Marie-Luce Penchard, moun Bastèr
Marie-Luce Penchard, une jeunesse guadeloupéenne
Marie-Luce Penchard, ministre de l’Outre-mer, est née et a grandi en Guadeloupe sans discontinuer de 1959 à 1986, jusqu’à ce qu’un attentat contre sa mère et son beau-père bouleverse son histoire avec la Guadeloupe…Retour sur une jeunesse Guadeloupéenne.
Pour la première fois en rupture
Nous sommes le 8 mars 1986 à Capesterre-Belle-Eau. Un cocktail Molotov est lancé sur la tribune où Lucette Michaux-Chevry (LMC) se tient et harangue la foule. Gérard Penchard, président de la CCI de Basse-Terre, se jette entre la femme et le projectile. Il est grièvement brûlé au visage… C’est cet attentat qui convainc la jeune Marie-Luce Penchard, fille de LMC et belle-fille de Gérard Penchard, de quitter la Guadeloupe. « Je n’ai pas supporté… C’est ma mère qui faisait de la politique et c’est le père de mon mari, donc ma moitié, qui souffrait. Je n’avais pas le droit de lui faire ça ! A ce moment-là, j’en ai voulu à la Guadeloupe d’avoir basculé alors que je considérais les Guadeloupéens comme tous des frères. » Marie-Luce Penchard se sentait pour la première fois en rupture et prenait le chemin de l’exil.
« Je ne m’appelle pas Michaux-Chevry ! »
Son père est un Michaux, sa mère une demoiselle Chevry. « Ma mère a prêté son serment d’avocat sous le nom de Chevry qu’elle a gardé après son mariage. Moi, je suis une demoiselle Michaux. Michaux-Chevry, en tant que patronyme, ça n’existe pas. » Marie-Luce est née le 14 février 1959, jour de la saint Valentin à Blanchet, Gourbeyre, « dans la petite maison qui est à l’entrée de la grande maison blanche de ma mère. » Dans les années 1960, LMC avait un petit cabinet d’avocat au Bas du bourg, le quartier populaire de Basse-Terre ; le père était représentant de commerce. En mars 1967, c’est l’affaire Snrsky, prélude au massacre du mois de mai à Pointe-à-Pitre… « Je me souviens de ce cordonnier infirme qui était juste en face du magasin de chaussures de Srnsky J’ai l’image de mes parents un peu affolés parce que mon père était clair de peau… Mon père est un blan péyi, mais on dit plutôt des mulâtres… » Son grand-père, Octave Michaux, était un blanc créole, mais du côté de sa grand-mère, « quand on remonte, il y a un Antillais… C’est pour ça que mon père disait qu’il était mulâtre. Sa mère avait ¾ ou 4/5 de blanc… » Et ces différences comptaient : « La famille de mon père n’a pas accepté ma mère parce qu’elle était noire. »
L’été de la Soufrière
Marie-Luce fait sa petite école au pensionnat de Versailles, puis à partir du CM2, au lycée Gerville-Réache. Elle fréquente Brigitte Rodes, les Minos, les Bichara, les jumeaux Brigitte et Christian Célestine. Il y avait encore Danielle Monrose ou le fils Laban, devenu directeur de cabinet de Victorin Lurel à la Région... Et puis, bien sûr, il y avait les Penchard… Jean-Michel, l’actuel conseiller économique et social… Yvan, plus jeune, le copain d’Octave, son frère. Et Patrick : « Mon mari n’a fait que deux années de scolarité à Basse-Terre, le reste en métropole, chez sa grand-mère à Bordeaux. Je l’ai connu quand je suis arrivée en terminale. »
Le 9 juillet 1976, Marie-Luce passe ses oraux du bac ; le 11, la Soufrière explose. « La cendre avait recouvert tout le jardin. Ma mère qui plaidait au palais de justice, a juste eu le temps de dire à mon père de nous emmener dans notre petite maison de Saint-François. Et ma mère est montée avec sa robe d’avocat sur une moto pour aller chercher sa mère à Saint-Claude ; la maison était grande ouverte et ma grand-mère avait disparu. On a su par la suite qu’elle avait fait du stop et on l’a retrouvée quatre jours après au Moule dans un camp de réfugiés. Cette dame qui, à l’époque avait 82 ou 83 ans, n’avait jamais été en Grande-Terre de sa vie ! »
La bande Velpo
Basse-Terre revit mais Marie-Luce part étudier à Paris Dauphine. Quand elle revient aux vacances, elle retrouve ses amis de la « Velpo’s band ». Denis Figaro, Jean-Michel Penchard et Alain Abdobal avaient trouvé le nom. « Ils avaient fait des cartes et on n’avait pas le droit de rentrer si on n’avait pas sa petite carte ! La journée, on allait sur les plages et le soir chez les uns et les autres. Il y avait les fils Penthier qui venaient de Pointe-à-Pitre, la grande soeur Figaro qui était hôtesse à la SATA – elle nous surveillait ‑, le fils Callard qu’on appelait Pompon, les enfants Romney, le fils Nouvel… Quand on se recevait, les parents n’avaient pas le droit de rester… »
Mariage au pays
En 1980, Marie-Luce rentre en Guadeloupe pour se marier. Elle s’inscrit à Fouillole, décroche sa maîtrise d’économie et fait des statistiques pour l’office du tourisme que dirige alors Eric Rotin. Puis, son cousin Philippe Michaux, directeur général de la SODEG, la recrute. Elle partage alors le même bureau que Marlène Mélisse. « Elle était directeur des ressources humaines et moi j’étais assistante financière. Je montais les dossiers de subvention pour la Caisse des dépôts et pour les opérations de logements sociaux. » Mais la SODEG, c’est un scandale en puissance… Sa mère, présidente du conseil général, lui dit : « Tu ne peux pas rester dans cette société parce que j’attaque. » Marie-Luce accepte de monter l’antenne pointoise du conseil général. « Je m’amusais mais j’ai vu où la politique vous emporte… »
L’exil
En mars 1985, peu après l’attentat meurtrier du restaurant l’Escale à Pointe-à-Pitre, Dominique Larifla prend le conseil général à la mère, et Georges Brédent, l’antenne pointoise à la fille. L’Alliance révolutionnaire Caraïbe, organisation indépendantiste active depuis 1982, est soupçonnée de se comporter en véritable fraction armée… « Ce n’était pas du tout comme le LKP chez qui on sent, derrière, une volonté de proposer quelque chose, un projet. Eux, ils étaient dans le rejet du pouvoir en place et ils n’avaient aucune alternative à moyen terme. » En février 1986, Marie-Luce accouche d’un garçon. En mars, après l’attentat de Capesterre-Belle-Eau, sa mère est élue députée et devient ministre… « Nous quittons définitivement la Guadeloupe le 2 novembre 1986, c’était le jour des morts. J’ai pleuré toutes mes larmes dans l’avion… » Elle ne retournera en Guadeloupe qu’en juillet 1989 et attendra encore près de vingt ans pour faire comme sa mère : de la politique et devenir ministre.
