Jego se livre
Quinze mois, cinq jours entre faux gentils et vrais méchants d'Yves Jégo, Grasset, sortie 18 novembre 2009
« Sarkozy a pu me surprendre, il ne m’a pas déçu »
Il a quitté le ministère, amer, le 23 juin 2009. Yves Jégo, nommé secrétaire d’Etat à l’Outre-mer quinze mois et cinq jours plus tôt, le 19 mars 2008, ne savait pas encore que sont principal dossier serait la gestion d’une grave crise aux Antilles. Le livred’YvesJégo Quinze mois, cinq jours entre faux gentils et vrais méchants que Grasset sort le 18 novembre, débute par le coup de fil de Guéant lui annonçant qu’il ne fait plus partie du gouvernement. Alors Jégo se souvient. Son entrée à Oudinot lui, le sarkoziste historique, ses nombreux déplacements dans les territoires, Bora Bora où il regrette n’avoir eu le temps de dormir dans l’hôtel sublime qu’il était venu inaugurer, des heurts avec Bercy, les retraites dorées… Le début des réalisations des promesses électorales du président… Et puis, ce 20 janvier 2009, le LKP enclenche une crise qui va paralyser la Guadeloupe 44 jours. Jégo déploie son journal pour justifier de sa conduite, expliquer ce qui avait marché et pourquoi, ca n’avait pas marché. Domota dont il dresse un portrait plutôt avenant, Fillon, sa cible, à qui il reproche une surdité, voire une mauvaise oreille. Marie-LucePenchard qui lui a succédé rue Oudinot n’est citée qu’à la page 23 : « Une des adjointes du collaborateur du président de la République en charge de l’Outre-mer. Elle était informée de tous les dossiers de toute la stratégie qu’elle a partagée et validée… » Il souligne les bonnes relations qu’il avait avec MAM et ne cite Patrick Karam que lorsqu’il évoque les congés bonifiés… Après la signature du protocole du 4 mars, Jégo gère son ministère avec assurance, lancement du RSTA… La Lodeom est adoptée. Jusqu’à ce 23 juin 2009. « Les cartons, la dernière nuit à Oudinot sous le regard d’un maître d’hôtel si obséquieux hier, si méprisant aujourd’hui. ». Mais Jego, qui affirme ses valeurs de la droite sociale du parti radical, veut assurer de sa loyauté au président et achève par ces mots : « Sarkozy ne m’a jamais déçu. Il a pu me surprendre, mais il ne m’a jamais déçu. »
Agence de presse GHM
Les bonnes feuilles
« La nuit tombe, nous roulons assez longtemps sur de petites routes sinueuses dans la montagne jusqu’à arriver au début d’une sorte de lotissements. Devant,une maison, plusieurs costauds avec des tee-shirts du LKP se tiennent dans la pénombre, attendant visiblement notre arrivée. Notre voiture se gare, celle des policiers aussi. Les agents du GIPN sortent en premier, pour sécuriser notre arrivée. Nous descendons à notre tour de la voiture. Gaby Clavier, l’homme lige de Domota, fait quelques pas devant la maison pour nous accompagner vers le perron où nous attend Domota. Vêtu de son éternel tee-shirt aux couleurs du LKP, il nous serre la main, avec son visage poupin et nous souhaite la bienvenue. Il nous fait entrer dans la maison, il nous présente les propriétaires qui s’éclipsent aussitôt. C’est une jolie maisonnette, avec sa petite salle à manger derrière laquelle j’entrevois un petit salon où est dressé un buffet de produits locaux. Il fait chaud, nous nous installons sur la terrasse. Et nous voilà assis tous les quatre autour d’une table en plastique de jardin, éclairée par une lampe se balançant au-dessus de nos têtes. Très vite, quelques banalités, la discussion commence sur l’ensemble des revendications. Je feuillète point à point les exigences du LKP. Là, je découvre un interlocuteur très calme, intelligent, connaissant parfaitement ses dossiers, me disant des choses que personne ne m’avait dites auparavant sur un certain nombre de sujets, comme celui du prix des carburants, par exemple. Des problèmes dont personne ne m’avait jamais parlés sont évoqués au fur et à mesure que l’on balaye les points de revendications directement adressées à l’Etat. D’une voix toujours aussi posée, il me tient des discours très méprisant sur les élus, encore plus durs contre le patronat. Il ne cesse de citer des noms, télé personnalité, telle famille, des gens importants dans l’économie de l’île. Parfois, j’ai le sentiment qu’il a dressé une liste. C’est le seul aspect qui me dérange ce soir là, cette façon de parler de ceux qui