Mère Térésa sur France 2
La charité mal ordonnée de mère Térésa sur France 2
Le 2 juin en deuxième partie de soirée, France 2 diffuse un documentaire de Carine Lefèbvre-Quennell, Mère Térésa, la folie de Dieu.
Les écrits intimes de mère Térésa, publiés récemment, projettent une nouvelle lumière sur son œuvre parmi « les plus pauvres d’entre les plus pauvres » : Tout est pour Dieu mais sans dieu, puisque la religieuse se dit abandonnée de Lui, plongée dans « les ténèbres de la foi ». A l’aide de ces lettres troublantes, et en allant à la rencontre des gens impliqués sur le terrain, sœurs, missionnaires mais aussi volontaires, médecins, pères jésuites, ce film explore comment une vision religieuse s’incarne et se confronte au réel. En Inde, au Pérou, à Londres, la réalisatrice enquête sur l’action des sœurs de mère Térésa sur le terrain et quelle aide elles apportent aux malades, mourants, SDF et orphelins. Ni hommage, ni critique, le film relate comment, avant de servir les pauvres, les sœurs de la charité entendent d’abord servir Dieu selon les préceptes de leur supérieure. Le résultat est parfois effrayant. Interview de la réalisatrice, Carine Lefèbvre-Quennell.
Comment vous ont accueillis les sœurs de la charité ?
A Londres, la sœur qui gère cette mission était d’accord pour qu’on filme et a même accepté de parler alors qu’elle n’avait pas le droit. A la maison mère de Calcutta, c’est très verrouillé par rapport aux médias. J’ai du signer un papier qui me donnait le droit de ne pratiquement rien faire. C’est étrange dans la mesure où les ONG reçoivent de l’argent de tout le monde, on pourrait penser qu’on puisse regarder leur travail. Alors, elles ne disent pas non mais avec une autorisation de filmer d’une demi-heure, cela nous condamne à rester à la surface des choses. C’est pour ça que je suis allée vers les volontaires et ceux qui pouvaient parler. Les sœurs n’ont pas le droit de parler et je pense que c’est du au fait qu’il y a eu énormément de critiques virulentes et qu’elles sont désormais très méfiantes.
Votre film est dur sur l’action de mère Térésa…
Ce n’était pas mon objectif d’être à charge puisque j’ai rencontré des gens qui étaient totalement dans l’adhésion mais aussi et plus que je ne pensais, des gens qui critiquent beaucoup cette manière de faire la charité. Entre les deux, j’ai voulu me faire ma propre idée.
Vous semblez arriver au constat d’une charité qui ne tient pas compte de la réalité sanitaire, médicale, humaine. Pourquoi ?
J’ai découvert à quel point, c’était tout pour Dieu, comme mère Térésa l’a voulu, et ça pose question par rapport à l’évolution du monde et de celle de la manière dont on intervient auprès des pauvres. Car ça a beaucoup changé depuis la disparition de mère Térésa avec les ONG, mais les sœurs de la charité sont restées vraiment là-dedans. C’est à la fois une force et puis aussi une limite.
Avez-vous l’impression qu’elles sont dans la charité mais pas dans l’aide humanitaire ?
En obéissant à leurs propres règles qui relèvent de la volonté de Dieu, elles peuvent se déconnecter des hommes. Mère Térésa faisait tout pour Dieu mais elle disait qu’elle ne le sentait plus et c’est quelque chose d’assez troublant que sa « foi aveugle ». Ce qui m’a frappé avant tout, c’est sa grande radicalité qui rejoint la position de l’Eglise souvent, comme les positions du pape contre l’avortement ou la contraception. Ca pose question quand on intervient en Inde notamment où ces questions sont très prégnantes.
Le film débute au mouroir de Calcutta. Le nom choisi pour ce lieu est lourd de sens…
Oui, il s’appelle en anglais the home for the dying, la maison des mourants, c’est un mouroir. L’idée de mère Térésa était de faire un lieu où les gens viennent mourir en paix et c’est là que c’est ambigu parce qu’en même temps on leur apporte des soins mais ces soins relèvent davantage du système D…
Et en dehors de toutes précautions d’hygiène élémentaire…
C’est son idée d’éviter aux gens de mourir dans la rue et c’est une bonne chose mais à partir du moment où moment où on les soigne sans vraiment le faire, que ce soit fait par des volontaires qui n’ont aucune idée de ce qu’ils font, tout ça interroge… Un volontaire raconte l’histoire d’un garçon tuberculeux promis à rejoindre Dieu. On ne lui donnait pas de médicaments parce que de toute façon il allait mourir et on gardait les médicaments pour d’autres… Même ce volontaire très croyant a du mal à se faire à ce choix.
Avez-vous conscience qu’en traitant ainsi de l’œuvre de mère Térésa qui est sur la voie de la canonisation, vous allez choquer beaucoup de monde ?
L’idée n’est pas de choquer nécessairement mais que les gens aillent un peu plus loin dans leur réflexion : Comment est-ce qu’on aide ? Que faire ? C’est une question qu’on se pose tous quand on voit les gens dans la rue… Je trouve intéressant que les gens soient renvoyés à cette question. Oui, mère Térésa est une championne, mais quand on regarde de près, c’est un peu plus compliqué.
Pourquoi vous intéressez-vous à l’action des sœurs de la charitéen Angleterre ?
On a une idée de leur action en Inde, mais elles sont aussi présentes dans les pays riches. Ce n’est pas la même pauvreté, pas la même problématique. En Angleterre, la volonté des missionnaires prend le pas sur les besoins ; elles vont à Soho donner des médailles aux homosexuels. Leur façon d’aider à Londres, c’est notamment ça. Tiens, me suis-je dit, elles ne vont pas dans l’East end où sont les plus pauvres…
Vous montrez aussi une séquence où on impose aux SDF la prière avant la distribution du repas…
Elles le font avec le meilleur sentiment du monde et elles apportent Dieu avant tout, avant la soupe. C’est étrange de voir, alors qu’il fait très froid, ces gens en train d’attendre et à qui on retire le gobelet des mains pour qu’ils prient d’abord… C’est une manière d’imposer quelque chose.
C’est ce qu’on voit au début du film quand l’on apporte Dieu avant les soins…
Oui, car sans Dieu, la vie n’a pas de sens. C’est à la fois une grande force parce qu’elles ont une dévotion sans borne par rapport à d’autres ONG qui vont être moins opérationnelles, et dont les volontaires ne vont pas se lever à 4 heures du matin… Mais ça présente un certain nombre de limites. J’ai rencontré une volontaire qui dit avoir vécu la mort d’une femme en disant : « C’est le plus beau cadeau que j’ai reçu. » Pour moi, c’était très troublant.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)