L'Autorité de la concurrence et la loi Lurel
Le bilan ultramarin de l’Autorité de la concurrence
Créée par la loi de modernisation de l’économie, l’Autorité de la concurrence existe depuis le 2 mars 2009, soit trois jours avant la fin du mouvement social aux Antilles. Un mouvement parti sur la base de la contestation de la cherté de la vie et de la pwofitasyon. « Notre action en Outre-mer revêt aussi un aspect psychologique car les outre-mer avaient la sensation d’être les oubliés de la régulation économique », a expliqué Bruno Lasserre, son président, devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale qui l’auditionnait mercredi dernier.
Entre 2009 et 2012, l’Autorité a infligé cinq sanctions. A la Réunion, elle a mis fin à l’entente illicite des pétroliers sur les carburéacteurs apres avoir opéré des perquisitions au siège des compagnies pétrolières à la Réunion, à Paris, mais également à Londres. Depuis, Cour de cassation et cour d’appel ont confirmé la sanction. Deux autres ont concerné a la Réunion et aux Antilles des opérateurs de téléphonie. Deux amendes conséquentes de 27 millions et de 63 millions ! La manutention portuaire à la Réunion a elle aussi été sanctionnée… Deux engagements de renégociation ont ete obtenus pour redresser des situations d’entente illicite, notamment dans le marché maritime avec la CMA-CGM. En matière de seuil de concentration, l’Autorité a pris onze décisions en outre-mer. Quatre nouvelles sont en cours d’instruction dont une qui concerne les télécoms et une autre l’audiovisuel. Par ailleurs, l’Autorité a publié sept avis, à l’instar de celui publié sur les décrets carburants. En 2012, avec ses 185 agents et ses 20 millions de frais de fonctionnement, elle a infligé 540 millions d’amendes recouvrés à 97 % !
L’Autorité a encore été saisie d’une plainte de syndicats hôteliers d’Outre-mer contre les grandes plateformes électroniques de réservation qui leur interdisent de commercialiser leurs produits en dessous des tarifs proposés par ces mêmes plateformes. L’affaire est en cours.
Huit enquêtes sont actuellement instruites, leur objet est confidentiel, mais il pourrait concerner des secteurs comme le BTP (le ciment, notamment), les intrants agricoles ou encore les aliments pour bétail. Par ailleurs, l’Autorité devrait rendre publique l’année prochaine une vaste enquête nationale sur la filière du médicament avec un chapitre dédié à l’Outre-mer.
FXG, à Paris
Injonction et injonction structurelle
L’injonction et l’injonction structurelle sont deux outils-clés de la loi Lurel mis à la disposition de l’Autorité depuis le 1er avril 2013. La première permet à l’Autorité de la concurrence d’imposer des mesures de régulation dès lors que les opérateurs d’un marché de gros ne respectent pas les dispositions du décret régulant le marché en question. L’injonction structurelle qui permet de casser une situation monopolistique ne s’applique qu’à la grande distribution.
ITW Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence
« L’injonction structurelle va faire bouger les comportements »
Où en est votre action sur les clauses d’exclusivité ?
Des enquêtes dont je ne détaillerai ni le secteur, ni le département, ont été lancées et nous serons très attentifs à ce que le texte de la loi Lurel qui proscrit à compter du 1er avril 2013, ces exclusivités d’importation, de droit ou de fait, soit effectivement appliqué.
Le député Jean-Jacques Vlody (PS Réunion) vous a interpellé sur l’impossibilité de procéder à certains achats en ligne sous prétexte de l’existence de distributeurs exclusifs outre-mer. Pouvez-vous agir en ce cas ?
Oui clairement, les services d’instruction de l’Autorité pourraient s’en saisir dès lors que nous avons des cas suffisamment documentés et précis. Tout le monde peut nous écrire, mais seules les entreprises peuvent juridiquement déposer une plainte auprès de l’Autorité. Mais rien n’interdit aux associations de consommateurs de nous saisir informellement. Et rien n’interdit non plus les particuliers de saisir les services de l’Etat sur place, notamment les Directions interrégionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi dont le rôle est aussi d’enquêter et de faire remonter les indices chez nous.
La loi Lurel vous a doté du pouvoir de l’injonction structurelle. L’avez-vous déjà expérimentée ?
Pas encore. Il y a eu un débat sur la constitutionnalité de ce nouvel outil et la question a été réglée en octobre par une decision très importante du Conseil constitutionnel à propos d’une loi du pays en Nouvelle-Calédonie. Très clairement, le Conseil a considéré que, certes, cette disposition était une restriction à la liberté d’entreprendre, mais qu’elle était justifiée par la situation des départements d’outre-mer et la concurrence insuffisante qui règne dans ces économies. Les hypothèques juridiques sont aujourd’hui levées ; les opérateurs économiques le savent et ils peuvent compter sur notre détermination pour aller jusqu’au bout. Lorsque les conditions de la loi seront remplies, nous n’hésiterons pas à manier cet instrument qui va faire bouger les comportements.
Vous n’avez pas encore utilisé cette injonction, mais avez-vous eu à en brandir la menace ?
Nous l’avons brandie dans le transport maritime. La perspective que nous puissions in fineprononcer une injonction a été un ferment de négociation. Je crois que ça a débloqué des réticences et pousser les compagnies de transport maritime à négocier des engagements satisfaisants avec nous sur la route Antilles - Europe du Nord.
Pourrait-on imaginer des choses similaires dans le domaine du transport aérien ?
Tout est possible, mais il est difficile de parler en l’air !
Le bouclier qualité prix a-t-il eu un réel effet sur les prix à la consommation ?
C’est un moyen efficace. Il a permis de modérer et faire baisser les prix de détail de façon positive. Mais il ne s’attaque pas à la question de la structure des prix.
Vous dîtes qu’un panier mystère serait préférable au panier type du bouclier qualité prix, pourquoi ?
Avec un panier détaillé, on prend le risque que le distributeur mette d’autres produits d’appel sur ses linéaires. C’est en cela qu’un panier mystère serait souhaitable. Le fait de ne pas détailler la composition du panier permettrait d’éviter la stratégie de contournement du distributeur qui propose un produit avec un prix plus bas que celui figurant dans le panier type dans le but de fidéliser les consommateurs.
Vous avez évoqué des contrats de performance pour la production locale. De quoi s’agit-il ?
Je suis favorable à une politique publique qui aide la production locale, mais chacun doit y trouver son compte, l’industriel mais aussi la collectivité. Je trouve justifié qu’on subordonne des subventions à des contreparties en termes d’emploi, mais pourquoi ne pas ajouter des conditions en termes de garantie de qualité minimale, voire de prix ? Il faut aussi que les consommateurs domiens bénéficient de cette politique qui encourage la production locale.
Vous avez dit aux députés : « Est-il normal d’importer de l’eau minérale ou des yaourts ? Et quand on en produit localement, leurs prix sont souvent les mêmes que ceux qui sont importés… »
Ça peut arriver… Certains producteurs locaux ont une cote d’amour puisque les consommateurs locaux aiment bien acheter local, et ils mettent leurs produits à la hauteur des prix des produits importés. Si leurs coûts de revient sont moins élevés, pourquoi les consommateurs domiens ne pourraient pas bénéficier de ces coûts de revient moindres ?
C’est un sujet dont vous pourriez vous autosaisir ?
Nous sommes 185 et nous avons compétence pour toute l’économie nationale… Il faut choisir des priorités car il faut avoir les moyens de ses ambitions. Ces moyens, nous ne les définissons pas tout seuls.
Propos recueillis par FXG, à Paris