Le chant du pipiri par Anne de Bourbon-Siciles
« Le chant du pipiri » ou Roméo et Juliette chez les békés
Anne de Bourbon-Siciles publie chez L’archipel « Le chant du pipiri », un roman qui met en scène les amours d’une jeune béké avec un Noir.
Les histoires d’amour impossible finissent mal en général… Depuis les Montaigu et les Capulet, Roméo n’a pas le droit d’aimer Juliette. C’est cette trame romanesque qu’emprunte Anne de Bourbon-Siciles pour conduire son lecteur en Martinique au cœur de la société béké. Elle plante son intrigue en 1950 dans la famille Baudin de la Molinière. Pierre, le père, est un planteur puissant. Marie, son épouse, lui a donné deux filles. Tous les matins, au pipiri chantant, Louise, l’aînée, retrouve Man, le fils du régisseur noir, dans leur cabane nichée au creux d’un flamboyant centenaire. Les enfants grandissent et l’amour se fait durable… Pour y mettre fin, ses parents envoient Louise à Paris, pour lui faire croire ensuite que Man est mort dans un accident de voiture. Il s’agit de lui faire oublier cet homme indigne de leur famille. Mais de cet amour impossible va naître Rodolphe. Une catastrophe pour les parents qui offrent une alternative cornélienne à leur fille : ou bien elle abandonne l’enfant ou bien sa famille l’abandonne... Louise choisit l’enfant. Devenu adulte, ce métis en quête d’identité regagne la Martinique à la rencontre des fantômes du passé…
« Le racisme est partout, déclare l’auteur, mais en Martinique, il s’installe dans un rapport humain apparemment consenti et non pas subi… » De Fort-de-France à Paris, dans les milieux antillais blancs ou noirs, de Saint-Tropez à Capri, dans la jet set européenne, l’auteur qui connaît la musique offre une saga d’ete parfois cruelle, parfois plus suave, où se mêlent amours et trahisons, racisme et secrets de famille, suspens et rebondissements et où, précise l’auteur, « la face cachée de la société martiniquaise n’a rien à envier à celle de la haute société parisienne ».
Anne de Bourbon-Siciles vit la moitié de l’année en Martinique. Elle a voulu montrer dans son roman tout ce qu’elle a vu et ressenti au cours de ses séjours sur l’île. « J’ai la chance d’évoluer dans tous les milieux et je me rends compte que les choses n’ont pas encore beaucoup changé malheureusement et si ça n’évolue pas plus vite, nous allons droit dans le mur. »
Le déclic pour écrire ce roman ? Anne de Bourbon-Siciles l’a eu dans la salle d’attente d’un avocat où se trouvait un tableau représentant une femme blanche, alanguie sur un sofa, et un très bel homme noir à ses genoux, lui tenant la main. « Ce tableau est maintenant au-dessus de mon lit. » L’avocat, c’est son compagnon. Il a pour nom Alex Ursulet. Sans être autobiographique, « Le chant du pipiri » renvoie à sa propre histoire puisqu’elle a baptisé ses héros, Man et Louise, les prénoms de ses beaux-parents martiniquais… Man, c’est aussi l’homme en anglais, ce qui donne à ce personnage un supplément d’humanité, si toutefois il était nécessaire de le rappeler… « J’ai donné le prénom de Man à mon personnage, parce que c’est un diminutif d’Emmanuel que je ne connaissais pas et que j’aime beaucoup. J’ai commencé à écrire Man sans même penser que c’était le prénom du père d’Alex. Quant à Louise, j’ai connu, quand j’étais jeune fille, dans ma classe, une béké qui s’appelait ainsi. C’est après que je me suis rendu compte que j’avais pris les prénoms des parents de mon ami. » Nul doute que l’auteur n’a pas été elle-même confrontée aux affres de son héroïne, mais son histoire d’amour avec un Noir a été diversement appréciée dans la société béké. « Je ne suis pas une donneuse de leçon, je constate. Avant de decouvrir la Martinique, je ne soupçonnais pas à ce point-là ce genre d’attitude aujourd’hui. » Ni historienne, ni sociologue, la princesse se sert du roman pour dire ce qu’elle pense de cette société clivée, sans jamais condamner. Mais pourquoi, diable, cette descendante de Louis XIV n’est-elle pas davantage solidaire de la société aristocratique martiniquaise qui procède de sa royale famille ? « C’est la différence entre être libre ou pas. Je vis avec un homme que j’aime, je ne le vois pas comme noir ou comme blanc, c’est un homme et je l’aime. Ce roman est une ode à la liberté ! »
A travers ce remake de Roméo et Juliette chez les békés, Anne de Bourbon-Siciles lance un cri d’amour à la Martinique. « J’ai voulu terminer ce roman d’une facon positive avec le rêve que je porte pour ce pays. » On sort de cette lecture, fort d’une certitude : la princesse a lu Edouard Glissant.
FXG, à Paris
Le chant du pipiri, édition L’archipel, 19,95 euros
Un auteur de sang royal
Anne de Bourbon-Siciles est la fille de Ferdinand Pie, héritier de la maison de Bourbon Siciles, la branche italienne des Bourbons, elle-même issue de la branche espagnole de la maison capétienne de Bourbon.
La Maison de Bourbon-Siciles a donné cinq souverains à l'Italie du Sud ainsi que plusieurs souveraines à l'Espagne, à l'Autriche, au Brésil, à la France ou à l'Italie du Nord. Détrônée en 1861 par l'Expédition des Mille, la maison a cependant conservé sa place à l'intérieur du gotha européen et de fréquentes unions matrimoniales ont continué à unir les Bourbons-Siciles aux dynastiques catholiques.
Le 9 septembre 1977, la princesse Anne de Bourbon-Siciles, fille du prince Ferdinand, duc de Castro et de Chantal de Chevron-Villette, épousait Jacques Cochin, fils du baron Cochin à Roquebrune-sur-Argens. Le couple aujourd’hui divorcé, a eu deux enfants, Nicolas (1979) et Dorothée (1985). Depuis, la princesse Anne partage sa vie avec l’avocat martiniquais Alex Ursulet.