Francisco vu par Roland Pierre-Charles
Frantz Charles, dit Francisco
Francisco, l'auteur de Caroline nous a quitté. Nous avons demandé à Roland Pierre-Charles, le chaben fondamental, d'évoquer son souvenir et sa musique...
" La première fois que je l’ai vu, c’était à la foire expo de F d F vers la fin des années 50. Francisco était, ce jour là, accompagné par le jeune Marius Cultier au piano. Ce qui m’avait frappé c’est que la formation n’utilisait pas de batterie (« jazz ») mais des tambours tumbas Cubaines ce qui était une grande innovation pour l’époque et, pour la biguine.
C’était l’époque de la polémique entre « Papito » alias Francisco, alias Frantz Charles, et Sam Castendet et son orchestre, qui avait le tort ou, la tare de débarquer du « courrier » de Paris, et de « gêner » les orchestres locaux. Les chansons de cette histoire sont encore dans toutes les mémoires, car attaqué musicalement par Francisco, Sam Castendet n’avait pas manqué de répondre par la chanson « Ti Coco rété tranquille », composition de Barrel Coppet par ailleurs saxophoniste de l’orchestre de Sam Castendet.
Francisco a toujours eu une posture intellectuelle particulière. Doué d’une forte personnalité, il a été très influent dans ses domaines de compétence : la musique, et surtout le sport. Dans le sport il a été un véritable précurseur c’est lui qui, avec quelques camarades a introduit le judo et, par conséquent les arts martiaux au pays. C’était, me racontait il, dès l’enfance, un bagarreur impénitent. Il aimait gamin, dit il, beaucoup se battre avec ses petits camarades !
Fils unique de famille « mulâtre », cela ne se faisait trop guère, à l’époque, d’aller se gourmer avec ses petits condisciples de la campagne, généralement de couleur plus foncée.
Je vois ici et là écrire par de fort doctes personnes : « …en l’introduisant (le tambour) dans un mélange savant qui a donné par ailleurs la biguine lélé etc… ». Francisco était tout sauf un savant, dans le domaine musical, en tous cas. C’était plutôt un intuitif, voire un opportuniste.
J’ai assisté aux premiers enregistrements de la biguine dite « Léle » au night club le Tam Tam.
Il y avait là, le compositeur primordial « Ton Simon », tambouyé émérite originaire des Trois Ilets, Al Bernard à la basse entre autres. C’était, selon moi, davantage une Jam session qu’un mélange savant. D’ailleurs la biguine dite Lélé n’a rien d’une biguine, étant jouée sur un rythme a ¾ caractéristique de la Mazouk ou du Bélia. Le principal apport de cette musique, c’est l’introduction du piano dans la musique dite Bel air, piano qui était tout sauf «Piano » mais plutôt « Forte » dans le jeu, nous dirons, très énergique de Papito.
Il est aussi vrai qu’avant l’arrivée de Frantz, les chanteurs étaient très peu audibles, à cause des moyens techniques très limités en ce temps-là aux colonies. Contrairement à ce qui se dit souvent Francisco n’a jamais vraiment fonctionné avec des orchestres. Il privilégiait plutôt les petits « combos » où il pouvait mettre en avant sa voix de velours.
Francisco et le piano
Il prend des cours de piano dès l’âge de 6 ans avec une certaine madame de Grandmaison, à cette époque-là, les « professeurs » n’en étaient pas vraiment. Frantz bénéficie cependant d’une certaine cote de pianiste chez ses collègues musiciens (bien que doté d’une technique assez sommaire) car il jouait très fort, ce qui était un critère de qualité chez les orchestres de ce temps-là, les pianos n'étaient que fort rarement sonorisés.
Il gratouille également la guitare où il possède un « washé » légendaire. Guitare qui, il faut bien le dire, lui servait surtout à jouer les Joli Cœurs auprès de ces dames.
Je ne puis à ce propos, m’empêcher de me remémorer, une anecdote. Nous nous produisions alors au Cap Est, hôtel de prestige (et de békés) du François. Francisco arrive (comme d’habitude) en retard et boitant bas prétextant une mauvaise chute au judo. Il se met à faire son show habituel, et, aperçoit tout au fond du restaurant, une blonde qui cherchait du feu. N’écoutant que son courage, le voici qui traverse, au pas de course, le restaurant dans toute sa longueur. Mais, voila, sentant nos regards mi amusés, mi réprobateurs dans son dos, il se souvient, soudain de sa claudication à un mètre de la belle, et le voici qui reboite. Quel fou rire général de l’orchestre, obligé de s’arrêter de jouer. C’était un bon camarade et peut être l’une des plus belles, sinon la plus belle voix de sa Martinique adorée.
Il nous aura beaucoup marqué, il nous manquera beaucoup."