La loterie de Dieu, un roman d'anticipation de Gabriel Cash
La loterie de Dieu
Gabriel Cash, éditions ASM, août 2011, 253 pages, 12 €
Avec La loterie de Dieu, Gabriel Cash rénove le roman d’anticipation politique tout en s’inscrivant dans la lignées des Van Vogt, K. Dick, Panshin, Spinrad… « Les mecs de la SF de l’époque étaient tournés vers l’avenir quand tout le monde refoulait le troisième millénaire », écrit Jake Tanner, le héros du roman, dans son journal intime. Cash jubile comme un gamin sur sa play station dans ce XXIe siècle sur lequel il n’a qu’un regret : être né trop jeune pour ne pas connaître le lendemain qui chante que son héros nous annonce ! Non sans douleur. Gabriel Cash a souffert pour écrire ce livre, les pages du journal intime de Jake Tanner en témoignent ! L’auteur semble avoir éprouvé l’impérieuse nécessité d’écrire ce roman pour ne pas sombrer dans une folie dont on ne s’éloigne jamais dans ce livre dont l’action se passe cent ans après sa naissance, en 2061… Et qui n’oublie d’ailleurs pas de se référer au Horla de Maupassant.
Yalta 2 et Vatican 3
« Dans les années 2010, les tensions étaient si considérables que l’humanité s’attendait à la première guerre civile mondiale. Autant dire la chute des civilisations. Les grandes nations, pour affirmer la mondialisation de l’humanité, décidèrent de construire l’Organigramme Mondial afin de transcender la paranoïa internationale et permettre, notamment, de restructurer les industries de l’armement par la création de l’Agence spatiale mondiale. Le slogan était alors : « Des missiles ou des navettes. » Ce furent des navettes… » Gabriel Cash installe un nouveau paradigme politique : une ONU reformatée, Yalta 2, Vatican 3 et l’alliance hindo-judéo-christo-boudhique. Et si l’espace est déjà bien occupé par les humains, la vraie conquête, c’est le monde virtuel : l’InfoSphère, l’économie virtuelle et les biomondes issus des rêves ! En 2060, Total race, la course totale, est devenu le sport mondial. Les gens y parient des milliards de tokens (monnaie internationale). Cette course totale est une sorte de jeu vidéo entre war game et CAC 40 ! « Une fusion totale entre les jeux virtuels, les joueurs, les parieurs et les marchés… » Les « métas » sont les joueurs du top ten, ceux qui luttent contre les cyborgs et les entités antigrav, et qui colonisent, urbanisent les no man’s land de l’InfoSphère, ce « monde non euclidien » (voire non aristotélicien, clin d’œil à Van Vogt !). « Ce jeu vidéo qui pèse 1032 info-secondes », a une finalité : la loterie. « La loterie est la « bookmakerisation de l’InfoSphère… Pour certains, elle est devenue la banque mondiale, pour d’autres la nouvelle figure de Pharaon, sorte de déité »… Le défi majeur des « métas », les héros du Total race, est d’atteindre le 7e anneau de la loterie, le 7e ciel, la connaissance totale, le règne de la vérité, le dévoilement du mystère central. Avec Gabriel Cash, la ludicité est bien l’anagramme de la lucidité ! « Jorge Luis Borgès et Philip K. Dick étaient considérés comme les pères spirituels de la loterie », écrit Cash qui rappelle au passage que Maurice Georges Dantec est vivant en 2061 et a 102 ans…
Pilote de spermatozoïde
Jake Taner, simple parieur sur Total race veut devenir joueur, atteindre le niveau des métas et ses rêves l’y conduisent : « Dans ce biomonde, en plein espace, des milliards de petites portes lumière, comme des entrées de petites maisons… Et les petites portes lumineuses sont des ovules ouverts ! Plongeant dans le monde cellulaire, je suis une entité biologique qui s’agite. Je pilote un spermatozoïde… » L’homme est passé de « poussière d’étoile à l’état de semence galactique… » Les hommes s’identifient « aux runners de Total race, vivant par procuration la volonté de vaincre mais aussi espérant une mutation spectaculaire (…) comme une aspiration non formulée à une libération de la condition humaine. » L’InfoSphère est faite de la compilation de ce que les hommes ont mis dans tous les serveurs et disques durs ; elle sait donc « pratiquement tout de l’humanité ». « Internet révélait tout, écrit-il ; cette révélation se dit en grec apocalyptos ! »
Nirvana et Christ-allisation
Cash n’a pas peur de la spéculation spirituelle. « Ecce homo. Oui. Un âge d’or est possible. Le nouvel homme ? La gloire christique ? Mais aussi la peur du paradis, l’instinct de l’ennui ? La nostalgie de la guerre ? » Et Cash sublime « le risque d’être ravagé par le syndrome de Raskolnikov ! » : « Dieu est-il ? Dieu étant la réponse à l’angoisse de la mort parce que Dieu est la conscience et l’infini. Le seul symbole d’une victoire sur le néant. » Cash n’est que « poète à côté de l’équation finale de l’univers », Mais il ose « l’ultime paradigme », « la réincarnation personnelle », « la christ-allisation de matière spirituelle », « la réincarnation collective », « le deuxième big bang, le nirvana, l’avenir de l’humanité, jusqu’à atteindre… Oh ! Mon Dieu… » Et il conclut cette apocalypse par ces mots : « A l’impossible commencement est réellement le verbe. » C’est complètement barré, mais c’est assez génial à lire. Et pour paraphraser Damon Knight au sujet de l’œuvre de Van Vogt, Gabriel Cash n’est certainement pas « un pygmée qui a utilisé un ordinateur géant », mais il a renoué avec brio avec le paradigme campbellien.
FXG (agence de presse GHM)