Evolution institutionnelle en Guyane et Martinique - ITW des sénateurs
Trois absentions et un vote pour
Adoptée au Sénat dans la nuit de jeudi à vendredi après dix heures de débat, la loi portant évolution institutionnelle de la Guyane et de la Martinique n’a eu le soutien que du seul sénateur martiniquais, Serge Larcher, tandis que son compatriote Claude Lise et les deux sénateurs de Guyane, Jean-Etienne Antoinette et Georges Patient, ont préféré s’abstenir. Le texte pourrait être examiné à l’Assemblée nationale courant juin. Interview croisée des sénateurs Antoinette, Patient, Lise et Larcher.
Qu’est-ce qui a motivé votre abstention ?
Jean-Etienne Antoinette : C’est une coquille qui est vide ! Nous n’avons pas de moyens ni de compétences supplémentaires ; la gouvernance n’a pas changé. C’est une simple réorganisation administrative comme on l’a toujours annoncée. Contrairement à ce qu’a obtenu la Martinique, il n’y a pas eu de gouvernance nouvelle. C’est un statut quo pour la Guyane.
Georges Patient : Je pensais que dans une loi qui instaure une collectivité unique, on pouvait avoir l’opportunité pour une fois de faire entendre toutes les questions financières relatives à la Guyane et surtout les questions que je considère discriminatoires et qui sont dérogatoires à la loi : l’octroi de mer, la dotation globale superficiaire, le domaine privé de l’Etat qui n’est pas fiscalisé… Mais c’est toujours pareil ! On vous entend, on trouve vos propos pertinents, justes, et à l’arrivée on vous renvoie toujours à la loi de finance ou bien à un rapport qui n’arrive jamais. C’est un peu désolant… C’est ce qui explique mon vote final. Je m’apprête d’ailleurs à poser une question prioritaire de constitutionnalité sur ces discriminations financières.
Claude Lise : J’avais dit que je ne voterai pas ce texte si l’on ne revenait pas sur la prime majoritaire. C’est ce qui s’est passé et c’est pourquoi je me suis abstenu. J’espère que l’Assemblée nationale étudiera le texte dans d’autres conditions. Les conditions dans lesquelles nous avons examiné ce projet de loi tout au long de cette journée n’ont pas été à la hauteur d’un texte aussi important pour l’avenir de la Martinique et de la Guyane. Il s’agit tout de même du cadre institutionnel dans lequel on va fonctionner même s’il ne s’agit pas d’un changement de statut. Pour un texte aussi important, on aurait du prévoir au moins deux journées pleines pour l’examiner. Tout ça n’est pas fait dans de bonnes conditions et je pense que ce texte a besoin d’être corrigé.
Et vous Serge Larcher, pourquoi avoir voté pour ?
Serge Larcher : Pendant longtemps nous avons demandé l’évolution institutionnelle. Nous avons fait des propositions au gouvernement qui, pour la plupart, ont été retenues et la population martiniquaise s’est prononcée. Aujourd’hui, bien sûr, la satisfaction n’est pas totale mais ce texte a encore été amélioré et c’est le mandat que le peuple nous avait donné. J’ai donc approuvé ce texte. Nous l’avons voulu ; la population a voulu la fusion. Sur la gouvernance, nous avons demandé une assemblée délibérante et un conseil exécutif collégial. On l’a obtenu. On a obtenu une simplification du nom de la collectivité. On a obtenu que les habilitations couvrent la durée du mandat et aillent jusqu’au mandat suivant. On a donc été suivis sur un certain nombre de choses, en conséquence je ne vois pas pourquoi je n’aurai pas voté ce texte.
Qu’est-ce qui vous a dérangé ?
Claude Lise : J’ai toujours été pour une collectivité unique plutôt que deux. Mais lorsque vous décidez qu’il n’y a plus qu’une collectivité, en plus dans une île, il faut un maximum de garde-fou. Or là, on a l’impression qu’on s’est ingénié à faire en sorte que la formation qui sera majoritaire ait tous les pouvoirs concentrés entre ses mains. Et bien entendu l’exécutif, la personne qui sera à la tête de cet exécutif aura un pouvoir considérable. Parce qu’avec une prime majoritaire de 9 sièges – c’est ce qui a été retenu au terme des débats – et un exécutif collégial forcément de même coloration, et qu’en plus les 9 membres du conseil exécutif seront remplacés à l’assemblée par 9 membres de la même liste, ca veut dire que les oppositions seront absolument écrasées comme c’est le cas actuellement à la Région où des formations politiques importantes sont absentes. Que va-t-il se passer ? Le débat démocratique va se déporter dans la rue. Lorsque vous étouffez une minorité, surtout dans une île, elle n’a que deux solutions : accepter d’être étouffée ou se révolter.
Serge Larcher : Je comprends que ceux qui ne sont pas d’accord avec cette prime ne votent pas le texte… Ce qui m’a mécontenté, c’est l’aspect financier. Chaque fois qu’on a présenté un amendement qui portait sur les finances, il a été retoqué. Sur le plan financier, j’ai exprimé mon désaccord.
