Mike Ibrahim
Mike Ibrahim a pris La Route du Nord
Mike Ibrahim, l’enfant de Case-Pilote et Fort-de-France, a parcouru du chemin depuis ses études de lettres à Schoelcher, il a pris la route du Nord… Ainsi s’appelle son nouvel opus sorti chez Universal, le 5 octobre dernier. Compositeur dès l’adolescence, ce n’est qu’après huit ans dans le marketing qu’il se lance dans la musique, « pour aller au bout de ses rêves ». Il prend sa guitare et ses textes et sort l’album Nina Woz. On le découvre sur la scène du Bataclan en 2006, en première partie de Rockane, puis deux ans plus tard, à l’Olympia, c’est une métamorphose musicale. Il chante en première partie de Laure Milan… On découvre ce que va être le Mike Ibrahim de La Route du Nord. Un an plus tard, les murs du métro parisien sont fleuris d’affiche du second album de Mike Ibrahim, on l’entend sur les radios et télé nationales. Partout dans Paris, sa tête en grand, au bout des escalators, au détour des couloirs ! Ses chansons sont à texte, « comme en faisaient Bob Dylan et Bob Marley », plaisante-t-il. Elles ont un contenu social, voire politique. Il fait raisonner avec beaucoup d’ironie la formule du candidat Sarkozy sur la France qui se lève tôt… Avec Le Voyage, il chante le parcours d’un migrant qu’il suivrait des rives de l’Afrique aux bas-fonds de Paris comme s’il portait une caméra à l’épaule… Avant de revoir Mike Ibrahim aux Antilles, si on ne l’y a pas oublié, il accompagne en décembre Thomas Dutronc dont il assure les premières parties de concert.
FXG, agence de presse GHM
La Route du Nord, Universal music
En concert à La Boule Noire, le 3 décembre à 19 heures
Interview
"Changer en échangeant"
Comment avez-vous été repéré par Universal ?
Mike Ibrahim : J’ai obtenu un rendez-vous avec un directeur artistique de chez Universal qui a tout de suite craqué sur les quelques chansons que j’avais maquettées. Mais parallèlement à ça, j’avais rencontré d’autres directeurs artistiques et il commençait à y avoir un petit buzz autour de moi. Quand il m’a reçu, il avait déjà entendu parler de moi…
Comment êtes-vous passé de l’album très antillais Nina Woz à cette Route du Nord, complètement chanson française ?
L’expérience de Nina Woz a été pour moi hyper formatrice. J’ai fait le tour des salles parisiennes, j’ai voyagé en Afrique avec mes musiciens. Après ça, je me suis posé la question de savoir où je voulais emmener mon projet artistique. Nina Woz est arrivé un peu comme un accident puisqu’au départ c’est un album que j’avais écrit pour un groupe qui m’avait demandé des titres et qui n’existe plus. Je me suis retrouvé avec ces titres sur les bras et du coup, j’ai terminé le disque avec des chansons supplémentaires. C’est comme ça que Nina Woz est arrivé. Mais initialement, ce que j’aime écrire, c’est des chansons avec des textes en français. Ce que j’ai fait avec La Route du Nord, c’est de continuer avec ce que je faisais avant de faire Nina Woz.
Vous revendiquez la chanson à texte ?
J’ai toujours aimé les chansons à texte, les « songs’ writers », les gens comme Bob Dylan et Bob Marley qui ont composé des titres avec leur guitare et qui portent un regard sur la société. Je trouve que c’est quelque chose qui manque beaucoup dans la chanson antillaise, des textes un peu critiques, des chansons à texte. Dans le dancehall, il y a des chansons un peu critiques sur la société, mais si on va dans le zouk ou la nouvelle vague caribéenne, on remarque que ça a commencé avec Soft, mais ça manque beaucoup. J’ai toujours apprécié d’entendre des textes forts dans des chansons et ne pas uniquement se cantonner dans des chansons d’amour.
Sur quels thèmes chantez-vous ?
