La JOMD des historiens
La conquête des libertés
François Durpaire, spécialiste de l’histoire des Etats-Unis, et le Guadeloupéen Fréderic Régent, spécialiste de l’histoire sociale des Antilles, ont animé avec Fabrice d’Almeida la conférence historique de la JOMD, « la conquête des libertés.
« Il y a eu, raconte le Guadeloupéen Frédéric Régent, quelques bonnes années apres l’abolition de l’esclavage, pour les affranchis devenus salariés avec une nette amélioration de leurs conditions de vie, mais la production a été divisée par trois. » Avec la fin de la IIe République viennent les mesures de contrainte. Les ouvriers de la métropole avaient leur livret de travail, les agriculteurs antillais, y compris les petits propriétaires, ont le leur. C’est presque la corvée féodale, mais les grands propriétaires recourent à l’engagisme avec les Congos et les Coolies. « Leur productivité était deux a trois fois moindre que celle des Noirs créoles et 45 % d’entre eux mourraient avant la fin des cinq ans de leur contrat », détaille l’historien, mais avec le nombre, 40 000 engagés contre 80 000 esclaves auparavant, l’engagisme a rapporté aux propriétaires fonciers. « Ça a entraîné une baisse du coût du travail des créoles affranchis… » Voilà pour la première liberté conquise…
Les esclaves, affranchis le 22 ou le 27 mai 1848, ont voté dès le mois d’août aux législatives. Il faut attendre 1875 pour que des mulâtres soient élus et 1898 pour qu’un Noir, Hégésipe Légitimus, accède enfin à la Chambre des députés.
Le Front populaire, en 1936, impose la semaine de 40 heures et une hausse des salaires. « Mais, modère Régent, la situation va rester longtemps celle décrite dans Rue Cases-nègres. Grande misère pour 90 % de la population. La départementalisation n’a changé que le cadre institutionnel… » Il faut attendre que les événements de décembre 59 à Fort-de-France et mai 67 à Pointe-à-Pitre soient passés pour que les premières aides sociales soient accessibles aux domiens. La balance commerciale avec l’Hexagone, jusque-la excédentaire, devient peu à peu déficitaire…
Paradigme de la liberté
« Ces années, explique le Guadeloupéen, sont celles où se développe l’import-distribution. » Et se poursuivent les luttes syndicales. François Durpaire ne néglige pas la demande sociale de redistribution des richesses, mais privilégie la demande individuelle et sociétale de reconnaissance. A l’inverse de Fréderic Régent. Celui-ci, d’accord avec la plateforme du LKP en 2009, considère que « l’action sociale passe avant la question de reconnaissance pour lutter contre les mécanismes de reproduction socioculturelle. »
« Et l’indépendance, quand cette question se pose-t-elle la première fois ? » demande Fabrice d’Almeida. 1769, les colons se révoltent. Ils réclament plus d’autonomie et protestent contre la politique économique de l’exclusif. 1790, les colons de l’assemblée de Saint-Domingue expriment leur désir de rester français, mais néanmoins maîtres chez eux.
Haïti, la question est posée brutalement par l’envoi des troupes napoléoniennes. Jusqu’alors, le projet de Toussaint Louverture visait l’autonomie… Une centaine d’années plus tard, le député Légitimus réclame l’assimilation, « la même justice, la même école », bref l’identité juridique, une anachronique loi de départementalisation. Il faut attendre la fin de la Seconde guerre mondiale et la naissance du Tiers-monde pour que les Antilles soient inspirées par le grand vent des indépendances. « Les Outre-mer sont un paradigme de la liberté ; la France, un paradigme de l’égalité », théorise l’historien.
FXG à Paris
Globals et Tout-monde
François Durpaire a comparé la situation des descendants d’esclaves afro-américains aux Etats-Unis et celle des Antillais. « Deux terres d’immigration », le lance Frédéric Régent. « Deux terres d’émergence de concepts », reprend Durpaire. Il met en parallèle le concept américain des Globals et leur formule « the people of all the peoples » avec le Tout-monde d’Edouard Glissant et sa créolisation. « Il y a un point commun dans ce brassage et dans cette nécessité de penser le monde mais, met en garde l’américaniste, les Outre-mer ne sont pas un laboratoire, un lieu d’expérimentation dont les résultats ne seraient destinés qu’a leur métropole. » Il sort de son rôle d’historien pour proposer un projet : Concevoir une république globalisée. Et il ajoute : « Notamment a l’université… »