Loi Lurel
ITW Victorin Lurel
"Les citoyens attendent à court terme une baisse immédiate"
Le ministre des Outre-mer est en déplacement officiel aux Antilles alors qu’il vient de présenter la loi contre la vie chère au conseil des ministres.
C’est un président de Région qui a quitté les Antilles en mai, c’est un ministre de plein exercice qui y revient ce jeudi. Qu’est-ce qui a changé chez l’homme ?
Rien, si ce n’est les responsabilités et l’éloignement géographique. Ni le cœur, ni le comportement personnel de l’homme n’ont changé et je n’ai pas l’intention de changer… J’avoue que le pays me manque. J’ai accepté ce poste en connaissance de ce que cela impliquait du point de vue personnel et en termes de responsabilités politiques. Rien n’est facile en période de crise. J’ai accepté, après dix années d’opposition où je produisais des idées qui n’étaient pas entendues, de tenter de passer à la proposition et à la mise en œuvre. Il faut maintenant passer quelques obstacles et quelques lourdes échéances.
Après la période d’euphorie de la victoire et la satisfaction d’être nommé au gouvernement, il y a les critiques de la rentrée autour de l’action du gouvernement, sa mollesse… Quel bilan faîtes-vous de votre action en Outre-mer ?
Je n’ai jamais sombré dans l’euphorie ni marqué un contentement particulier pour avoir été nommé ministre. Si je devais dire le fond des choses, j’ai longuement hésité et seul le Premier ministre sait ce que je lui ai dit. Lui m’a dit que l’on n’aurait pas d’état de grâce. On le savait et on n’a sous-estimé ni le contexte, ni les difficultés. Le président de la République a constamment dit : « Je suis attendu et je sais que ça ne sera pas facile pour autant… Il faut redresser la France dans la justice. » C’est ce qu’on tente de faire. Toutes les mesures qui ont été prises pour la Nation sont appliquées dans nos régions. La loi de finances rectificatives a corrigé les nombreuses injustices accumulées depuis 10 ans et singulièrement depuis 2007. Les outre-mer sont concernés. La revalorisation importante de l’allocation de rentrée scolaire est appliquée partout y compris à Mayotte. La revalorisation de 2 % du SMIC aussi. Et sur les 80.000 emplois aidés, nous avons eu notre quote-part. Sur les Emplois d’avenir, j’ai été associé pleinement, en amont, jusqu’à la conférence de presse de mon collègue Michel Sapin… Et comme le critère de répartition des ces emplois sera le taux de chômage des 15-25 ans et que nous tenons, hélas, la corde en la matière, nous serons bien placés…
Sur les 100 000 prévus la première année, combien l’Outre-mer peut-il en espérer quand la seule Réunion estime ses besoins à 5000 ?
Il y aura au-delà des demandes qui seront faites un calcul scrupuleux respectant les critères objectifs qui ont été choisis. Et on peut au moins faire confiance au ministre que je suis pour défendre les territoires qui sont dans mon portefeuille. On l’a fait pour les contrats aidés, pour les 1.000 contrats dans l’école primaire, on va le faire pour les Emplois d’avenir « professeurs ». Partout, la place des outre-mer est préservée d’autant que l’éducation, l’emploi, la jeunesse sont les priorités de l’action gouvernementale et figurent en lettres de feu dans le programme du président de la République.
Vous n’avez pas donc eu l’impression d’un ramollissement de l’action du gouvernement ?
On a une feuille de route dense avec les 60 engagements de François Hollande qu’il faut décliner dans les outre-mer et les 35 mesures spécifiques. Il fallait donc s’occuper des emplois aidés, de la rentrée scolaire, la loi contre la vie chère, la loi emplois d’avenir et bientôt la loi de modernisation de l’agriculture. Nous aurons un volet outre-mer dans la loi que Stéphane Le Foll va porter. Par ailleurs, on réfléchit sur le financement des TPE et des PME dans la déclinaison de la future banque publique d’investissement, avec peut-être une mutualisation à trouver entre l’Agence française de développement, la Caisse des dépôts et consignations, la Sagipar et d’autres sociétés locales de capital risque, sans oublier les fonds d’investissement de proximité. Il y a là une réflexion nouvelle à engager pour utiliser tous ces dispositifs et mieux drainer l’épargne locale
Vous venez de présenter la loi de lutte contre la vie chère au conseil des ministres. Comment les populations d’outre-mer vont-elles se rendre compte de changement quand on sait que c’est un projet de loi structurelle qui va agir, au mieux, à moyen terme ?