Il y a des chansons sur les relations amoureuses, avec un regard sur les choses toujours un peu décalé, et des chansons qui parlent de la société, où l’on peut se sentir concerné avec des prises de position…
Et de l’ironie aussi, notamment dans la chanson La France qui se lève tôt…
La France qui se lève tôt n’est pas faite uniquement de bons Français bon teint, mais c’est aussi et beaucoup des gens d’origine immigrée, qui vont travailler sur les chantiers, qui vont garder des enfants à l’autre bout de Paris, les gens qui vont nettoyer les bureaux… Je trouve que c’est absurde de mettre dos à dos les gens. D’un côté, les bons Français, un discours agressif sur l’immigration, et les immigrés. Alors que eux aussi font partie de la France qui se lève tôt. Je voulais surtout faire une chanson sociale, un peu comme Paris s’éveille de Jacques Dutronc, sans vouloir me comparer… Mais il y avait un peu de cette idée-là de décrire les gens dans le train le matin… J’ai connu cette vie. Pendant huit ans, j’ai travaillé dans une société. Je me levais comme tout le monde le matin pour aller bosser en banlieue. Je sais ce que c’est que le RER le matin… Je voulais en faire une chanson sociale et une chanson politique.
C’est quoi cette Route du Nord, c’est le parcours de Mike Ibrahim ou c’est plus figuratif ?
C’est d’abord une des chansons de l’album. Ca parle d’un couple en voiture ; il est en train d’exploser, l’homme et la femme ne se parlent plus que par geste. Elle met sa main sur la sienne, il la repousse car cela l’empêche de passer les vitesses ; elle change de station radio pour lui envoyer des messages. Et ils roulent, vers le Nord, les brumes. Arrivés à la mer, c’est une sorte de frontière finale de leur histoire d’amour. Je me suis rendu compte ensuite, que la Route du Nord répondait au thème de l’album avec l’immigration dans Le Voyage. Des gens partent du sud pour le Nord et arrivent dans un paradis qui n’existe pas. Et puis, c’est vrai, c’est aussi une façon de parler de mon évolution artistique. Plus généralement, on peut dire que c’est ma recherche d’un Nord magnétique, d'une étoile du Nord.
Faut-il sortir du style antillais pour réussir ?
Il faut faire ce qu’on a envie de faire. S’il y avait des recettes pour percer, je pense que tout le monde ferait la même chose… J’ai fait Nina Woz parce que j’avais envie de le faire. J’ai voulu rendre hommage à la culture antillaise qui est celle dans laquelle j’ai grandi que je trouve belle et qu’elle est aussi un symbole de tout ce qui se passe dans le monde, des processus de métissage, de créolisation. Le fait de ne plus écrire en créole ne veut pas dire pour autant que ma musique n’est pas imprégnée de créolité. Il ne faut pas voir le fait que j’écrive en français comme un renoncement. Personne ne reproche à Césaire d’avoir écrit en français. S’il les avait écrit en créole, ses vers ne seraient pas ces vers et personne ne le connaîtrait. Pareil pour Glissant, Chamoiseau ou Confiant ! Le débat n’est pas là. Il est : qui es-tu ? Qu’as-tu à apprendre de ta culture ? Comment tu échanges avec les autres sur cette culture, cette diversité ? L’idée, c’est de changer en échangeant.
Comment classeriez-vous votre album ?
C’est un disque où l’on reconnaîtra ma couleur Antilles, mais il est bien dans la tradition de la chanson française. Des gens m’ont dit que ça leur faisait penser à Souchon ou Ben Harper ! Je trouve que c’est flatteur… Mais ce qui me nourrit dans mes chansons, c’est davantage le cinéma, la littérature, la photographie… Après j’ai une sorte de boîte à outil d’un vocabulaire musical dont je dispose, mais ça n’est pas vraiment conscient.
Que se passe-t-il après la sortie de cet album ?
Un concert à la Boule noire, à Paris, puis je pars en tournée avec Thomas Dutronc dont j’assure la première partie. C’est bien de pouvoir montrer ce qu’on fait ! Il n’y a pas beaucoup de Noirs dans la chanson française si ce n’est Voulzy, mais dans la jeune génération, il y a un stéréotype qui voudrait que quand tu es noir et jeune, tu fais forcément du R’n’B, du Zouk… Moi ça m’amuse aussi d’aller à l’encontre de ces clichés et je trouve que c’est intéressant de prendre les choses à contrepied.
Propos recueillis par FXG