sont, je le sens, des ennemis de classe, cette violence dirigée contre des personnes, cette haine constituée contre les békés. Mais je ne me braque pas et la discussion poursuit son cours. La question des salaires reste la plus difficile à traiter. J’avais dit dès le début à Elie Domota que je n’avais pas l’intention de discuter de ce sujet là dans le détail, que l’Etat n’a aucun pouvoir en la matière. Etrangement, nous étions presque tombés d’accord pour ne pas en parler. Il n’a alors qu’une seule obsession : que l’Etat n’accorde pas davantage d’argent aux entreprises. « Elles en ont assez. Elles ont assez d’aides, elles ont assez de défiscalisation, elles ne l’utilisent jamais pour le remettre dans le circuit et donc, il faut que vous utilisiez les fonds de l’Etat à autre chose. Arrêtez de leur donner de l’argent. » Pour le reste, je sens qu’on peut trouver des accords, que chacun a travaillé, que les difficultés sont moins grandes que prévu. Sur cette terrasse, dans la nuit guadeloupéenne, je ne vois pas un idéologue en tee-shirt qui me tient un discours révolutionnaire, la machette entre les dents. Domota n’est pas le Che ou encore moins Fidel. Il ne parle à aucun moment d’indépendance, ne semble pas campé sur aucun a priori idéologique. La discussion est presque sympathique. On pourra m’opposer, et certains ne se sont pas privés de le faire par la suite, que je suis une nouvelle victime du syndrome de Stockholm. Que, tout bêtement, je suis tombé sous le charme de mes ravisseurs. Sauf erreur de ma part, je n’ai pas été enlevé, je suis venu volontairement, j’ai même provoqué la rencontre. C’est terrible à dire, mais je crois qu’à ce moment là, Elie Domota a compris qu’il tenait la rue pour un moment et il pressent que, si nous allons au pourrissement, donc au final à l’affrontement, et que la crise se solde par des morts, comme à Ouvéa et en mai 67, il aura aussi gagné la partie. Il aurait démontré que l’Etat blanc et colonial est brutal et raciste. Moi, je ne veux pas de çà. C’est obsessionnel. Je veux que la République triomphe. Au-delà de toute considération politique, je ne veux pas me réveiller une nuit, dans dix ans, dans quinze ans, au milieu d’un cauchemar en pensant à ces morts dont je me sentirais responsable. Je n’ai qu’un objectif à l’issue de cette rencontre : faire accepter à Domota et au patronat le plan B, celui de la négociation, la porte de sortie par le haut pour toutes les parties. Comme la conversation allait bon train et que mon hôte se révélait très fréquentable, je n’étais pas à cran. Tout allait bien. En revanche, dehors les policiers, eux étaient sur les dents. A un moment, alors que nous étions sur la terrasse en pleine discussion, il y a eu une courte panne d’électricité. Le courant s’interrompt brutalement et tout le quartier est soudain plongé dans le noir complet. Dans les dix secondes qui suivent, je vois arriver une cohorte de gros bras au triple galop. J’imagine qu’ils ont cru : « Ca y est, le préfet et le ministre ont été enlevés » ou pire encore : « ils sont en train de les assassiner ». C’était assez drôle de voir leur tête, d’autant que l’électricité est revenue assez vite. C’est cette conversation nocturne qui m’a permis de faire accepter à Elie Domota de renoncer au préalable de la discussion sur les salaires et surtout l’idée d’entamer de vraies discussions, sans camera de télévision. Y compris avec le patronat. Nous convenons même d’un principe de calendrier. En bon politique, il me demande cependant de donner des gages. Sous entendu, « c’est bien beau ce que vous dîtes, M. le ministre, mais il faut des paroles publiques ». Voilà pourquoi j’ai fait dans les jours suivants un certain nombre de déclarations, disons, assez virulentes, sur par exemple la question du prix du carburant. Je voulais montrer au LKP que par ma voix, l’Etat serait neutre et qu’il n’y aurait pas de ma part aucune connivence avec le pouvoir économique. Cette mémorable soirée s’est achevée en partageant quelques acras et un verre de ti punch, et en discutant des choses de la vie. Je ne dis pas que tout s’est terminé brase dessus, bras dessous, mais pour une rencontre dont on pouvait craindre le pire, tout s’est achevé de manière plutôt rassurante. »
Après la dernière nuit de négociation en Guadeloupe...
