Jacques Martial
ITW Jacques Martial, président de la Villette
" Je fais une parenthèse concernant la télévision "
Pouvez-vous dire que le Cahier d'un retour au pays natal est la pièce par laquelle tout a commencé (tournée internationale, nomination à la présidence du Parc…) ?
En tout cas, il a accompagné toute une période récente de ma vie et de ma carrière qui se poursuit. Bien sûr que c’est un texte important et, sans doute, quand j’arrêterai de le jouer, je saurai pourquoi et comment il a été important en tout. Mais oui, il accompagne chacune des étapes de ma vie depuis très longtemps, mais concrètement, depuis que je le joue, il a marqué en permanence mes moments.
Vous avez été renouvelé à la tête de l’établissement de la Villette, après la réussite de Kreyol factory, que préparez-vous ?
On continue d’inventer en permanence. En 2010, on a ouvert le Wip Villette, un lieu dédié aux cultures urbaines et au dialogue Art/Société qui marche très bien. Il y a un renouvellement de nos expositions puisque nous venons d’inaugurer l’exposition Reza en extérieur, sur les folies du parc de la Villette. C’est une première et cette dimension des expositions ouvertes à tous sur le parc est quelque chose à quoi je tiens. Ca répond sans doute à un besoin et, en tout cas, ça permet d’atteindre tous les publics. Ca va se poursuivre. Il y a le photographe JR qui va être aussi un fil rouge de notre programmation puisqu’il va intervenir dans la nef de la grande halle et sur le parc à l’automne. Il va explorer le fonds photographique de la Villette qui est extrêmement important, pour le mettre en perspective, en tension, d’une part dans la nef mais également sur le parc.
Et au niveau de la programmation théâtrale ?
Le théâtre se confirme à la Villette avec une ligne assez radicale, qui interroge la société à travers des formes contemporaines. Les écritures contemporaines sont au cœur de ce projet. C’est tout un repositionnement tout en restant fidèle à nos fondamentaux que sont le nouveau cirque et les cultures urbaines. Il va y avoir un nouveau rendez-vous, le festival Haute tension dont la première édition verra le jour en 2011 va croiser les esthétiques du nouveau cirque et celles de la danse hip hop. C’est une réflexion sur le corps, mais aussi sur ce que ces artistes ont de spécifiques et ont en commun. Où sont les marges, où sont les frontières, les porosités entre les esthétiques et les genres. C’est un travail de laboratoire qu’on regarde avec beaucoup d’intérêt…
Les nominations par le président de la République, à la tête de Radio France ou de France Télévisions, par exemple, ont fait couler beaucoup d’encre. Vous qui avez été nommé aussi par le président qu’en dîtes-vous pour ce qui vous concerne ?
C’est effectivement sur proposition du ministre de la Culture que le président de la République nomme le président de l’établissement public. Je suis très heureux et très fier d’être reconduit dans mes fonctions. C’est la preuve que le travail que j’ai accompli au cours de mon premier mandat, de ces quatre premières années, est reconnu et que, ma foi, j’ai réussi à la tête de la Villette
Vous êtes très populaire auprès du public qui fréquente le parc. En général, les gens ne connaissent pas le président des établissements publics… A quoi pensez-vous que cela est dû ?
Oui, les gens me connaissent. Je crois qu’ils apprécient le travail que nous faisons depuis quatre ans, qu’ils se reconnaissent dans ce par cet qu’ils comprennent que ce parc est fait pour eux et est à eux. On a une certaine proximité ; je suis apparemment accessible puisqu’ils me saluent. C’est plutôt une bonne chose.
Pourrait-on vous revoir à la télé en tant qu'acteur dans une série autre que Navarro ?
Non (rires)… Pas en ce moment ! Je n’ai pas le temps de me consacrer à une activité de ce genre. Le travail de la Villette est tout à fait prioritaire et très important en volume. Donc pour l’instant, je fais une parenthèse concernant la télévision et toute idée de série, c’est certain.
La scène, les plateaux de tournage… tout cela ne vous manque pas ?
Je n’ai pas vraiment le temps de penser en ces termes-là. Mais non, ça ne manque pas et puis, je vais jouer le Cahier du retour au pays natal dans quelques jours… C’est la scène et j’ai ce lien qui demeure puisqu’on continue de me demander ce spectacle. Quand je le peux et que le projet me paraît suffisamment important, je prends ce temps parce que c’est un texte particulier qui me parle et qui a besoin d’être entendu.
Vous avez dit le Cahier en de nombreux lieux depuis la première présentation en Guadeloupe. Ce texte résonne toujours de la même manière en vous ?
Oh oui, absolument. C’est un texte dans lequel, à chaque reprise, je trouve matière à penser, à repenser mon interprétation… En tout cas, il demande un total investissement. Je ne peux pas tricher avec ce texte. Ce n’est pas un texte de plus, mais il est très particulier, qui marque à chaque fois des étapes, qui les ponctue…
Combien de kilos perdus après chaque représentation ?
(Rires…) Quelques grammes, c’est sûr ! Mais un enrichissement énorme.
Au cours de votre tournée internationale vous avez présenté le Cahier à New York, aux îles Fidji, en Tasmanie… Quelle perception, quel accueil ces publics ont-ils eu du texte d'Aimé Césaire ?
