Decret carburant Outre-mer
Le décret de la discorde
« Ni ajournement, ni abandon », assurait l'entourage du ministre Lurel. La discussion entre les acteurs du carburant des cinq DOM (gérants de station et pétroliers) et le ministre des Outre-mer, a démarré mercredi peu avant 16:30 pour s’achever 3 heures et demi plus tard. Sur un constat d’échec. « On a assisté à un combat de coqs entre les compagnies qui sont sur leurs intérêts économiques et un ministre qui veut faire passer une decision politique », regrette Patrick Collé, président de l’intersyndicale de gérants de stations-service d'Outre-mer. Une quarantaine de personnes se sont mises autour de la table pour discuter du projet de décret carburant et des arrêtés de méthode. Outre Victorin Lurel, un représentant de Bercy et un autre de l'Ecologie. Face à eux, le pdg de la SARA, Tanguy Descazeaud, Joël Maës, directeur général de la SRPP ou Mathieu Soulas de la SMSP (Mayotte). Avec eux d'autres cadres et des actionnaires des compagnies pétrolières. Les gérants, Gérard Lebon (Réunion), Patrick Collé (Guadeloupe), Marc Ho A Chuk (Guyane) et Jacques-André Lubin (Martinique) sont assis sur le côté, entre les deux. Quand le ministre arrive, les visages sont tendus pour ne pas dire mauvais. « Je sais ce qui nous a opposés, a déclaré le ministre à ses hôtes en ouverture du dialogue. J'espère qu'il s'agit d'une incompréhension. »
La réunion s’est poursuivie à huis clos. Chacun a fait valoir son point de vue. Le gouvernement tient bon sur le décret qui sera, promet-il, publié au 1er janvier 2014. Le conseil d’Etat a rendu mardi un avis favorable sur le texte. « La réduction des marges sera raisonnable et permettra de maintenir une rentabilité de capitaux suffisante », indique la com´ du ministère sur son site Internet. Les pétroliers insistent pour un report. « Nos remarques, indique Hervé Maziau, president des importateurs à la Réunion, n’ont pas ete prises en compte et le décret a été confirmé dans l’état. Ça ne nous convient pas. » Pas question pour eux de ce décret qui remet en question leur « équilibre économique », donc celui des gérants. Les parties se sont séparées sur un désaccord. Les pétroliers n’ont pas prévu de revoir Lurel ; ils vont saisir le Premier ministre. Les gérants envisagent le pire avec la promesse des pétroliers de reprendre leurs gérances. Dès lors, ils agitent toujours la menace de la grève et du blocage.
FXG, à Paris
Confrontation gérants pétroliers
La concertation engagée s'est très vite concentrée sur un seul argument avancé clairement par les pétroliers : « Comme on baisse nos marges, on ira les récupérer sur autre chose. » Et pour la première fois ils ont précisé les craintes que les gérants expriment depuis que la réforme du décret Penchard est sur la table. « Nous pourrons reprendre les gérances si nous ne sommes pas à l'équilibre. » Et, de fait la concertation tripartite vire à la confrontation entre pétroliers et gérants devant le gouvernement. Sur la réaffirmation d’un « objectif politique » par le ministre, les pétroliers se sont levés comme un seul homme, imités dans la foulée par les gérants qui ne sont toutefois pas sortis tout de suite.
« Un report ne veut pas dire abandon, a regretté Florian Cousineau, représentant du Groupement des distributeurs, le GPP des Antilles-Guyane, prenons le temps de la discussion. »
Patrick Collé a indiqué qu’il restait encore 24 heures à Paris et Victorin Lurel lui a offert de le voir dès ce jeudi. Il veut « faire des propositions concrètes aux gérants afin de sécuriser les activités et les emplois de leurs entreprises.
Quelques chiffres
30 centimes de plus
Le prix du sans plomb est quasiment le même outre-mer et dans l'Hexagone. Mais hors taxe, le carburant revient 30 centimes de plus au litre alors que les taxes sont moindres que dans l'Hexagone. Les arrêtés de méthode en discussion doivent permettre de justifier chaque centime de ces 30.
90 millions en 2011
Dans une tribune publiée en juin dernier, Victorin Lurel annonçait 50 millions de bénéfices après impôts pour la SARA en 2011 et 40 pour Mayotte et la Réunion. « Sans compter les résultats des stations », précisait-il.
Article 2
C'est l'article 2 du décret qui fixe « le prix maximum hors taxes de sortie de raffinerie, hors passage en dépôt ».
