Joséphine Baker au Panthéon
ITW Brian Bouillon Baker, fils de Joséphine Baker
Joséphine Baker, « la première vedette noire, qu'on croyait venue des Antilles », selon son fils Jean-Claude, est sur la liste des personnalités susceptibles d’entrer au Panthéon depuis une tribune de Régis Debray parue dans Le Monde en décembre. France-Antilles a rencontré Brian Bouillon Baker, l’un des douze enfants qu’elle a adopté. Interview.
« Ma mère est une arrière petite-fille d’esclave noire »
Etes-vous favorable à l’entrée de votre mère au Panthéon ?
Ma mère en aurait été très fière et très honorée sachant que quand elle a été décorée de la Croix de guerre, de la médaille de la Résistance, et quelques années plus tard de la Légion d'honneur des mains du Général De Gaulle, elle se tenait droite comme un i, très fière d’avoir servi la France et d’être honorée. Dans la famille, on est plutôt partant, mais opposés au transfert de son cercueil car elle est enterrée à Monaco dans le caveau familial où reposent son mari, Joseph Bouillon, sa soeur Margaret et l’un de nos frères. La tombe voisine est celle de la princesse Grace de Monaco qui avait accueilli ma mère à un moment de sa vie où elle était en difficulté… La famille serait aussi honorée, mais dans le cadre de la pose d’une plaque comme pour Aimé Césaire.
Qu’est ce qui, selon vous, fait de Joséphine Baker un être digne de rejoindre le temple de nos grands hommes ?
Ma mère, en dehors de sa carrière artistique qui, d’ailleurs, ne se résume pas à une ceinture de bananes ou au charleston, est une femme d’engagement. Durant la seconde guerre mondiale d’abord, elle a été agent de renseignement pour les Forces françaises libres. Elle a passé pas mal de messages via ses sous-vêtements ou ses partitions avec de l’encre sympathique. Elle a chanté pour les Alliés en Afrique du Nord et en Egypte et elle a fini la guerre avec le grade de lieutenant de l’armée de l’air. Elle s’est ensuite engagée aux Etats-Unis et dans le monde pour les droits civiques aux côtés de Martin Luther King. Elle était avec lui, en tenue militaire, au moment de son fameux discours, « I have a dream. »
S’est-elle intéressée à la négritude dans les annees 1930 ?
Je l’ignore, mais elle a participé en 1955 au congrès des écrivains noirs où elle a donné une conférence. La CIA le mentionne dans le dossier qu’il a constitué sur elle. Elle a toujours fait montre d’un réel engagement pour les peuples noirs.
Comment a démarré son engagement pour les droits civiques ?
Quand elle chantait pour les troupes alliées, elle exigeait que les soldats noirs ne soient pas relégués au fond de la salle. Après la guerre, quand elle est revenue aux Etats-Unis, elle a encore été confrontée à la ségrégation dans les théâtres. Certaines salles préféraient annuler, d’autres cédaient. En 1955, elle a dénoncé le meurtre dans le Mississippi du jeune afro-américain Emmet Till, l'acquittement de ses deux assassins, puis leurs aveux cyniques après le jugement. Elle a participé en 1963 à la Marche vers Washington organisée par Martin Luther King. Elle va se lier également avec les Black Panthers, Malcolm X, Angela Davis… Résultat, chaque fois qu’elle se rend aux Etats-Unis, on lui fait des problèmes. Un soir au Store club, un restaurant très chic de New York où elle s’est rendu avec son mari et des amis, on tarde à les servir. Joséphine déclenche un scandale. Elle demande à voir la direction, téléphone à la National Association for the Advancement of Colored People, au gouverneur de l’Etat de New York et à deux avocats à qui elle demande de venir ! Dans la salle, un peu plus loin, est assise une femme blonde qui n’est pas encore célèbre, c’est Grace Kelly. La future princesse de Monaco observe la scène sans intervenir. Elle semble très admirative et ne se fera connaître que des années plus tard. L’affaire du Store club va devenir une polémique dans la presse... Joséphine sera ensuite reçue par John Kennedy et se liera d’amitié avec Jackie. Pour elle, les Kennedy faisaient avancer la cause des Noirs.
