Les élections municipales de Saint-Pierre (Martinique) devant le Conseil d'Etat
Vers une annulation des élections municipales à Saint-Pierre
Il y avait foule au palais Royal, mercredi à 14 heures (heure de Paris), pour écouter Nathalie Escaut, rapporteur public au Conseil d'Etat, faire lecture de ses recommandations aux magistrats de la haute juridiction administrative jugeant en dernier recours le déroulement des élections municipales du 23 mars dernier à Saint-Pierre. D'un côté, il y avait Raphaël Martine, le maire RDM (contesté) de Saint-Pierre, escorté par une dizaine de soutiens dont le conseiller municipal et vice-président de CAP Nord, Louis-Edouard Viraye, de l'autre, Me Thomas Dumont, avocat de Christian Rapha (DVD), Eliane Cesto et François-Jean Canevy (PPM), lors de la procédure devant le tribunal administratif de Fort-de-France, et deux colisitiers de M. Rapha, Carine Alexandre et Michel Almandin. Le rapporteur Mathieu Hérondard a d'abord rappelé les trois requêtes en appel présentées par Christian Rapha, Eliane Cesto et François-Jean Canevy contre le jugement du tribunal administratif de Fort-de-France qui avait conclu le 27 juin dernier à la validité du scrutin du 23 mars dernier à Saint-Pierre. Le tribunal administratif avait alors été saisi par les mêmes personnes mais également par le préfet qui avait déféré l'élection devant la juridiction administrative foyalaise, sans succès.
Cette fois, le rapporteur public a clairement évoqué une "atteinte à la sincérité du scrutin" et proposé l'annulation du jugement du tribunal administratif et celle de l'élection de la liste conduite par Raphaël Martine.
Avant d'en arriver à ces conclusions, Nathalie Escaut a rappelé dans quelles circonstances s'étaient déroulées les opérations de dépouillement dans le bureau de vote n°1 de Saint-Pierre. Ce dépouillement a abouti au résultat suivant : 198 voix pour Raphaël Martine, 127 pour Christian Rapha et 0 pour Eliane Cesto. Deux vidéos de 7 et 10 minutes montrant la fin des opérations de dépouillement ont été versées au dossier. Il en ressort que les bulletins au nom de la liste Martine n'étaient pas montrés au public ni aux autres scrutateurs, puis ils étaient mis face cachée sur la table. Il ressort encore que seuls les bulletins de la liste Rapha étaient montrés au public. Détail d'importance, les bulletins de la liste Rapha étaient imprimés en bleu et ceux des listes Cesto et Martine en noir, facilitant ainsi la confusion. Après le décompte, les bulletins ont été déchirés et mis à la corbeille. Le préfet et les deux têtes de liste ont soulevé ce lièvre devant le tribunal administratif, mais les juges foyalais n'ont pas suivi estimant qu'entre l'évacuation de la salle de la corbeille aux bulletins déchirés et sa restitution aux gendarmes, elle avait échappé un moment à tout contrôle. Par ailleurs, ils ont constaté que le procès verbal signé par le président du bureau de vote et sa secrétaire ne mentionnait pas de réclamation et qu'il y avait suffisamment de gens pour contrôler les scrutateurs. Or, il y a eu une contestation de la part d'un représentant de la liste Cesto et les gendarmes ont été appelés vers 19 h 45 ce 23 mars au bureau n°1.
