L'invention du sauvage - Interview de Lilian Thuram
Interview Lilian Thuram, commissaire général de l’exposition
« Le racisme est une construction intellectuelle qu’on peut déconstruire »
Cette exposition explique en partie comment la théorie des races a pu justifier la domination de l’occident et comment le racisme peut perdurer aujourd’hui…
Il est évident que l’on peut utiliser le mot « race » parce que ça vient d’une histoire. Des scientifiques, un moment donné, ont prétendu qu’il y avait des races, donc la race supérieure des hommes blancs et celle qui était le chaînon manquant entre le singe et l’homme et qui était la race noire. A cette époque-là, les mêmes scientifiques expliquaient aussi que la femme était inférieure. C’était la même démarche. Mais il n’y a qu’une espèce d’homo sapiens. Le travail que je fais avec ma fondation est de déconstruire cette notion de race. Les enfants expliquent qu’il y a plusieurs races en prenant comme critère la couleur de la peau, comme le faisaient les scientifiques des 18 et 19e siècles. On voit donc une logique de pensée dans la réflexion des enfants, mais qui est de l’ordre culturel…
Quel message souhaitez-vous faire passer avec cette exposition ?
La déconstruction de cette notion de race, mais c’est surtout une réflexion sur l’autre, sur l’altérité. Comment je vois l’autre sachant que ce n’est jamais anodin la façon dont on perçoit l’autre. Derrière, il y a toute une histoire… Passer par exemple par les zoos humains, c’est montrer aussi qu’il n’y a pas si longtemps, on pouvait aller voir des gens dans des enclos, des gens qu’on présentait comme des sauvages, et il faut se poser la question de savoir pourquoi toute la population ait pu l’accepter. L’idéologie de l’époque voulait qu’il y ait une race supérieure et d’autres inférieures. Si vous avez été conditionnés à penser ça, c’est tout à fait compréhensible que vous y alliez. C’est pour ça que je dis qu’il ne faut pas culpabiliser ces personnes.
Pourquoi avoir choisi de vous engager dans ce travail ? Est-ce que ça a un lien avec votre enfance, votre vécu de footballeur en Italie ?
Je ne sais pas si c’est vraiment être engagé ; c’est une réflexion. Je suis arrivé à l’âge de 9 ans en région parisienne et je dis souvent que c’est à ce moment-là que je suis devenu noir. Ca peut faire sourire mais on devient noir dans le regard de l’autre. J’ai alors compris que la couleur de ma peau pouvait porter des réflexions négatives et j’ai voulu savoir pourquoi. Avec un peu de temps, j’ai compris que le racisme était avant tout une construction intellectuelle, que c’est l’histoire qui a mis ça en place, et donc qu’on pouvait la déconstruire. Mais pour la déconstruire, il faut apporter des connaissances. La meilleure des choses, c’est d’apprendre à se connaître. Une société doit aussi se poser des questions pour apprendre à se connaître, pour identifier et dépasser les problèmes. Le racisme scientifique s’est propagé dans la société par le fait des zoos humains. Le racisme, comme le sexisme, l’antisémitisme est quelque chose de culturel et si c’est culturel, c’est lié à notre histoire.
Vous avez fait inscrire à la fin de l’exposition, cette phrase de Françoise Héritier : « La matrice de toutes les inégalités c’est le rapport entre les hommes et les femmes ». Pourquoi ?
Je pense qu’à partir du moment où les sociétés, culturellement, ont accepté cette hiérarchie, ça laisse la porte ouverte à toutes les autres.
Pour préparer cette exposition, vous avez découvert vous-même des choses qui vous ont frappés. Parlez-nous du zoo Hagenbeck en Allemagne…
Nous y sommes allés pour aller chercher des archives, des peintures et, en le visitant, le directeur du zoo nous a arrêtés devant la grande porte pour nous expliquer que cette porte montrait aux visiteurs ce qu’ils allaient voir. Il nous a montré des sculptures d’animaux, mais aussi des sculptures d’hommes. Là, j’ai pris conscience que c’était vrai. On a toujours tendance à penser que ce n’est pas totalement vrai…
Est-ce que vous trouvez juste que vous ayez besoin d’être là pour que le grand public, la presse nationale s’intéressent à ces questions ?
Si je travaille autour de ce sujet, c’est parce que, aussi, j’ai été joueur de foot et je sais que par mon vecteur, les enfants, peut-être, vont être plus attentifs. Mais c’est la société qui est comme ça, ce n’est pas juste, mais c’est comme ça.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)