Elle a aussi rencontré Fidel Castro, ce qui ne joue pas forcément en sa faveur…
Elle s’est rendue à Cuba en janvier 1966 pour participer à la conférence tricontinentale, mais elle n’était pas communiste. Elle dénonçait dès qu’elle le pouvait l’impérialisme américain. C’était une gaulliste, mais elle était sensible au sort de l’Amérique latine et du tiers-monde. On se demande si elle était liée à Castro ou si De Gaulle ne l’aurait pas envoyée en mission commandée… On ne saura jamais.
Quels liens entretenait-elle avec le general De Gaulle ?
Des liens de fidélité et d’admiration. Ils se sont vu plusieurs fois sans être aussi proches que certaines personnes l’ont dit. Elle n’a jamais été la maîtresse de De Gaulle ! Ce qui est vrai, c’est qu’elle a défilé en première ligne en faveur de De Gaulle, après mai 1968, à la grande contre-manifestation de la majorité silencieuse. Là encore, alors que le pouvoir gaulliste vacillait, elle lui est restée fidèle. Elle avait une telle dévotion pour De Gaulle qu’il n’était pas question de le critiquer.
« Ma mère n’a jamais été la maîtresse de De Gaulle ! »
Meme sur les guerres coloniales françaises ?
Ma mère m’a adopte en 1956 à Alger et elle m’a donné pour parrain Robert Lacoste qui venait d’etre nomme ministre résident et gouverneur général. Nous étions en pleine guerre d’Algérie…
Il faut dire qu’elle a bien servi l’imagerie coloniale…
Elle ne nous a jamais parlé de cette période quand elle chantait ses chansons colonialistes comme La Tonkinoise. Même chose au cinéma quand elle joue Zouzou avec Gabin, le Silence des tropiques ou Princesse Tam Tam… Mais à cette époque, elle n’a pas le choix. Les rôles exotiques sont pour elle, la métisse.
Quel lien a-t-elle eu avec les artistes Antillais ?
Elle a travaillé avec Darling Legitimus et Jenny Alpha. Avec Henri Salvador, il y a eu un petit probleme : il était tres ami de Mistinguett et il y avait une grosse rivalité entre celle-ci et ma mère. Et surtout, elle a reproché à Salvador de faire, dans les années 1960, ce qu’elle a fait elle-même au début de sa carrière, « le pitre, voire le singe à la télé » avec des titres comme « Juanita banana ». Elle trouvait qu’il dégradait l’image des Noirs. Elle reliait cela au dessin animé du Livre de la jungle où l’orchestre de jazz était composé de singes…
Ceux qui soutiennent d’autres personnalités objecteront que le music-hall n’est pas la meilleure voie pour le Panthéon…
Mais le parfum de music-hall de Joséphine Baker donnerait un peu de couleur et de fantaisie au Panthéon avec une personne qui le mérite autant pour son engagement.
Et qui est une descendante d’esclave…
Ma mère, même si elle était américaine, a en commun avec les Antillais et les Réunionnais d’être, par sa mère, une arrière petite-fille d’esclave noire. Là, se fait la connexion avec tous ceux qui, historiquement, voudraient aussi que l’on reconnaisse par cette panthéonisation, une femme issue de l’esclavage.
La mulâtresse solitude fait aussi partie des noms évoqués pour le Panthéon…
Oui, mais Solitude, c’est « virtuel », puisqu’on n’est pas sûrs qu’elle ait existé. Il y a une liste où il n’y a quasiment que des femmes, six ou sept, et un homme, Pierre Brossolette… L’air du temps ne joue pas en sa faveur. Mais une femme, de couleur, devenue française, avec un parcours et des combats qui restent d’actualité (quand on parle de racisme, mais aussi d’adoption), je me dis pourquoi pas… En tout cas, entre Olympe de Gouges, Simone de Beauvoir ou Germaine Tillon, les médias se sont beaucoup plus lancés avec Joséphine Baker. Nous, la famille, on ne réclame rien et c’est déjà très bien qu’on ait beaucoup parlé d’elle à ce sujet. C’est déjà une victoire pour sa mémoire, déjà un pré-hommage.
Propos recueillis par FXG, à Paris