Guéant s'explique après la sortie de Létchimy à l'Asemblée nationale
ITW Claude Guéant
Après le clash survenu mercredi quand Serge Létchimy, député et président du conseil régional de la Martinique, a interpellé violemment le ministre de l'Intérieur, et à trois jours du déplacement dudit ministre aux antilles, du 11 au 14 février, Claude Guéant s'explique.
« Nous vivons en France un état de civilisation meilleur que celui dans lequel se pratiquait l’esclavage »
Après l’intervention de Serge Létchimy à l’Assemblée nationale mercredi, comment appréhendez-vous ce déplacement aux Antilles ?
Je suis ministre de l’Intérieur et de l’Outre-mer et je suis heureux de me rendre aux Antilles où j’ai vécu. Il y a des sujets importants à traiter: la sécurité, le développement économique, des dossiers d’avenir pour les Antilles. Il y a des perspectives qui s’ouvrent. Je pense en particulier à celle très importante de savoir si le développement doit être privilégié de façon endogène ou non. C’est un sujet majeur pour lequel il est normal que le gouvernement s’explique et entretienne un dialogue avec les forces économiques et tout simplement les habitants de la Martinique et de la Guadeloupe.
Vous n’attachez pas d’importance au fait que les présidents des collectivités territoriales, MM. Lurel et Gillot, en Guadeloupe, et M. Létchimy, en Martinique, ne souhaitent pas vous recevoir et vous disent même n’être « pas le bienvenu » ?
Je le regrette parce que ça me semble en rupture avec la tradition républicaine. La République, c’est dialoguer, se parler même si l’on est d’opinion politique différente. Mais enfin, il y a bien d’autres personnes dans ces départements que celles que vous venez de citer. Moi, je m’adresse à la population de ces deux départements pour laquelle j’ai un attachement particulier.
Le Parlement est un lieu de dialogue ; la sortie de Serge Létchimy exigeait-elle cette sortie du gouvernement en réponse ?
Cette déclaration a dépassé les limites du débat politique. Mais je ne voudrais pas singulariser le dialogue avec M. Létchimy. Il est en l’espèce le porte-parole du Parti socialiste et il est inadmissible que l’on accuse de favoriser l’idéologie nazie quelqu’un qui promeut les valeurs universelles des droits de l’Homme, et rappelle qu’il y a des valeurs qui sont supérieures à d’autres car elles représentent précisément un progrès de l’humanité. Il y a des systèmes dans lesquels on favorise la démocratie, on promeut le droit des femmes, on protège les libertés individuelles et publiques. Et il y a des systèmes dans lesquels on s’accommode de la tyrannie, dans lesquels la femme est réduite à un état d’asservissement et où l’on bafoue les libertés. Je ne vois pas pourquoi de tels propos seraient offensants pour quiconque.
Pourtant des Antillais se sont sentis offensés…
Je voudrais très directement évoquer un sujet dont je sais bien qu’il est douloureux à la conscience de nos compatriotes antillais. Nul ne peut contester que nous vivons aujourd’hui en France un état de civilisation meilleur que celui dans lequel se pratiquait hier l’esclavage, qui est une abomination. C’est notre honneur de promouvoir des valeurs qui permettent de progresser dans le sens de l’humanisme. Ces valeurs-là sont très respectueuses de nos compatriotes d’outre-mer, dont ils ont été parmi les pionniers.
Est-ce que la réaction de M. Létchimy ne porte pas en elle ce qui fait son identité, c’est-à-dire sa créolité, sa négritude ?
J’ai cru comprendre dans l’intervention de M. Létchimy un souci auquel je voudrais répondre. Ce souci est que l’appel à la notion de civilisation ne soit pas l’appel à un concept qui brise à l’intérieur de la civilisation les identités. Tout ce que nous faisons est là au contraire pour montrer que dans la République, nous reconnaissons les identités. Ainsi sur le plan institutionnel, le gouvernement a proposé à la Martinique, comme à la Guyane, de choisir dans le cadre de la Constitution sa gouvernance locale et la Martinique a fait un choix. Les identités sont donc respectées.
Le président de la République a dit, le 10 mai dernier, à l’occasion de la commémoration de l’abolition de l’esclavage : « Il a fallu longtemps pour que l'Occident comprenne, admette qu'il avait autant à apprendre des autres que les autres avaient à apprendre de lui, qu'il y avait dans les autres civilisations autant de trésor de sagesse humaine que dans la sienne. » Qu’en pensez-vous ?
J’adhère pleinement à cela. Parler de civilisations n’est pas en appeler à leur choc, c’est complètement ridicule. Distinguer les civilisations n’est pas attentatoire à ces civilisations. Elles se nourrissent respectivement et, dans une civilisation, le président de la République a raison de le dire, il y a des trésors. Ce n’est pas parce qu’elles sont différentes qu’elles ne sont pas respectables. Il y a, au regard de nos valeurs, des éléments qui sont positifs même s’ils sont éloignés de nos propres modes de raisonnement, de notre propre culture, de nos propres croyances, mais il y a des choses qui, au regard des droits de l’Homme, de la dignité de la personne humaine peuvent être moins positives. C’est ce que j’ai dit.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)