Claudy Siar quitte la délégation interministérielle de l'Outre-mer
Interview Claudy Siar, démissionnaire de la délégation interministériel à l’égalité des chances des Français d’outre-mer à compter du 27 juillet. Son successeur pourrait être nommé en septembre et serait vraisemblablement réunionnais.
« Je souhaite m’engager un peu plus dans l’action politique »
Depuis quand avez-vous pris la décision de partir ?
J’ai adressé ma lettre le 26 juin. Je ne laisse qu’une chose pendante mais qui me tenait à cœur, créer la fédération nationale des associations d’outre-mer. Je laisserai ce dossier à mon successeur ; ca me paraît important pour que les populations qui oeuvrent dans l’associatif soient mieux identifiées et pour ajouter au besoin de considération des Français d’outre-mer dans l’Hexagone.
Vous, l’artiste, l’homme de communication et de média, êtes-vous satisfait de votre expérience à la tête de cette délégation ?
Je suis passé par tous les stades… J’ai eu beaucoup de mal avant d’accepter, j’ai fini par le faire. J’ai eu des moments, pas de regret, mais de doute pour l’avoir fait et puis, maintenant que tout ça est achevé, je ne regrette rien. J’ai toujours dit que ça ne serait qu’une étape dans mon parcours de militant. J’ai bien compris que beaucoup n’aient pas eu la bonne lecture du fait que j’accepte et que je dise surtout que quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, je partirai à l’issue du second tour.
En fait certains vous l’ont reproché parce que c’était une proposition du président Sarkozy…
Les questions d’égalité, de discrimination envers une frange de la population dépassent les clivages politiques. Je suis allé au-delà. Je savais que j’allais prendre beaucoup de coups parce que c’était Nicolas Sarkozy. Et si ça avait été quelqu’un d’autre ? Aurait-on proposé à un homme de la société civile engagé depuis l’âge de 17 ans dans ces combats ? Je pense qu’on ne me l’aurait pas proposé. Et c’est important qu’il y ait des femmes et des hommes de la société civile qui, un moment donné, intègrent les arcanes du pouvoir et de l’Etat pour essayer d’apporter des solutions. Parce que c’est nous, gens de la société civile qui vivons les problématiques et on peut apporter des solutions. Et je rappelle que la délégation ce n’est pas gouvernemental mais administratif, c’est l’Etat.
C’est néanmoins interministériel. Vous êtes-vous senti à l’aise face aux collaborateurs des ministres ?
Je savais que je n’avais pas forcément les codes et que, ne venant pas du sérail, ce serait difficile pour moi d’exprimer certaines choses. Mais qu’importe, ma vision était d’apporter autre chose, un autre regard, une autre réflexion mais surtout des solutions. J’ai étonné un peu par mes propos, que ce soit avec les services de l’Etat ou, par exemple, les opérateurs de téléphonie mobile, mais je les ai ramenés à quelque chose de plus humain, à essayer d’être moins froids dans le lecture des problématiques qui leur étaient posées, des demandes des consommateurs… Le 20 mars dernier, face à Eric Besson et aux opérateurs de téléphonie mobile, j’ai rappelé qu’on était au lendemain du 66e anniversaire de la départementalisation et je leur ai dit que des hommes et des femmes s’étaient battus pour une égalité de traitement et que nous étions responsables de cela, de l’égalité que nous donnons à ceux que nous sommes sensés servir. J’ai touché les uns et les autres… Nous, gens de la société civile, avons une autre façon, parfois plus émotive, en tout cas très pragmatique d’aborder les problématiques et c’est ce que je crois que j’ai fait.
Quelle a été votre philosophie ?
Comment, dans un laps de temps très court et dans une période propice, arriver à régler à la fois ce qu’est la représentation de la France, les problèmes de précarité des Français d’outre-mer, ceux des étudiants diplômés qui se retrouvent au bord de la route à cause de leur adresse ou de leur faciès, ceux des jeunes entrepreneurs qui ne sont pas dans les réseaux… Comment mettre en place des outils et comment organiser cette communauté ? Le vrai problème de la communauté des Français d’outre-mer, c’est qu’elle n’est pas organisée. J’ai voulu le faire dans le domaine de la culture et de la musique, des médias, de l’entreprenariat, des associations. Nous sommes aujourd’hui mieux armés pour discuter avec le pouvoir.
En mettant la communauté au cœur de votre philosophie, n’y avait-il pas le risque que vous soyez davantage un « super associatif » qu’un délégué interministériel ?