C’est toute la difficulté de l’action gouvernementale quand les citoyens attendent des résultats immédiats. Certaines choses sont possibles par accord amiable. Dans les secteurs administrés comme celui du carburant où l’on n’a pas augmenté les prix alors que théoriquement une réévaluation aurait dû intervenir, pour l’heure, nous discutons et, je l’espère, on arrivera à un accord amiable. J’aimerai avoir le même résultat qu’au niveau hexagonal avec un effort partagé de 3 centimes par les pétroliers et de 3 centimes par la fiscalité. Sur le commerce alimentaire, malgré les réticences de certaines organisations patronales, nous aimerions bien arriver à un bouclier qualité prix : des produits de grande qualité nutritionnelle à des prix raisonnables, beaucoup plus bas, un peu sur le modèle des « produits solidaires » à la Réunion. Comment pérenniser la chose ? On va poursuivre cette négociation parce que les citoyens attendent à court terme une baisse immédiate. On a obtenus quelques succès en matière de télécommunications. On tâchera de faire de même sur le secteur des transports aériens même si c’est plus compliqué, ou avec le transport maritime.
Vous dites que cette loi est une fusée à plusieurs étages…
… A plusieurs étages et à longue portée. Il y a d’abord une loi qui donne une boîte à outils à l’Etat. La deuxième phase, c’est la négociation qui permettra après, lorsque cela sera nécessaire, de prendre des décrets. Troisième temps, c’est de chercher avec les professionnels de tous les secteurs des accords amiables. Quatrièmement, ce sont les Régions qui pourront intervenir pour aider les promoteurs et cofinancer avec eux dans les contrats de plan Etat Région ou avec les fonds structurels l’entrée de nouveaux opérateurs et éviter toutes les barrières à l’entrée dans les secteurs capitalistiques. C’est une action à long terme qui peut effectivement susciter l’impatience voire l’irritation, mais il faut bien comprendre que ça fait des décennies pour ne pas dire des siècles que les choses perdurent. Pour changer, on ne peut le faire en trois mois ni en une année, il faut une action déterminée à long terme.
Où en êtes-vous sur le carburant ?
Prenons l’exemple de la SARA aux Antilles. Total est un son actionnaire majoritaire et détient dans certains territoires près de la moitié des stations service. Vous êtes dans le trading, dans le transport ou vous avez des accords avec l’unique transporteur, vous êtes dans le raffinage, dans l’importation de produit fini, dans le stockage et dans la distribution. Vous touchez 12 centimes par litre à la distribution, 8 centimes par litre au stockage, 12 centimes par litre au raffinage. Et l’on devait augmenter de 8 à 12 centimes par litre… Tout cela donne curieusement dans un marché à monopole 1.73 € à la Réunion ; 1.65 à la Martinique ; 1.68 à la Guadeloupe et à la Guyane 1.82. Les émeutes étaient parties en Guyane à 1.77 € ! Alors, il y a un décret pris par ma prédécesseur et je fais avec mais peut-on rester inerte face à l’intégration presque pleine, totale, intégrale de la filière ? Peut-on permettre à celui-là de négocier le brut, le raffiner, le stocker, le distribuer et de posséder la moitié des stations service ? On pourrait ne lui autoriser que 25 %... Est-ce une atteinte au droit de la propriété, une atteinte à la liberté de commercer ? La question se posera lorsqu’on s’attaquera à la révision du décret. Mais on peut se poser moultes questions sur les marges. Dans l’Hexagone, on est sur un marché concurrentiel avec des marges qui sont à 1 centime par litre, voire 0.4 pour les distributeurs de la grande distribution. Et chez nous, la marge est de 8 centimes alors qu’il n’y a aucun risque de faillite ni aucune pression concurrentielle. Peut-on dans un marché administré arriver à des marges qui atteignent 12 % ? Ce ne sera pas facile à changer. C’est lourd, c’est long et selon le principe du contradictoire, chacun doit faire valoir son intérêt. Je compte bien faire valoir les arguments et la volonté de l’Etat pour changer durablement les choses.
Avez-vous donné des consignes au préfet pour ces négociations ?
Oui, j’ai donné des consignes claires au préfet pour poursuivre les discussions et d’obtenir les meilleurs résultats. Les pétroliers ont accordé une baisse de 2 centimes. Nous pensons qu’ils peuvent arriver à 3 centimes. On verra au moment venu comment les collectivités qui maîtrisent la fiscalité, compte tenu de l’effort national qui a été fait, pourront faire aussi quelque chose. Et puis, par ailleurs, les distributeurs sont aussi autour de la table… Nous sommes parvenu à une baisse de 6 centimes dans l’Hexagone avec un litre de sans plomb à 1.59 €. Il y a d’abord eu une augmentation sur le marché hexagonal, puis avec la négociation, une baisse dans un effort partagé. Chez nous, la discussion est engagée et il n’y a pas eu d’augmentation, pas d’arrêté préfectoral. Il y a une négociation pour éviter 8 cts d’augmentation en Guadeloupe et Martinique, 7 centimes en Guyane et 12 à la Réunion. On demande donc aux opérateurs de la SARA et de la SRPP qui sont dans un secteur administré et à monopole d’arriver au moins aux 6 centimes de baisse auxquels on est parvenu dans l’Hexagone. Nous avons bon, espoir que ça aboutira bientôt.
