquoi pas... Tout dépendra des débats, des rencontres, des discussions. J’ai déjà été en Guadeloupe il y a une vingtaine d’années, mais je ne connais pas la Martinique. C’est l’occasion pour moi de faire circuler le savoir, la connaissance de ce qu’ont été les mouvements anticoloniaux et de voir comment se marquent les empreintes ou les résonnances de toutes ces batailles lointaines avec le présent. Ca peut donner des idées de réflexion, d’interprétation du présent en fonction de tous ces lumières du passé.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)
Pour se familiariser avec le sujet, La guerre d’Algérie expliquée à tous, par Benjamin Stora, éditions du Seuil
Et pour les résonnances du passé, Benjamin Stora publie à la rentrée, chez Stock, Voyages en postcolonie, Viêt Nam, Algérie, Maroc.