Mais la même que partout… Je l’ai joué en Afrique du sud également, l’année dernière à Lisbonne, l’année d’avant au festival d’automne de Madrid… La réception est absolument identique partout dans le monde. Que ce soit sur-titré, que je le joue en anglais, chacun s’y reconnait, reconnaît les enjeux humanistes. Ces vers dans ce texte ne trichent à aucun moment avec la vérité, l’histoire et lui-même. A travers cette sincérité totale, il invite chacun, l’espace de ce spectacle, à faire de même, à se confronter, en tout cas à utiliser ce texte comme un miroir pour prendre un moment de réflexion sur soi-même et son positionnement dans la vie et sa relation à l’autre quand il est différent, quand il est proche, quand il est lointain, ou quand il le pense proche ou qu’il le pense lointain.
Citez-nous une phrase ou un passage du Cahier qui vous plaise particulièrement ?
« Ce que je veux, c’est pour la faim universelle, pour la soif universelle… »
Un autre ?
« Car il n’est point vrai que l’œuvre de l’homme est finie, mais l’œuvre de l’homme vient juste de commencer (…) Et il y a place pour tous au rendez-vous de la conquête. » Il y a quelques vers entre ces deux morceaux de phrase…
Et s’il devait y en avoir un dernier ?
Non ! Venez voir le spectacle !
Aimeriez-vous effectuer le même travail sur le texte d'un autre auteur ? Lequel ?
J’ai d’autres auteurs que je souhaite monter et que je souhaite jouer, bien sûr. Mais pour l’instant, ce n’est pas d’actualité. C’est la Villette qui est dans l’actualité !
Donc vous ne vous éparpillez pas…
J’ai une tendance monomaniaque, en tout cas opiniâtre. La Villette est un projet en soi tellement passionnant où je me sens non pas auteur, mais metteur en scène ou peut-être travaillant à un projet de société, un projet qui réfléchit le monde autour de lui à travers la culture et l’art, le citoyen et l’artiste. Et c’est absolument passionnant de réfléchir à comment mettre les deux en dialogue, en contact… Ca demande une présence de chaque instant et ça me suffit absolument amplement !
A votre avis, les "jeunes" se sentent-ils concernés par ce type de texte ?
Ils le découvrent. Le spectacle a été créé à l’Artchipel et c’était également dans le cadre d’un projet pédagogique avec les élèves de second cycle qui sont en option lourde théâtre, arts plastiques et cinéma. Dès le début mon travail sur ce spectacle incluait les jeunes. Ce qui est extraordinaire, c’est de voir à quel point, ils sont concernés et comment ce texte leur parle également, comment ils se le sont appropriés quand ils en ont compris les clés de fonctionnement, car ça demande quelques clés mais elles existent. L’appropriation de ce texte et des thèmes qu’il suppose a été totale, immédiate à tel point que lors de la première tout public, j’ai tenu à ce que le travail qu’avait fait les élèves soient présentés en ouverture. Je crois est important d’entendre cette parole et de l’entendre très jeune pour pouvoir continuer à vivre avec très longtemps.
Depuis Jenny Alpha qui rappelait les difficultés qu'elle rencontrait pour décrocher des rôles de premier plan au théâtre, n'avez-vous pas le sentiment que le chemin qui mène les comédiens Antillais vers la lumière est long ? Encore aujourd'hui, on a rarement vu des Antillais tenir le premier rôle d'un téléfilm ou d'une série télévisée française… Qu’en dîtes-vous ?
Je dis que c’est vrai, que le travail reste à faire, qu’il ne faut pas baisser la garde et qu’il faut continuer de secouer les institutions et surtout ceux qui dirigent ces institutions pour que la diversité ne soit plus un mot. Le mot a été appris, maintenant il est connu. Il faut que ça devienne aussi une réalité concrète. On voit malgré tout, depuis 1998, notamment avec le Collectif égalité, les choses ont bougé. Il y a une visibilité plus grande et réelle, et j’ai dit plus grande et non pas très grande ou suffisante, simplement plus grande. Mais il faut bien être conscient qu’il faut continuer d’être opiniâtrement exigeant de la part de ceux qui détiennent les clés du pouvoir. Cette question de l’égalité des chances, de l’égalité de traitement et de la représentation de la diversité de la population française, à tous les niveaux de la vie est indispensable si l’on veut construire du lien social et que chacun se reconnaisse dans notre société. Aujourd’hui, on a besoin de ces signes, de cette réalité, de cette conscience, pour que la société française puisse s’épanouir. Sinon, elle va créer un fossé qu’on ne pourra plus combler.
Qui, parmi les comédiens Antillo-Guyanais, peut être considéré comme une valeur montante du théâtre ou du cinéma ?
Lucien Jean-Baptiste, par exemple. Alex Descas n’est pas une valeur montante, mais il est une valeur. Edouard Montout qui a un parcours tout à fait intéressant. Au théâtre, on aperçoit aussi des acteurs qu’on ne connaît pas mais qu’on découvre et qui sont formidables dans de beaux rôles… Je suis, et c’est mon caractère, d’un indéniable optimisme. Je ne cèderai pas au pessimisme.
On vous a vu récemment à la messe parisienne en hommage à Patrick Saint-Eloi. Pourquoi était-ce important pour vous d'être là ?
J’étais peiné parce que c’est top tôt. C’est un grand artiste qui nous a donné beaucoup de belles choses, beaucoup de bonheur et je suis sûr qu’il aurait pu en donner d’autre. Mais apparemment, son histoire ne s’écrivait pas ainsi. Mais j’ai tenu à m’associer à la peine, mais aussi au respect et à l’affection que j’avais et que nous avions tous pour lui, pour sa musique.
Propos recueillis par FXG et CL