Au final, reviendrez-vous sur ce décret ?
Oui, on va tout faire pour modifier le décret. Pas simplement pour s’attaquer aux marges du raffineur ou du stockeur même s’il peut faire un effort ! Sa seule manière de réagir actuellement et je l’ai entendu ainsi à la Réunion, c’est de dire que si on touche à ses marges, il est dans les roses ! Ils acceptent curieusement de se mettre autour d’une table pour discuter mais ils ferment tout de suite la porte !
Vous arrivez en pleine rentrée scolaire. Elle a été préparée par l’ancien gouvernement ; que peut dire le nouveau ministre à la communauté scolaire ?
On ne pouvait pas faire mieux que ce qui a été fait. Vincent Peillon et le gouvernement Ayrault ont modifié, rectifié tout ce qui était possible, mais on ne pouvait pas annuler la suppression des 13 000 emplois actée dès le mois de mars ! On a donné un coup d’arrêt à cette tendance régressive. Ensuite, quoiqu’on en dise, la rentrée s’est bien passée même à la Réunion, malgré la crispation autour des contrats aidés. Sur les enseignants eux-mêmes, on a réussi à placer un maximum de lauréats dans leurs régions d’origine, mais on a eu à dire aussi que lorsqu’on réussit un concours de la fonction publique, on peut être nommé ici ou là, chez soi comme ailleurs et c’est parfois utile d’aller frotter son esprit à celui des autres… Plus largement, la question est de savoir comment donner une priorité locale tout en respectant le droit commun ? On a fait au mieux compte tenu des contraintes. La rentrée de 2014 sera encore mieux préparée.
Vous arrivez en période de basse saison touristique, sujet sensible que vous devez aborder…
Ca se fait en interministériel et il y a beaucoup à faire dans ce secteur. Dans l’ensemble des territoires, il y a un parc hôtelier vieillissant, un problème de compétitivité des prix, de fiscalité et de rénovation. Il y a une nouvelle ambition touristique que j’aimerais pouvoir dessiner avec les opérateurs et Sylvia Pinel, ministre en charge de ce dossier. Il y aura des textes portés par la ministre avec un volet outre-mer comme on le fera pour l’agriculture. On pourrait dire la même chose sur le sanitaire et le médico-social où il y a, là aussi, une vraie problématique outre-mer avec les CHU, la mise sous administration provisoire de certaines unités hospitalières... Avec Marisol Touraine, ces problématiques seront prises en compte.
Manuel Valls a mis en place des zones de sécurité prioritaire. Avez-vous été associé pour le cas de la Guyane ?
Oui. J’ai eu une belle séance de travail avec Manuel Valls. Il y a la Guyane, mais il y aura une deuxième vague d’ici fin septembre, au plus tard début octobre, où la Guadeloupe et d’autres territoires seront intéressés. Cela correspond à des effectifs supplémentaires, notamment un redéploiement qui devrait se faire sous d’autres critères, et non pas un redéploiement à l’intérieur des outre-mer.
Les débats sur le projet de société de la Guadeloupe se poursuivent. Entre l’homme guadeloupéen et le ministre, que ferez-vous ?
Ma fonction de ministre m’oblige, c’est vrai, à une certaine distance. Mais je ne peux pas ignorer ce que j’ai fait il y a peu en accompagnant cette idée-là. Je n’ai qu’un seul souci et je l’ai dit au président Gillot et à Josette Borel-Lincertin, présidente du Congrès des élus départementaux et régionaux : le texte créant le conseiller territorial a été abrogé au Sénat avant même l’arrivée de ce nouveau gouvernement. Donc le texte arrivera en navette à l’Assemblée nationale et les parlementaires n’attendront pas la fin du projet de société pour l’abroger à leur tour. Il faut donc, au cours de ce semestre à venir, savoir ce que nous faisons et donc accélérer un peu le rythme
Le ministre sera prêt à plaider la cause de la consultation populaire ?
C’est le Congrès des élus départementaux et régionaux qui décidera. J’ai une opinion que je ne vais pas manquer de partager avec les élus de la Guadeloupe. Pour le moment, ce ne serait pas décent que le ministre qui va porter le projet tente de l’influencer de là où il est. En revanche, le moment venu, si je suis présent en ma qualité de conseiller régional, je pourrais avoir à exprimer ma position.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)