Marcel Ravin, chef du Monte-Carlo bay
Marcel Ravin, chef de cuisine au Monte-Carlo Bay à Monaco, est l’auteur de l’ouvrage D’un Rocher à l’autre, itinéraire d’un chef (éditions de la Martinière)
« Ma cuisine est féminine parce qu’elle renvoie à ma grand-mère »
Vous avez parlé de livre d’espoir ?
Je ne sais pas si c’est un livre d’espoir, mais quand j’étais gamin, j’avais un rêve, c’était de devenir cuisinier et qui plus est, je voulais être chef de cuisine en métropole. Ce rêve, pour moi, il était essentiel d’y arriver. Mon deuxième rêve était de faire un livre de cuisine pour pouvoir enfin avoir une signature culinaire. Dans ce livre, je parle beaucoup de la Martinique, du Diamant… Toutes les familles martiniquaises devraient s’y retrouver à travers les histoires, car ce sont ces histoires-là qui nous façonnent.
Y a-t-il du créole dedans ?
Il y en a comme les histoires des « ti boug » parce que dans ma famille, on se plaisait à m’appeler « ti boug mwen » et, quelques fois en cuisine, il m’arrive aussi d’appeler mes cuisiniers « mes p’tits bougs » avec beaucoup d’affection…
Quand êtes-vous arrivé dans l’Hexagone ?
J’y suis arrivé à l’âge de 18 ans, avec mon CAP en poche. C’est la première fois que je quittais la Martinique, que je prenais l’avion… J’arrivais à Paris et je pensais que le froid n’existait que dans les chambres froides ou les frigos et, effrayé par Paris, je suis parti en Alsace où j’ai vraiment appris mon métier. Nous étions une quarantaine de cuisiniers pour quarante couverts… Et les produits n’étaient pas les mêmes que chez nous. Il a fallu se jeter dans les livres pour comprendre ce qu’était un artichaut, une asperge… J’ai appris à écouter, à regarder autour de moi, à m’intéresser à l’autre…
N’avez-vous pas eu la tentation de repartir ?
Oui, mais ma mère m’a rappelé que j’étais parti pour quelque chose et qu’il fallait donc que je reste. En Martinique, j’avais mes petites habitudes, j’allais à la pêche, je travaillais dans un petit restaurant du Diamant où je faisais des petits poissons grillés… C’était sympa mais je suis très heureux que ma mère m’ait conseillé de rester. CE n’était pas simple. Mais ce qui est important, c’est d’avoir des rêves et de se donner les moyens d’arriver à ces rêves quelles que soient les complexités. Je suis convaincu que si on a une véritable envie, c’est possible. Il ne s’agit pas d’oublier le passé, mais on ne peut vivre sans cesse avec le passé.
Pouvez-vous raconter votre arrivée à Monaco ?
Je suis arrivé à Monaco parce que j’ai fait une rencontre, Sergio Mangini qui m’a considéré comme son « alter ego culinaire ». Il n’a pas eu de souci avec mes origines ou ma couleur.
Il voulait quelqu’un en qui il puisse avoir confiance, quelqu’un qui avait des valeurs, comme celles que m’ont appris mes grands-parents et j’ai travaillé trois ans avec lui à Bruxelles. En Belgique, je manageais 20 cuisiniers. C’était ma première place de chef dans un hôtel 5 étoiles… Le jour de son, départ, il m’a simplement dit : « J’aurai aimé vous avoir comme chef là où je vais… » Six mois plus tard, c’était la Russie ou Monaco. Aujourd’hui, ça va faire 11 bans que nous nous connaissons.
Avez-vous des modèles de chef ?
Dans le livre, je rends hommage à neuf chefs. J’ai appris la cuisine en Martinique et quand j’ai passé mon CAP, j’ai appris la quiche lorraine, le navarin printanier… Tout ça pour dire que la cuisine était avant tout réservée à une élite très française avec qui je n’ai pas travaillé. Mais je leur ai fais neuf hommages parce que grâce à eux, je me suis inspiré, j’ai appris… le métier de cuisinier, c’est respecter l’autre. Quand on fait quelque chose à manger à quelqu’un, on pénètre indirectement dans son intimité. Si vous ne rendez pas malade vos convives, vous êtes simplement un grand cuisinier. Est-ce que sont les étoiles, les références ? Je n’y crois plus trop. J’ai appris juste une chose : respecter ceux qui viennent manger dans mon restaurant. Quand je cuisine à la maison ou chez des amis, je me sens toujours garant de la santé de mon hôte et c’est ça être cuisinier avant tout.
Quel reproche feriez-vous à la cuisine antillaise ?
Il est inadmissible qu’on ne travaille pas les amandes de chez nous…
Comment qualifier votre cuisine ?
Je ne cherche pas à m’imposer, je m’adapte à ma clientèle mais aujourd’hui, je revendique une signature culinaire. Ma cuisine est féminine parce qu’elle renvoie à ma grand-mère et toutes les cuisines renvoient à une grand-mère.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)