Mémoires croisées, mémoires partagées
Mémoires croisées autour de la colonisation, de l’esclavage et de l’immigration
Le Sénat accueillait avant-hier un colloque organisé par la délégation sénatoriale à l’Outre-mer et le comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage. Au menu, les mémoires croisées.
La veille de la journée nationale de commémoration de l’abolition de l’esclavage et des traites négrières, le Sénat a réuni des historiens, des anthropologues, des artistes, des acteurs culturels et associatifs pour mettre en conversation des mémoires issues de la longue histoire de la colonisation française. « il s’agit de lutter contre la peur et la fragmentation de la société », a indiqué en préambule le sénateur martiniquais, Serge Larcher. Cette rencontre estr, selon Françoise Vergès, la première du genre : « Nous avons invité la mémoire coloniale dans le débat public. Et à partir de là, nous devons construire un récit commun. C’est le difficile cheminement de la vérité contre les idées reçues. » Introduisant cet étonnante conversation, la présidente du CPMHE a posé les deux questions essentielles : Pourquoi est-il important d’intégrer le récit colonial dans l’histoire nationale ? Faut-il créer une commission vérité et justice ? Tour à tour des invités témoins sont venus apporter leur mémoire. Aussi bien les descendants d’esclaves (Serge Romana, Camille Mauduech, Lilian Thuram) que les Kanaks (Emmanuel Kasarhérou), les Harkis (Fatima Besnaci-Lancou), les immigrés des cités (l’artiste Axiom), les Franco-Africains (Karfa Diallo, Almany Kanouté), sont venus apporter des éléments de réponse, comme des historiens, chercheurs (Pascal Blanchard, François Durpaire, Marie-Josée Jolivet, Yvan Jablonka, Michel Giraud). Chacun est venu montrer comment tous les enfants de la colonisation, de la décolonisation, de l’esclavage et de l’immigration sont venus chacun apporter une pierre à la grande mosaïque du récit national français. « Trop longtemps, cette histoire a été placée dans les banlieues de la connaissance, a indiqué le spécialiste de l’Algérie, Benjamin Stora, avant qu’on ne parle de la guerre des mémoires… Mais depuis 15 ans, la mémoire coloniale est devenue un enjeu politique et culturel porté par les jeunes issus de l’immigration post-coloniale. » Face à la découverte de cette nouvelle chronologie qui s’étale du 16e au 21e siècle, de ses acteurs qu’ils soient Frantz Fanon, Léopold Senghor, Ferrat Abbas ou Mohamed V, de nouveaux lieux ont été inventés pour investir cette mémoire nouvelle, surtout depuis la loi Taubira, tel le mémorial de Nantes inauguré en mars dernier. « Il faut faire valoir, connaître, reconnaître ces mémoires blessées, fracturées, fractionnées, communautarisées, a poursuivi M. Stora, au risque de dérive, de replis mémoriels. » C’est ainsi qu’il a recommandé avant toute autre chose d’organiser la réflexion autour de l’école, de la formation des maîtres et des professeurs sur la colonisation française. « Avant d’aborder la question de la reconnaissance de cette histoire douloureuse, il faut la connaître. » Ainsi l’audio-visuel n’a pas pris à bras le corps cette question, si ce n’est de manière ghettoïsée. Ainsi, sans attendre que les manuels scolaires intègrent cette histoire, il faudrait sortir des ouvrages spécifiques… « L’anti-repentance, poursuit Benjamin Stora, n’est qu’un écran idéologique, car la question est celle de la connaissance de la brutalisation de la société. Alors viendra la question de la vérité, de la justice et donc de la réconciliation entre nous tous. » Alors que le colloque tirait à sa fin, la nouvelle est tombée comme à l’unisson des conclusions de Benjamin Stora, François Hollande faisait savoir qu’il participerait à la journée nationale de commémoration de l’abolition de la traite et de l’esclavage.
FXG (agence de presse GHM)