Edouard Glissant
Interview Greg Germain, président du festival off d’Avignon et ami d’Edouard Glissant
« La pensée d’Edouard Glissant a alimenté les hommes politiques »
Au-delà de la personnalité d’Edouard Glissant, vous perdez un ami ?
J’éprouve du chagrin parce que je le considérais comme un parents et comme un référent parce qu’il avait l’habitude de décoder, lorsque l’on parlait ensemble, toutes les grandes histoires du monde qu’il connaissait si bien à travers les imaginaires qu’il écrivait.
Vous l’avez beaucoup reçu au théâtre des outre-mer en Avignon. Quel était l’objet de votre travail ?
Notre théâtre est né de cette idée absolue du tout-monde. D’ailleurs, la compagnie que j’anime avec Marie-Pierre Bousquet s’appelle la compagnie du tout-monde. Si je prends tous les écrits d’Edouard Glissant depuis le tout-monde qui est le choc de toutes les cultures, des cultures qui s’embrassent, se repoussent, s’épousent, se rejettent, subsistent pourtant et se transforment à vitesse éclatante, c’était ce que nous voulions montrer, que les imaginaires multiples qui font la France d’aujourd’hui pouvaient fréquenter les salles de ce pays là ! Et je me souviens d’un passage de La poétique de la relation que j’ai utilisé à propos de notre théâtre : « Ceux qui tiennent rendez-vous ici viennent toujours d’un là-bas, de l’étendue du monde… » C’est ce qu’Edouard m’a permis comme emprunt lorsque nous avons ouvert ce théâtre.
Il a permis plus que cela comme emprunt, puisqu’il a accepté que la salle du théâtre soit baptisée de son nom…
C’est un hommage que je voulais lui rendre. Je ne peux m’empêcher d’être Français et je ne veux m’empêcher de croire que ceux que je considère comme des valeurs universelles, en tout cas les penseurs universels de notre pays ne sont jamais cités ou mis à l’honneur. C’est vrai que ce n’est pas grand-chose, une petite salle d’un petit théâtre à Avignon pendant le Off. Mais c’était notre façon de rendre un hommage fondamental à Edouard Glissant. Il y a quelques temps, un hebdomadaire national a fait sa liste des cents penseurs français et bien il n’y avait pas Edouard Glissant.
Pensez-vous qu’Edouard Glissant soit considéré à sa juste valeur dans la nation française ?
Curieusement, Edouard Glissant est beaucoup plus considéré, cité et quelque fois copié par les politiques. Pourtant, on craignait le politique qu’il était… Puisque de la politique à la poétique, il n’y a qu’un pas. Quand on prêche la diversité du monde dans un pays aux Dieux jaloux puisque nous sommes en Europe, en France où l’on a tendance à considérer les autres cultures du monde comme étant mineures, la pensée d’Edouard a alimenté les hommes politiques. J’en veux pour, preuve le discours que Villepin a prononcé à l’ONU et qui véritablement vient de la pensée d’Edouard, ou encore le discours de Jacques Chirac au Cap en septembre 2002 quand il dit : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs… » Jacques Chirac a écrit à Edouard Glissant pour lui dire combien il avait emprunté au philosophe martiniquais. Car la France est un petit laboratoire où se mélangent des gens d’Afrique, du Pacifique, des Caraïbes, de l’océan Indien, ce sont les cultures du monde qui se rejoignent, c’est une nouvelle créolisation qui se fait dans les banlieues françaises. C’est une nouvelle façon de s’exprimer, de manger, de boire. C’est cela les imaginaires du monde, c’est ça la pensée archipélique de la diversité.
Si vous deviez n’en garder qu’un, quel livre de Glissant conserveriez-vous ?
Poétique de la relation. Glissant est un auteur difficile mais pour autant si l’on se donne la peine de le lire, la pensée est là, fulgurante. Quand il dit qu’avec une langue qui disparaît, disparaît une part de l’imaginaire du monde…
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)