Lise Dolmare, 36 heures en Haïti
ITW Lise Dolmare, auteur de 36 heures en Haïti
« Retrouver sa dignité, c’est être dans la souffrance, l’expier et rayonner »
Journaliste à Guadeloupe 1ère, cette quadragénaire de La Pwent raconte dans un court ouvrage publié chez Jasor, ce qu’elle n’a pu raconter dans un simple reportage télévisé quelques jours après le tremblement de terre de janvier 2010. Au-delà des images fortes, elle livre ses impressions, ses réflexions sur l’intensité de l’homme confronté à la détresse la plus grande.
Pourquoi un tel ouvrage ?
Il me semble qu’il y a de plus en plus de journalistes qui ont le besoin d’écrire et il faut se poser la question du pourquoi. Dans nos métiers, ça va très vite ; la réflexion doit être livrée de manière rapide. On n’a pas le temps, par là même, de donner le plus profond, le plus vrai des situations. A travers l’écrit, ça m’a permis de prolonger cette réflexion. De la télé, de l’image, au commentaire des reportages, arriver à la plume, chez soi, tranquillement le soir, où les choses vécues remontent, il n’y a rien de plus succulent car il n’y a rien de plus authentique que cela. On peut se dire que 36 heures c’est court, mais la notion de temps n’existe pas…
C’est la notion de l’intense qui domine ?
C’est plus qu’intense. Il y a un va et vient entre ce qu’on observe et ce que l’on reçoit. Il y a des incompréhensions… Comment se fait-il que quand je plonge dans une tente et que je découvre la réalité d’une tente, qui est triste, miséreuse, j’éprouve au fond de moi un sentiment de sécurité. Comment se fait-il que je ressente de la sécurité dans un lieu d’insécurité ? Il y a des images… Un monsieur devant le palais présidentiel effondré en train de nettoyer le trottoir pour enlever les petites poussières et les cendres… Et tout autour, c’est le fracas ! Cet acte paraît dérisoire ; il est sensé. Il y a un vieux monsieur qui veut prendre l’avion, il est tremblotant, il a 80 ans, et on lui dit, quand il arrive à l’aéroport : « Non Monsieur, ce n’est pas aujourd’hui que vous partez… » Personne ne s’occupe plus de lui ; il repart tremblotant et il dit : « Pani lagen pou monté Pétionville… » Et il s’en va. Je l’ai regardé jusqu’au bout, les veines gonflées, les mains tremblantes. C’est tout cela Haïti. Ce sont des postures de dignité et de douleur qui fondent le pays et qui donnent même des sources de réflexion profonde pour le reste de l’humanité. Il est courant de dire que c’est dans la douleur qu’on grandit, c’est dans la douleur aussi qu’on comprend la capacité de l’être profond. Retrouver sa dignité, c’est être dans la souffrance, l’expier et rayonner. Haïti nous permet de comprendre cela au-delà du fait qu’on regarde ce pays comme un lieu de misère. Ce n’est pas simplement un lieu de misère, c’est un lieu de vérité.
Est-ce que c’est l’endroit pour faire de la littérature ?
Je comprends la démarche de Frankétienne. Il reste au pays ; il a besoin de son essence, de ce que ça lui délivre comme sève. Cet homme-là, ailleurs, il n’aurait pas eu cette puissance de la pensée. Il est appuyé sur son sol ; il n’est pas dans la misère, il est dans la richesse de la réflexion et de l’être.
Votre livre n’est pas un roman, c’est un témoignage, assez court…
Le temps ne compte pas. Le témoignage est court puisque c’est 36 heures mais comme je puis dans les secondes tout ce que j’ai pu vivre en 36 heures, j’aurai pu en faire 2 ou 300 pages. Je n’ai pas fini, je continue avec les conversations. Ce livre est un prétexte de réflexion, une proposition d’un autre regard.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)