Jean-Etienne Antoinette : Le gouvernement voulait utiliser son ciseau pour découper à sa façon et on sent qu’il y a eu un marchandage entre le rapporteur Cointat qui était sur des principes constitutionnels à juste titre et la volonté de laisser au gouvernement le soin de faire le découpage au niveau de la section. Tous ces éléments ne sont pas des éléments démocratiques….
Georges Patient : J’avais proposé un scrutin mixte qui aurait permis une meilleure représentation de toutes les communautés et de toutes les parties du territoire. Ca n’a pas été accepté sous prétexte que constitutionnellement, ça ne pouvait pas s’appliquer. Or, les sénateurs sont élus selon ce mode de scrutin. On est passé au scrutin de liste. Le rapporteur qui avait proposé huit sections avec trois sièges pour les petites sections, a du accepter la proposition de la ministre qui n’est pas tout à fait ce que j’avais prévu. Il n’empêche, le découpage incombe au Parlement, ce qui est tout de même plus démocratique. C’est pour moi une avancée.
La question sur la date d’installation a fait débat…
Serge Larcher : On est dans le flou le plus artistique et je ne peux être satisfait. Je comprends la position des collègues qui n’ont pas voté parce qu’ils voulaient l’installation de la collectivité territoriale de Martinique dès 2012…
Claude Lise : Le Sénat a cru bon d’ouvrir le champ du possible jusqu’en 2014 pour la mise en place de la collectivité unique et moi, j’ai posé la question, inlassablement, pourquoi attendre si la collectivité unique est un instrument plus efficace à la disposition des élus – c’est ce qu’on nous a dit et ce que je crois au départ. Le Conseil d’Etat a dit qu’il n’y avait pas de problème ; le président de la République avait pris des engagements ; la ministre disait encore hier matin qu’il n’y avait pas de raisons techniques. Et moi qui a dirigé pendant 19 ans une collectivité importante avec 2300 agents, je peux dire que ceux qui disent qu’il faut trois ans pour unifier les personnels de la Région et du département racontent des histoires. Il n’y a pas fusion comme dans le cas d’entreprises, mais addition. On ne va pas fusionner les services, les PMI, les services techniques… Il y aura quelques services qui fusionneront comme les services centraux ou financiers, mais ça ne sera qu’une restructuration comme j’en ai fait au conseil général sans que ça ne pose de problèmes aussi importants qu’on essaie de nous le faire croire. C’est jouer un peu avec l’avenir de nos pays… J’espère que l’on va revenir à la date du 31 décembre 2012 ou au plus tard au mars 2013. J’avais d’ailleurs proposé un amendement de compromis dans ce sens.
Vous n’avez pas obtenu l’abrogation de l’article 9 sur le pouvoir de substitution du préfet en cas de carence de la collectivité…
Serge Larcher : On n’a pas obtenu cela, mais on a obtenu que son pouvoir soit encadré. Ce n’est pas le préfet, mais le Premier ministre qui se prononcera en dernier lieu par conséquent, là aussi, on a eu des garanties. C’est une avancée.
Claude Lise : C’est très choquant d’aller imaginer un pouvoir supplémentaire au préfet alors qu’il y a déjà des dispositions qui permettent au préfet d’intervenir quand il y a carence des élus.
Georges Patient : J’ai parlé de relents colonialistes ! J’ai demandé la suppression pure et simple de cet article. Le pouvoir de substitution du préfet a été pour beaucoup dans mon abstention.
Jean-Etienne Antoinette : Nous voyons bien le père fouettard dans le préfet. C’est toujours cette relation un peu particulière, ambigüe entre le pouvoir concentré et cette décentralisation qui n’arrive pas à passer jusqu’en Guyane.
Vous avez gagné sur quelques amendements contre l’avis de la ministre de l’Outre-mer…
Jean-Etienne Antoinette : Absolument, concernant la loi organique, sur quinze amendements présentés, huit ont été acceptés. Egalement concernant la loi ordinaire, du fait que les conseils coutumiers, à savoir celui des Bushinengués et des Amérindiens soient consultés… Mais ce sont des amendements à la marge.
Georges Patient : C’est une avancée que ce conseil soit intégré à la loi même si les moyens financiers ne sont pas à sa disposition. Il y a également la création du comité de la santé et du comité territorial de l’habitat. Ces deux comités s’imposaient…
Jean-Etienne Antoinette : Mais l’essentiel, à savoir la gouvernance et la dotation de moyens supplémentaires pour la collectivité unique afin de répondre aux enjeux du développement économique, ne sont pas au rendez-vous. Voilà pourquoi je dis que nous avons fait du surplace. On voit bien qu’on a bâclé le débat au sein de l’assemblée. Après dix heures de discussions, il n’y a pas eu d’avancées démocratiques par rapport à un projet qui était tant attendu par les Ultramarins.
Claude Lise : L’élément majeur de mon désaccord qui restent la date d’installation et la prime majoritaire.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)