Le rapporteur public a donc proposé une autre lecture, d'abord en constatant que la liste Cesto avait eu des voix dans tous les autres bureaux de vote de la commune et son score de 0 voix était une aberration statistique. Ensuite, les gendarmes qui ont récupéré les 330 bulletins déchirés correspondant aux 330 votes ont retrouvé 56 morceaux représentant 27 bulletins au nom de Cesto. L'addition de ces 27 bulletins aux 173 de la liste Martine donne quasiment le résultat proclamé pour la liste Martine. Autre élément ayant contribué à réorienté l'avis du rapporteur public : huit électeurs sont venus dire à la gendarmerie qu'ils avaient voté Cesto et quatre autres ont fourni des attestations dans ce sens. Le rapporteur conclut qu'il y a eu "absence de surveillance permanente des scrutateurs", que l'avance de la liste Martine dans ce bureau n'étant que de 15 voix, il y a bien eu "atteinte à la sincérité du scrutin". Nathalie Escaut a parlé d'irrégularité, mais aussi d'"absence de preuve de fraude mise en oeuvre par le candidat", ce qui explique qu'elle n'a pas demandé de peine d'inéligibilité pour M. Martine. Si le Conseil d'Etat valide l'avis du rapporteur public (d'ici une semaine à dix jours), les élections municipales devront donc être rejouées à Saint-Pierre.
FXG, à Paris
lls ont dit
Raphaël Martine, maire RDM de Saint-Pierre
"Le rapporteur a souligné qu'il n'y avait pas eu de fraude mais des irrégularités. Moi, je conteste bien évidemment cette lecture dans la mesure où aucun élément nouveau ne vient infirmer la décision en première instance du tribunal administratif. Nous restons donc mobilisés et confiants quant à la décision que prendra le Conseil d'Etat incessamment sous peu. J'espère que la juridiction ira dans notre sens pour confirmer notre élection du 23 mars 2014 et faire en sorte qu'il n'y ait pas de doute sur la sincérité du scrutin. Si le conseil d'Etat devait délibérer autrement, nous restons mobilisés et j'en appelle à la population pierrotine pour que, de manière franche et démocratique, nous puissions démontrer notre bonne foi et, surtout, de manière définitive, que nous sommes les vainqueurs."
Me Thomas Dumont, avocat de Christian Rapha et Eliane Cesto devant le tribunal administratif
"C'est un immense soulagement de voir que la détermination avec laquelle nous avons dénoncé ce qui s'est passé autour du dépouillement porte ses fruits puisque Mme le rapporteur public a proposé de suivre intégralement notre argumentation. Oui, la rapporteur public considère que quelque soit le chemin tortueux de la corbeille, les opérations de dépouillement ne se sont pas déroulées conformément au droit électoral et donc la censure est inéluctable. Le fait que la rapporteur parle d'irrégularité et non de fraude est, paradoxalement, une bonne chose : il y a un doute parce que cette corbeille s'est retrouvée un moment hors contrôle. Si elle s'en était tenue de manière très ferme à la fraude, M. Martine aurait pu continuer comme il le fait depuis le départ à crier au complot alors que là, il n'y a aucun complot ! C'est le simple droit qui s'applique. M. Martine et son équipe n'ont pas fait le travail correctement pour surveiller les opérations électorales. Les électeurs et les colistiers tant de Mme Cesto que de M. Rapha n'ont pas pu surveiller correctement le résultat du dépouillement. Il n'y a pas de complot, juste une mauvaise application du droit électoral par le maire sortant."
Carine Alexandre, colistière de Christian Rapha
"Il faudra refaire ces élections. Moi qui étais dans le bureau n°1, en tant que déléguée suppléante, je peux dire que nous n'avons pas été assez vigilants sur le dépouillement. Les bulletins devaient être présentés sur la table et ça n'a pas été fait. C'était de main à main entre les colistiers de M. Martine. C'était la première fois que je participais à un dépouillement, j'ai pêché par manque d'expérience. Si le Conseil d'Etat ordonne de nouvelles élections, je serais scrutatrice, j'exercerais toute ma vigilance et veillerais à ce que les bulletins soient présentés sur la table pour que tout le monde voit !"
Michel Almandin, colisitier de Christian Rapha
"A Fort-de-France, il y a eu une lecture du droit et ici, il y a une autre lecture. C'est celle-ci la vérité ! Nous avons bon espoir que le jugement sera l'annulation des élections. Saint-Pierre gagnera et la liste d'ouverture qu'a montée Christian Rapha gagnera aussi."