Il fallait sortir du carcan du costume du délégué interministériel. Je ne suis pas comme le délégué interministériel à la sécurité routière ou du logement. On est face à des choses qui relèvent du poids de l’histoire, des imaginaires à reconstruire…Il y a une perception de l’Outre-mer et de ses originaires comme si nos terres n’étaient que les confettis de l’ancien empire colonial. Sinon comment expliquer toutes ces inégalités qui perdurent et contre lesquelles personne ne fait rien. Tous les partis qui se sont succédé au pouvoir sont responsables de cette situation et nous nous sommes, nous, habitués à l’injustice. Nous sommes victimes.
Quelle a été votre grande satisfaction ?
Je ne suis pas venu faire un sprint et obtenir des victoires fulgurantes. Je suis venu ajouter un grain de riz au sac de riz. Et les petites graines que j’aurai pu planter germeront. Je suis très heureux que sur la téléphonie mobile on ait eu une avancée. Ce n’est pas encore la pleine égalité mais c’est déjà un premier pas. Maintenant, il faut tuer le roaming mais 50 % de la responsabilité de ce problème revient à l’Etat. Si on change le cadre structurel, on règle le problème du roaming… On a permis à 80 projets portés par des associations d’outre-mer de voir le jour ou, en tout cas, d’être subventionnés. Ma grande satisfaction vraiment personnelle a été de recevoir dans le cadre du Black history month, Katleen Cleaver des Black panthers sous les ors de la République… Quelqu’un de très politique ne l’aurait jamais fait.
Et la grande déception…
De ne pas avoir réussi totalement, mais j’ai été très présomptueux, à faire comprendre à la majorité des originaires d’outre-mer que seule l’organisation, la fédération pouvaient mettre un terme aux injustices que nous dénonçons depuis déjà trop longtemps. Cette voix a été noyée dans des lectures trop politiques de ma mission.
Vous avez aussi subi beaucoup d’attaques personnelles. Certains vous ont reproché d’être trop flamboyant, trop show biz et même d’avoir fait profiter votre frère de largesses à l’occasion du Noël pour tous voire des concerts de solidarité organisés par votre délégation…
L’opération Noël pour tous a coûté 87 000 € HT. Aucun arbre de Noël n’a coûté aussi peu d’argent dans une collectivité régionale. Il a fallu nouer des partenariats et trouver de l’huile de coude. Il y a des sociétés qui sont venues fournir des prestations et des gens qui sont venus travailler bénévolement, mon frère fait partie de ceux-là. Pensez-vous que je sois assez bête pour faire des choses qui me vaudraient une volée de bois vert ?! Chacun est libre de regarder les comptes.
Que ferez-vous après le 27 juillet ?
Dès le 30, je serai à l’antenne de RFI pour la reprise de Couleurs tropicales. Je vais reprendre aussi la télévision mais je n’en parle pas encore, ce sera pour après la rentrée. Je vais aussi continuer mes actions militantes puisque je vais définitivement faire en sorte que le mouvement Génération consciente ait une légitimité dans l’Hexagone et pas seulement en Afrique. Et je souhaite m’engager un peu plus dans l’action politique.
Vous vous en défendiez il y a peu…
Ce n’est pas Claudy Siar mais le mouvement Génération consciente avec des gens que je souhaite mettre en avant. Je ne crée pas un mouvement pour me soutenir. On ne perd pas de vue 2014 ni les problématiques qui attraient aux gens d’outre-mer mais pas seulement. On veut définitivement mettre un terme à l’emploi du mot diversité car il marginalise. Avant, nous étions des Nègres, puis des gens de couleurs et maintenant la diversité… Faut qu’on arrête ! Et enfin, si la France est un archipel, il faut qu’elle soit incarnée avec l’ensemble des régions et départements d’outre-mer. S’il y a réticence, les uns et les autres comprendront bien que nous ne sommes pas des Français comme les autres. Que la France soit en accord avec ses préceptes.
Etes-vous autonomiste ?
Je ne suis pas autonomiste mais j’ai toujours dit que je suivrai la voix de la majorité. Si la majorité des originaires d’outre-mer pense qu’il faut une évolution statutaire plus importante, je serai dans cette logique. Et si nous sommes Français, je serai plus intégriste que les plus intégristes à dire qu’il faut régler les problèmes de disparités entre l’outre-mer et la France hexagonale. C’est à notre pays d’être clair. Il ne peut y avoir des principes de continuité territoriale accordée à une région d’outre-mer comme la Corse et le refuser aux autres outre-mer.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)/Photos : Régis Durand de Girard