Edouard Glissant à Avignon - ITW Taubira
Christiane Taubira
« Edouard était un militant politique »
Vous êtes venue à Avignon pour l’hommage à Edouard Glissant ?
C’est un engagement que j’ai pris auprès de la direction du TOMA puisque, à la suite du décès d’Edouard, le 3 février dernier, Marie-Pierre Bousquet et Greg Germain m’ont demandé de participer à cet hommage. Connaissant les dates assez tôt, j’ai bétonné ça dans mon agenda par amitié pour Edouard, par gratitude aussi puisque s’il a été un ami ces quinze dernières années, j’ai découvert sa littérature il y a 35 ans et il a été pour moi un éclaireur intellectuel.
Poétique et politique de la relation sont des thèmes chers à Glissant dans lesquels vous devez vous retrouver…
Bien entendu, la créolisation du monde aussi, l’importance de la mise en contact des cultures parce que moi, Guyanaise, je viens d’une société qui a connu la créolisation, c'est-à-dire une société où il y a à la fois ce qu’Edouard Glissant appelle les civilisations ataviques, je pense aux civilisations amérindiennes, les civilisations créoles qui sont nées du grand chambardement de la traite et de l’esclavage… Il y a aussi la trace de la traite et de l’esclavage avec les civilisations bushinengués. Nous avons en Guyane un concentré de ces cultures millénaires, ces cultures de résistance et ces cultures de syncrétisme. En Guyane où viennent des personnes de tous les continents, de toutes les cultures, le contact continue à se faire, parfois dans la défiance, parfois dans le rejet, mais finalement avec le temps, le contact se fait et cet amalgame finit par prendre. Je suis totalement dans mes engagements politiques quand je suis sur mes dossiers d’immigration, la coopération, les solidarités internationales, le refus des injustices et des inégalités dans le monde, y compris au sein de l’organisation mondiale du commerce… Tous mes engagements politiques sont inspirés par cette conception du monde. Nous habitons tous la même planète ; les cultures ont droit de cité mais elles ont une égale dignité et il faut créer les conditions pour que les cultures se rencontrent. La Guyane est vraiment un modèle dans ce sens.
De quoi avez-vous choisi de témoigner ?
Il y a eu une émission sur France Culture où nous avons parlé d’Edouard de façon plus intime, plus littéraire et musicale, mais bien entendu de ses engagements politiques car il ne faut pas oublier qu’Edouard était un militant politique. Il a été expulsé de la Martinique comme Albert Béville, Yvon Leborgne, Marcel Manville ou Marius Miron. Il était très engagé ; il a signé le manifeste des 121 en solidarité avec les Algériens, comme Frantz Fanon ou Sony Rupaire qui se sont engagés dans la guerre en Algérie. Donc Edouard était un militant indépendantiste dans un parti autonomiste. C’est une période où l’on cherchait ses marques..
Que pensait-il de votre engagement ?
Nous avions des discussions éruptives. Il me taquinait sur la politique mais Edouard m’a quand même envoyé un message de soutien dont je n’avais pas besoin personnellement et qui ne lui apportait rien à lui, mais il a tenu à faire le geste et j’ai reçu son message personnel pour les législatives de 2007… C’est zéro utilité électorale, mais c’est un magnifique témoignage d’amitié. Edouard a signé la pétition que j’ai lancée pour accorder le droit de vote à nos diasporas lorsqu’il s’agit du statut de nos territoires. Edouard avait de la distance par rapport à la politique car il savait la surplomber mais en même temps, il identifiait des combats, les soutenait, les accompagnait. Il les irriguait. Moi, je me nourrissais…
Le théâtre est un art, mais il est aussi politique. Allez-vous voir des pièces ?
Je vais voir toute la programmation du TOMA, nos artistes guyanais, Emile Romain et Grégory Alexander qui se produisent… Ceci étant, je n’attends pas le festival d’Avignon pour aller au théâtre, au concert…
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)