Lurel et les carburants
ITW Victorin Lurel
"Il faut parler de juste marge"
Vous avez annoncé au Sénat les grandes orientations de la réforme du décret sur les carburants. Quels en sont les enjeux ?
Cette réforme, vous le savez, fait partie de mes priorités depuis ma nomination au ministère des Outre-mer. Elle s’inscrit dans l’action que je conduis contre la vie chère depuis un an. J’ai proposé un axe politique pour cette réforme : traiter les problèmes qui n’avaient pas été réglés par les textes de 2010 et qui empêchent aujourd’hui aux habitants des outre-mer d’avoir confiance dans la régulation des prix. Cette méfiance, je la comprends et, sur bien des points, elle est justifiée. Cet axe a été validé au plus haut niveau, c’était l’enjeu principal. Nous allons donc traiter ces questions qui empoisonnaient le débat sur la formation des prix des prix du carburant : une régulation fiable des prix d’importation du brut et des carburants raffinés, un contrôle plus strict de la rentabilité des différentes activités en monopole (raffinage et stockage), la clarification du partage de la marge de détail entre les gérants des stations-services et les propriétaires.
Quelle différence dans les prix va entrainer le fait de donner un rôle central au prix du marché par rapport à ce qui est fait actuellement ?
La problématique est simple. Aujourd’hui, le prix est calculé à partir d’un prix d’arrivée des produits importés dans les territoires mais personne ne sait combien ils ont été achetés. Je dénonçais cela lorsque j’étais dans l’opposition et j’ai de la suite dans les idées. Nous voulons construire la régulation sur des vrais prix de marchés, transparents, connus de tous, et non pas sur des prix augmentés par des frais additionnels non vérifiables. Nous allons discuter de cela avec les compagnies pétrolières. Les préfets seront chargés de conduire les discussions au niveau local avant transmission des textes à l’Autorité de la concurrence.
Pourquoi insistez-vous sur les marges nettes des gérants de station service ?
Cela avait été soulevé dès 2009 par l’avis de l’Autorité de la concurrence. En dépit de leur posture prétendument volontariste, mes prédécesseurs n’ont pas voulu s’y attaquer. En réalité, le niveau de rentabilité est différent selon les stations. Dire, de manière générale, que les stations perdent ou ne perdent pas d’argent à un moment donné est une absurdité. Avec une même marge de détail, certaines en gagnent et d’autres non. Ce n’est pas lié à la taille de la station. Certaines petites structures qui vendent des volumes limitées sont rentables. Mais nous parlons ici de marges brutes, pas du revenu net de la station. Il est nécessaire de distinguer la marge spécifique accordée au gérant de station-service. Il faut bien identifier ce qui lui revient en propre et ce qui revient au propriétaire de la station. En effet, entre le gérant et le pétrolier, qui est tout à la fois son propriétaire et le grossiste qui lui vend son carburant, il y a des reversements sous forme de loyers et de redevances proportionnelles aux volumes de carburant vendus. Nous devons connaître les marges nettes et non plus simplement, comme aujourd’hui, les marges brutes sur lesquelles sont opérés ces prélèvements. Que l’on me comprenne bien : ces prélèvements sont légitimes, en ce qu’ils permettent de rémunérer les investissements et le fonds de commerce. Mais, c’est là une marge qui doit être régulée comme les autres. La rémunération du capital doit être raisonnable et, surtout, elle ne doit pas être déconnectée de la rentabilité réelle de la station service. On ne peut pas se servir un bénéfice avant de l’avoir gagné. Nous allons regarder tout cela en détail à partir des comptes de tous ces opérateurs, à la fois les comptes 2011 que nous avons déjà, mais aussi les comptes 2012 qui vont être disponibles dans quelques jours. Cette meilleure connaissance des marges nettes permettra d’encadrer la répartition des revenus de la chaîne de distribution. Nous voulons défendre le pouvoir d’achat tout en préservant l’emploi.
Que serait pour vous un prix juste de l’essence dans les DOM ?
Toute la politique que je conduis dans les outre-mer est fondée sur une certaine idée de l’équité. Sur ce dossier comme sur beaucoup d’autres. La notion de juste prix n’a pas vraiment de sens puisque les prix varient sans arrêt en fonction des cours du brut et de la parité euro/dollar. Il faut plutôt parler de juste marge. Il peut y avoir un écart entre les prix à la pompe dans les outre-mer et dans l’hexagone, car cela dépend du niveau des taxes sur les carburants, avec des différences de taxation entre les territoires puisque ce sont des taxes locales. Pour cette raison, le gazole est d’ailleurs moins cher dans certains territoires que dans l’hexagone. L’idéal serait que cet écart soit parfaitement expliqué et qu’il garantisse l’absence de rente de monopole et qu’ensuite, les prix augmentent ou baissent dans les mêmes proportions dans les outre-mer et dans l’hexagone en fonction de la variation des cours. Chacun est à même de comprendre qu’une même activité en concurrence dans l’Hexagone et en monopole dans les outre-mer doit aboutir à des marges comparables. Le nouveau mode de fixation des prix qui devrait entrer en vigueur cet été a été conçu pour répondre à cet objectif et pour répondre aux attentes des consommateurs.
Propos recueillis par FXG, à Paris