François Xavier Guillerm (Agence de presse GHM)
Si elle était…
Un végétal : une liane
Un site : les chutes du Carbet
Un plat : le colombo
Une boisson : un ti’punch au Bielle de Marie-Galante
Une chanson : une chanson de Barry White
Un écrivain : Marcel Proust
Un animal : un lapin.
Un homme politique : Je suis déjà une femme politique
Un modèle politique : Nicolas Sarkozy parce qu’il est dans un parler vrai qui correspond à ma personnalité et Mandela dont j’ai lu deux fois de suite la biographie.
Interview Marie-Luce Penchard
« Ce n’est pas par népotisme que Nicolas Sarkozy m’a choisie ! »
Pratiquez-vous toujours le créole ?
Quand j’arrive en Guadeloupe, je parle créole. La seule chose qui m’embête, c’est que parfois je perds un peu les expressions. Elles reviennent avec le temps parce que dès je rencontre des amis, je parle créole. J’aime le côté imagé du créole et j’en parle beaucoup avec mon beau-père parce que, justement, on ne peut pas le traduire.
Négritude et créolité vous parlent-ils ?
On a beaucoup parlé de Césaire après sa mort en disant que ce qu’il disait était très bien, mais avant ? Il était très critiqué. Moi, je trouve que ce qu’il dit correspond à ma vision et ne m’a jamais choqué. On me disait d’arrêter de lire Césaire parce qu’il était pour l’indépendance de la Martinique. On avait des discours assez simplistes sur l’homme alors que ce n’était pas ça. C’était pour moi un grand républicain.
Que dîtes-vous à ceux qui disent que vous êtes partie trop longtemps et que maintenant vous êtes une négropolitaine ?
Je suis fâchée ! Certes, j’ai quitté la Guadeloupe entre 1986 et 1989. Il a fallu que je fasse ce deuil. C’était dur quand même… J’ai perdu mon emploi, mon mari aussi. On s’est retrouvé à Paris au chômage avec deux enfants en bas âge, un beau-père brûlé… Il faut arrêter de dire que je ne suis pas aux Antilles… Les gens à Basse-Terre n’ont pas eu le sentiment que Marie-Luce était partie ! Ils ont vu mes enfants grandir. Comme on dit en Guadeloupe, au lieu de tirer vers le haut et d’être fiers de ceux qui y arrivent, certaines personnes tirent tout vers le bas. Quand j’entends Philippe Chaulet sur Canal + parler de népotisme… Lorsque l’on connaît Nicolas Sarkozy, il est aisé de comprendre que ce n’est pas par népotisme qu’il m’a choisie. C’est un manque d’intelligence qui veut dire que je suis plus utile à Paris, que je ne dois surtout pas venir…
Pourquoi ne voudraient-ils pas que vous veniez ?
Parce que je gêne et que je dis des choses qu’ils sont peut-être incapables de dire. Au lieu de m’utiliser pour faire progresser le débat, pour un vrai projet alternatif, j’ai l’impression de voir la Guadeloupe régresser. Que ce soit à l’époque de Bernier, Dagonia, Larifla ou ma mère, on sentait qu’il y avait des gens qui n’avaient pas forcément les mêmes idées politiques mais qui avaient envie de faire progresser ce territoire et là, j’ai l’impression qu’on essaie de détruire, pas de faire avancer.
Comment faire en sorte que Chaulet et Carabin vous acceptent ?
Il vaut mieux que je m’adresse à la population directement parce que j’ai confiance et je crois qu’elle est en capacité d’entendre un discours de vérité.
Ca veut dire que vous vous présenterez devant les électeurs…
Je veux bien le faire. Non pas pour faire carrière, je suis ministre alors ce n’est pas pour faire carrière ! Je n’entends être ni présidente, ni vice-présidente de Région. Je veux simplement être conseillère régionale pour m’intéresser à la vie de mon département. J’y suis née et j’y suis profondément attachée. Je ne finirai pas mes jours sans revenir en Guadeloupe.
Recueillis par FXG