De nègres et de békés d'Henri Micaux
De nègres et de békés, une journée de chien d’Henri Micaux (Mon petit éditeur)
Guadeloupe, 1949. Amédée, ouvrier agricole du sud Basse-Terre va travailler dans la plantation d’un riche béké, Michel de Blanière. Le livre démarre sur une Guadeloupe qui semble être celle de l’enfance de l’auteur, avec ses parfums de mangues et de prunes de Cythère. C’est dans ce triangle entre Saint-Claude, Basse-Terre et Gourbeyre qu’Henri Micaux a grandi entre 1945 et 1953. Sylvère le chaben, est le géreur de la plantation de Blanière. Il doit faire face à une fronde de ses ouvriers qui réclament une hausse de salaire et une amélioration de leurs conditions de travail… C’est Amédée qui mène la revendication. On pense être alors dans un roman social. Mais il y a l’imprévisibilité des choses et des hommes, la tentation du rhum, les Blancs, les Noirs et ce qui les sépare, ce qui les unit… « C’est Amédée qui m’a entraîné, presque malgré moi », confie Henri Micaux… Et voilà que le roman à la Zola tropical devient un roman tout court. Micaux nous étonne, nous surprend. Où le nègre et le béké, tels deux héros de la tragédie grecque sont tous deux poursuivis par l’inexorable destin…
FXG
ITW Henri Micaux
« Le destin n’est pas meilleur pour le Noir que pour le béké »
Quelle était votre intention au départ ?
Quand j’ai eu l’idée de ce livre, je voulais poser mon regard sur les problèmes des Antilles actuellement et, chemin faisant, je me suis laissé prendre par le héros Amédée et ce livre est devenu son histoire. En somme, la thématique des problèmes sociaux et raciaux est non pas marginale, mais elle est le décor.
Pourquoi ce titre, De nègres et de békés ?
Mon point de départ et mon point d’arrivée ressemblent à ceux du roman de Steinbek, Des souris et des hommes. Il met en scène au début deux ouvriers agricoles qui arrivent sur une plantation, et à la fin, l’un d’eux est tué au bord d’une rivière…
Amédée, le héros, symbolise le Guadeloupéen moyen, ouvrier agricole qui a une conscience politique, grande gueule et revendicatif…
Il est symbolique de l’employé guadeloupéen mais le destin des employés n’est pas simplement ça… Si vous vous rappelez l’histoire de Steinbeck, Des souris et des hommes, le sort de Lenny qui est tué par Georges à la fin du récit est en quelque sorte inévitable alors que le destin d’Amédée est purement accidentel. Je veux dire par là que le destin n’est pas meilleur pour le Noir que pour le béké. Ils sont l’un et l’autre victime des hasards de la vie.
Ceux qui s’en tirent le mieux sont les gendarmes…
(Rires !)
Comment arrivez-vous à cette bascule entre le moment on l’est installé dans le conflit social et ce qui fait que ça va déraper ?
Il me semble que les antagonismes qu’il y a actuellement aux Antilles et qui datent de longtemps, les békés et les Noirs devraient y renoncer et s’efforcer de faire ensemble quelque chose qui soit viable pour tout le monde…
Un de vos personnages, Sylvère le géreur, a compris cela…
Incontestablement, il dit ce que je pense… Je l’ai mis dans la situation qui était exactement celle de mon père qui était le fils d’un Blanc et d’une jeune bonne qui était chez lui
Emmanuelle la fille du béké tient aussi un discours humaniste.
Oui… J’ai connu des filles de fonctionnaires, venues de métropole, qui étaient entre deux chaises. Les jeunes noirs ne les acceptaient pas et elles étaient très ouvertes, prêtes à comprendre la situation. C’est ce que j’ai voulu traduire dans l’image la jeune Emmanuelle…
Sa famille, les de Blanière sont-ils inspirés ?
Ce sont des gens purement imaginaires d’autant que je n’ai jamais fréquenté de békés quand j’étais en Guadeloupe. J’ai connu des jeunes qui étaient à l’école avec moi comme les fils Damoiseau, les fils Lignères qui étaient d’excellents camarades et parfaitement de plain-pied avec nous. Le problème entre blancs et noirs s’est réveillé après mon départ de la Guadeloupe en 1953. Il y a eu les événements du Moule en 1954, puis mai 1967…
Amédée n’est pas pour autant un indépendantiste ?
Pas du tout. Il a l’impression qu’il est dominé par les békés de l’île et il voudrait que les choses soient mieux réparties. L’idée d’indépendance ne l’effleure pas.
Propos receuillis par FXG (agence de presse GHM)