"Dans la matinée, j’ai des contacts avec Matignon et il n’y a toujours pas vraiment de réponse. Je ne m’aperçois pas, sur le coup, combien la déclaration de Victorin Lurel disant : « On est tombé d’accord, on va signer l’accord et l’Etat paiera » fait des dégâts à Paris. Et donc je ne le contre pas. Erreur ! Le patronat a joué une tactique très fine. Auprès de l’Elysée, je me suis fait littéralement scalpé, sur le thème : Jego n’assure pas la sécurité des patrons. Du côté de Matignon, le jeu a été plus trouble. Je n’ai pas de preuve, mais je pense que les grands patrons ont usé de leur relais en expliquant que j’étais devenu fou, que je lâchais tout au syndicat alors que c’était en fait le patronat qui, avec 100 euros par pour 80 000 salariés avaient manifestement créé un leurre, comme pour mieux exiger qu’on me retire du jeu, sur le thème « il est en train de péter les plombs et soutient le LKP sur les 200 euros. » Ce que je n’ai jamais dit, à aucun moment, ni de près, ni de loin. Ni au début, ni à la fin des négociations. Dans la matinée, on me fait savoir que le Premier ministre veut me parler. Il était temps. C’est la première fois depuis le début de la crise. En fin de matinée, je l’ai au bout du fil et là, il me dit sans prendre vraiment la peine d’entendre mes explications : « Ecoute, tout ça prend une mauvaise tournure. » Evidemment, j’ai des arguments pour lui expliquer qu’au contraire, les choses avancent et plutôt bien. Durant les négociations, 164 points ont été réglés et le dernier, celui des salaires, est en phase d’être résolu. (…) Fillon m’explique alors : « Tu dois comprendre, dans le contexte national, avec le future rendez-vous social du président qui s’annonce, on ne peut laisser prospérer l’idée que l’Etat va augmenter les salaires de 200 euros. » Je tombe des nues, je n’ai jamais dit cela. D’un coup je mesure les dégâts de la déclaration de Victorin Lurel. A Paris, l’idée que l’Etat va payer les augmentations de salaires fait son chemin. Une idée qui est politiquement insupportable, je le comprends bien. Il y a surtout un énorme bug de communication et d’explication avec Matignon. La preuve, c’est que Fillon ajoute : « Ecoute, maintenant ça suffit, il faut que tu te donnes du champs. Tu as réglé 164 problèmes sur 165, reviens à Paris et rentre maintenant, tout de suite. Ne fais plus de déclaration. On fait le point ensemble demain. Tu es resté trop longtemps sur place. » Ni engueulade, ni explication, rien. Du Fillon chimiquement pur. (…) Je comprends alors que tout ceux que j’avais bousculés, patrons, békés, petits chefs de l’administration, ont eu raison de moi. J’ai 25 secondes pour mesurer l’ampleur des dégâts et la détestation de Fillon à mon égard. Je suis celui par qui les problèmes arrivent, je serai donc coupable. Je décide de ne pas me laisser démonter, va pour les médiateur, ai-je le choix ?... »
Sur Willy Angèle...
(Le Medef Guadeloupe) est représenté par un homme fort sympathique, Willy Angèle, consultant de son état, mais vraie légitimité et surtout sans aucun pouvoir de décision. Durant nos réunions, il devait sans cesse rendre compte et s’absentait pour téléphoner. Rendre compte à ceux qui tiennent l’économie de la Guadeloupe entre leurs mains. Mais ceux-là restaient invisibles, ils n’ont jamais daigné paraître à la table des négociations…
Sur Elie Domota...
Le leader, la clé, c’est Elie Domota. Sans vouloir être désagréable, il faut bien reconnaître qu’il n’a pas un physique exceptionnel, mais il dégage un charisme étonnant. Dans la rue, les femmes voulaient le toucher. Et ce prénom, Elie, l’élu. Un rêve de conseiller en communication. LE LKP a d’ailleurs un marketing remarquable et des financements dont on peut s’interroger sur l’origine…
Sur la Polynésie de Gaston Flosse
« J’ai eu de débats quelque fois houleux, avec un certain sénateur de Polynésie. Il exigeait sans cesse des financements de l’Etat sur des dispositifs qu’il avait lui-même confiés au gouvernement de la Polynésie dans la réforme élaborée par ses soins en 2004 ! C’est vrai, je lui ai répondu sèchement : « Vous avez voulu l’autonomie, assumez-là ! », mais devait-on prendre plus de gants avec un élu prêt à tous les reniements pour assurer sa survie politique, y compris au détriment de la survie de son territoire ? Je suis maire, j’ai été conseiller général et je suis président d’un office HLM, aussi je sais, comme c’est le cas par exemple en Martinique, où la politique du logement social est en panne alors que les crédits de l’Etat ne sont pas dépensés, que la faute n’en revient pas au ministre mais bien aux responsables locaux. Fort de cette expérience, je l’ai dit ! Et cela a du déplaire à tout ceux qui trouvent tellement confortable de mettre en cause le pouvoir central si lointain. Je crois d’ailleurs que si aujourd’hui, j’ai une vraie crédibilité et si tellement d’ultramarins me sont reconnaissants. »
Sur Bora Bora
« Comment oublier le supplice de Tantale que l’inauguration du prestigieux hôtel Four Seasons de Bora Bora, l’un des plus beaux endroits au monde. Moi en costume, au milieu des touristes, sur une plage inoubliable, déroulant mon discours sur la stratégie du développement touristique de la Polynésie française, alors que je ne rêvais que d’aller piquer une tête. Ce magnifique hôtel où je n’ai même pas pu, emploi du temps oblige, passer une seule nuit ! En réalité, j’ai souhaité cette proximité et ce rythme. Pour comprendre, j’ai besoin de voir de toucher de sentir la réalité pour mieux appréhender les situations et les enjeux. Je suis avant fait de la glaise des élus locaux. »