La méthode de fixation de ce prix doit tenir compte des coûts moyens des importations au prorata des quantités importées, à partir des cotations de référence sur les zones effectives d'approvisionnement (et non sur celui du Brent, le plus élevé du marché !) et du cours moyen du dollar. Il doit aussi tenir compte des coûts d'assurance et du fret et « des coûts pertinents et dûment justifiés de la société chargée du raffinage ainsi que des efforts de productivité réalisée par cette société ».
9 % de marge
C'est le chiffre que prevoit l'un des arretes de methode pour limiter la part de marge sur le prix de gros du carburant pour la SARA. Il est repute etre a 15 % actuellement. Cette fixation du taux est possible aux Antilles car la SARA fait valider ses comptes par l'Etat. Aucun chiffre n'est prevu de telle sorte dans les arretes de methodes pour Mayotte ou la Reunion.
VERBATIM
Herve Maziau, président du Comité des importateurs d’hydrocarbures de la Réunion
« On a fait part de notre désaccord. Pour l’instant, le ministre nous dit que le décret ne sera pas modifié. On en a pris acte et nous attendons que les arrêtés de méthode soient publiés.
Nous avons fait des remarques sur les conditions d’importation des carburants, les marges des distributeurs, sur différents éléments de communication et d’information. Nous n’avons pas eu réponse à toutes nos questions. On verra avec l’ensemble de la filière ce qu’il conviendra de faire. »
Patryck Peru-Dumesnil, directeur de SOL – Guyane
Qu’est-il ressorti de cet échange ?
Apres 4 heures de discussion et un simulacre de concertation, on n’a toujours aucune visibilité sur le projet, aucun chiffre donc on va en appeler au Premier ministre puisqu’il paraît impossible d’avoir une discussion claire, faite sur des bases économiques. Nous sommes bloqués sur ce projet qui apparemment se fait dans la précipitation. Nous voulons au moins un report ou en tout cas une vraie concertation.
Etes-vous prêts à baisser vos marges ?
Il n’y a pas de marge à deux chiffres aux Antilles ni en Guyane. Ma marge de gros officielle en Guyane, régulée par les services de l’Etat, est de 0,0985, allez dix centimes !
Qu’est ce qui vous gêne dans ce décret ?
Nous n’avons aucune visibilité pour nos entreprises sur ce qui va se passer dans quelques mois. On ne peut pas vous dire de travailler sans avoir à attendre trois mois pour savoir votre salaire !
Vous menacez de ne plus garantir le modèle économique ?
Quand vous avez un changement dans toute sa structure d’un système qui a fait ses preuves depuis des dizaines d’annees, il est légitime de poser la question de savoir comment on va fonctionner pour protéger les intérêts de nos sociétés.
Peut-on parler de menaces sur l’emploi ?
Ce n’est pas une menace, c’est un état de fait. Sous quelle forme ? il y a différentes formes comme la gestion directe, le mandataire… Nous, ce que l’on souhaite, c’est garder le modèle actuel. C’est générateur d’emplois, de services et ca fonctionne bien depuis 35 ans !
Patrick Collé, président de l’intersyndicale de gérants
La réunion est-elle un échec ?
C’est un échec, ca n’a rien donné. Les pétroliers nous ont dit de manière très claire qu’ils n’allaient pas renouveler nos contrats. C’était notre crainte et elle a été vérifiée. Nous allons être malheureusement obligés de nous mobiliser pour pouvoir défendre notre profession.
Nous allons discuter avec notre base, mais c’est vrai que nous sommes très amers.
Déçus de l’attitude des pétroliers ou du ministre ?
Déçus par rapport aux deux parties. Les pétroliers veulent virer les gérants. Sept d’entre nous ont déjà perdu leur station. Et le ministre de l’Outre-mer n’apporte pas de réponses concrètes quant au fait de la garantie des relations contractuelles. On se retrouve dans une impasse…
Le ministre vous a-t-il confirmé l’application du décret au 1er janvier ?
Il nous a dit que c’était une decision politique. On ne tient nullement compte des petits chefs d’entreprise que nous sommes et des 3700 emplois que nous portons. Entendre parler de volonté politique, c’est dur. On a l’impression d’etre les sacrifiés de cette volonté politique. Deux logiques s’affrontent. L’une est politique, l’autre est économique et sociale et c’est celle-la que nous défendons.
La transparence semble bien difficile à faire…
Nous ne sommes pas contre la transparence. Plus le prix sera bas à la pompe, mieux ca nous ira, mais il faut prendre le temps pour modifier un dispositif qui pour l’instant marche.
Avez-vous été instrumentalisés par les compagnies pétrolières ?
Peut-être… Mais quels moyens avons-nous pour nous défendre ? On ne prend pas la population en otage, on défend notre job et nos employés.
Propos recueillis par FXG, à Paris