L'Autorite de la concurrence et le decret carburant de Lurel
Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, était auditionné hier matin par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. La question du décret sur les carburants a étélonguement évoquée. Interview.
« Luttons contre les comportements illicites des pétroliers qui rejettent la foudre sur les gérants »
Le décret sur les carburants va-t-il créer plus de transparence dans la formule des prix à la pompe ?
Le décret vise à vérifier que les pétroliers ne répercutent pas en aval, c’est-à-dire vers les stations-service et in fine vers l’automobiliste, des coûts qui ne seraient pas justifiés. Il va modifier les conditions dans lesquelles les pétroliers importent leur pétrole et restituent en aval les gains d’efficacité qu’ils obtiennent en amont grâce à leur pouvoir de négociation. Le calcul du prix importé est la base sur laquelle se greffent ensuite des marges ou des prix supplémentaires ; le décret impose que seuls les cours de cotation de référence de la base d’approvisionnement sur le marché international, l’index Platt’s, et le cours moyen du dollar servent de base. Ils ne pourront pas ajouter à ce coût, facile à contrôler, des frais de trading ou des coûts d’assurance qui ne seraient pas dûment justifiés. C’est un élément de transparence qui permet à l’automobiliste de vérifier qu’il en a pour son argent. Ni les populations domiennes, ni les stations-service n’ont a craindre de ce décret. Il n’a pas pour but d’étrangler les gérants, mais de mieux contrôler les conditions dans lesquelles le pétrole est importé.
Ce n’est pas l’avis des gérants qui disent faire l’objet de chantage de la part des pétroliers, leurs fournisseurs et/ou bailleurs…
C’est à cela qu’il faut s’attaquer : qu’il n’y ait pas de représailles ou un combat inégal entre des pétroliers intégrés, très puissants, et des gérants de stations-service plus isolés, plus faibles. Dans un avis de l’Autorité de la concurrence de juillet 2009, nous avons fait toute une série de propositions pour rendre du pouvoir aux gérants des stations, limiter les obligations d’exclusivité, faire en sorte que la durée des contrats de location soit suffisamment courte pour que les gérants puissent les remettre en jeu. C’est à cela qu’il faut veiller.
Les parlementaires d’Outre-mer vous ont alerté sur la grève des gérants de stations-service qui menacent leurs départements. Que pouvez-vous dire aux gérants pour les rassurer ?
Il faut faire de la pédagogie et dissiper les malentendus et les craintes injustifiées. Objectivement, tout le monde a à gagner de ce projet de décret. Ce qui est en cause, ce sont les réactions injustifiées des pétroliers qui brandissent ce décret comme une menace pour eux et qui se servent des gérants un peu comme des otages de cette discussion. Je suis désolé d’employer ces termes, mais c’est le risque. Essayons d’apporter de bonnes réponses aux vraies questions et, de ce point de vue, le décret va dans le sens d’une formule de contrôle des prix. Et luttons contre les comportements illicites des pétroliers qui, non satisfaits de ce texte, rejetteraient la foudre vers les gérants de station-service.
N’aurait-il pas fallu, comme l’a proposé le député UMP Patrick Ollier, permettre aux Régions ultrapériphériques de l’Europe de déroger aux normes européennes sur les moteurs pour permettre des approvisionnements moins chers des zones économiques voisines ?
La question se pose avec la proximité de Tobago ou du Venezuela. On pourrait envisager de déroger aux normes européennes. Aujourd’hui, les normes pour les moteurs imposent des importations de pétrole conformes à ces normes. Mais je vous retourne la question : comment fait-on pour le parc automobile existant, alors que déjà les transports en commun sont sous-développés et que chaque famille a un ou deux véhicules ? Dans ces conditions, comment peut-on, rapidement et efficacement, modifier les normes pour les véhicules déjà en circulation ?
Se pose aussi le probleme du partage de l’activité de stockage entre Shell et Total au sein de la SRPP…
Ce n’est pas sain de voir la SRPP tenue par deux compagnies pétrolières qui devraient être concurrentes l’une par rapport à l’autre. Le véritable objectif à poursuivre est la séparation de leurs activités de stockage et de distribution. Nous avons été entendus favorablement par les deux compagnies, mais ca ne bouge pas, pour des raisons de frottement fiscal, mais probablement aussi pour des raisons de résistance. Il nous emble que la menace que peut utiliser le gouvernement de réglementer le marche de gros, et l’injonction structurelle, qui est aujourd’hui dans notre boîte à outil, sont des ferments intéressants et importants d’évolution. Notre but est le décroisement complet des participations détenues par ces deux compagnies pétrolières dans la SRPP avec une séparation juridique et claire entre le stockage d’une part et la distribution de l’autre.
Les pétroliers ont connu des taux de rendement à deux chiffres. Ce décret a-t-il vocation à les appeler à la raison ?
C’est justement l’objet du décret que de contrôler les marges des pétroliers et c’est un point tres important de progrès.Nous ne sommes pas une autorité de contrôle des prix, mais une autorité de concurrence qui ne peut s’attaquer qu’à des comportements illicites, soit une entente, soit un abus de position dominante.
FXG, à Paris