Le 23 mai du CM98 www.anchoukaj.org
L’hommage aux aïeux du CM98
23 mai, date mémorielle choisie par nombre d’Antillais d’Ile de France. Depuis 1999, le CM 98, met tout en œuvre pour que cette journée dédiée aux victimes de l’esclavage colonial devienne une journée de commémoration nationale.
Le comité de la marche du 23 mai (CM98) a installé le village Lanmèkannfènèg sur le parvis de la basilique de Saint-Denis (93). La population antillaise a rendez vous pour un temps mémoriel, le temps « Lanmèkannfègèg », un temps de réflexion, de commémoration, le temps d’être ensemble, de vivre et vibrer en harmonie, de penser aux aïeux. Les visiteurs, quasiment tous des descendants d’esclaves découvrent le site internet, www.anchoukaj.org, ainsi que le livre Non Nou qui répertorie les premiers noms donnés aux esclaves de la Martinique.
Sur le parvis de la basilique, en plein soleil, les curieux assistent à la reconstitution du voyage des nègres allongés dans la cale de l’Aurore, un bateau négrier, dessiné sur le sol. Une fresque humaine avec plus de 180 participants, 400 étaient attendus. En bruit de fond la mer tapant sur la coque du navire. Et retentit à la fin le son de la conque de lambi. Certains vacillent, d’autre laissent couler leurs larmes, les visages sont tristes, émouvants, fiers d’avoir vécu ce moment. Puis les participants se sont réunis dans la salle du conseil municipal de la ville de Saint-Denis pour raconter leurs expériences. Marie-Claude, venue de Lyon et originaire de Saint-Pierre, est fière mais un peu dans l’embarras : « J’ai un vide en moi, j’ai besoin de savoir et trouver mes racines, pour conduire mes enfants. » Le docteur Emmanuel Gordien qui a coordonné les recherches collectives sur les noms de la Martinique écoute attentivement. Le président du CM98, Serge Romana, lance: « Nous sommes en errance identitaire. » L’université populaire du CM98 est là pour faire savoir à la famille antillaise son origine et sa voie. La prochaine étape sera de faire connaître cette démarche mémorielle en Afrique, mais 14 ans après, aucune autre communauté partageant cette histoire d’esclavage, Noirs américains, Brésiliens, Cubains, Haïtiens, ne sont là. Le travail d’éducation historique, estime Serge Romana, est indispensable pour accompagner les demandeurs de plus en plus nombreux. Ceux-ci ont aujourd’hui l’occasion d’aller sur le site : www.anchoukaj.org, un portail de recherche pour tout savoir sur les noms de leurs aïeux.
Une cérémonie républicaine se déroule au son du ka. Le député Patrick Braouezec, le président de la région IDF, Jean-Paul Huchon, le maire de Saint-Denis Didier Paillard, Viviane Roll-Romana, conseillère régionale d’ile de France, l’ajointe au maire de la ville , Jacqueline Pavilla et des présidents d’associations antillaises inaugurent symboliquement le Square du 23 mai 1998, les rues Amistad, Habitation Raizet et Code Noir. La ville de Saint-Denis s’approprie l’histoire du 23 mai.
Une autre cérémonie, religieuse et œcuménique, rassemble les familles, toutes générations confondues. La fête Lanmèkannfènèg a pris la suite pour clôturer cette journée de manifestation riche en émotion. La compagnie Riposte avec D’ de Kabal, l’homme à la voix magique, Dédé Saint-Prix le maitre du chwouval bwa, et les autres ont rythmé la fin de la soirée, en résonnance avec le tam-tam de l’Afrique.
Alfred Jocksan (agence de presse GHM)
Deux mots, quatre paroles
Jakline Pavilla, maire adjointe à la ville de Saint Denis : « Nous avons franchi une étape, tout simplement en marquant les noms des rues, soit par une habitation ou par exemple le code noir. C’est assez fort symboliquement. Pour moi, c’est une façon de faire connaitre l’histoire des Antilles qu’on ne connaît pas assez. Ici, souvent dans ma responsabilité de femme politique, je pense à ma mère qui a travaillé dans les habitations sucrières dans les années 70/72. Gamine, je la voyais partir chaque matin dans les champs de canne. On ne se rendait pas de leurs douleurs, de leurs souffrances. Souvent, je l’évoque dans ma prise de responsabilité pour que nous soyons fiers de ce que nous faisons ».
Serge Romana, le président du CM98 : « J’ai ressenti, à 14 heure dans le bateau et à la célébration œcuménique, une grande paix intérieure et une grande communion avec les miens. Je ne me suis pas posé la question du CM98. Je suis marqué par ce que les pasteurs ont dit, marqué par la force de notre histoire. Cette catastrophe humaine qu’a été l’esclavage est entrain d’être retourné. Nous sommes entrain de faire une vraie force. D’unité, mais aussi un témoignage vibrant de la vie, de ce que l’horreur est capable, malgré tout, de générer, la vie. Notre histoire témoigne que l’homme crée la vie dans m’importe quelles conditions. De voir ses idées prendre vie, devenir vraiment chair par notre existante commune, étaient quelques choses d’apaisante, qui nous rend fier, qui est bon, que devait gouter tous les descendants d’esclaves. Parce que ça unit, c’est bon pour nous et pour nos enfants. Je suis envahit d’émotion, de cette émotion après ça que j’ai vécu. Je n’ai pas pu sortir de la cathédrale, aller tomber dans le tambour. Je suis resté prendre cette énergie positive qui était toujours là ».
Didier Paillard, maire de la ville de Saint Denis : « Je dirais que Saint Denis est la ville des rois morts et des peuples vivants. Le peuple vivant est à l’image de 136 nationalités qui peuplent et font la ville. Ainsi que tous ceux qui sont ses enfants d’esclaves, venus des caraïbes. Il est important pour nous, pour construire l’avenir de la ville de pouvoir s’appuyer sur la mémoire de chacun. C’est ça qui nous guide. Ce n’est pas sortir les cadavres des placards, il s’agit de construire sur la mémoire de l’époque. C’est bâtir un rapport de fraternité et de respect entre les populations. J’attend de la sincérité pour bâtir ensemble ».
Emmanuel Gordien dit Toto, directeur de l’AGTHFA du CM98 : « Cette reconstitution est purement symbolique. Nos parents esclaves sont certainement arrivés par le bateau. L’idée était, collectivement, tous ensembles que nous puissions communier autour de ce premier voyage. Pour moi c’était la meilleure façon de commencer cette journée de commémoration de victimes de l’esclavage. Une fresque humaine, vivante, historique, où les personnes étaient allongées dans les conditions des prisonniers africains, dans les bateaux négriers. Pour moi c’était un symbole, d’une très haute importance. Ce temps long, ce passage du milieu est notre histoire ».