Mimi Barthelemy au theatre d'Ivry
Interview
Mimi Barthélémy a publié en 2010 chez Kanjil un livre intitulé Dis-moi des chansons d’Haïti. « Ce sont des chansons de l’enfance avec des peintures de peintres haïtiens, des peintures du merveilleux », en dit-elle. A partir de cet ouvrage, elle a conçu avec la troupe des Grandes personnes, un spectacle musical intitulé Kouté chanté où on la retrouve en compagnie du comédien manipulateur Yacouba Sawadogo.
Au théâtre d’Ivry, du 6 au 23 décembre.
« Haïti a continuellement un pied dans le tragique, un pied dans le merveilleux »
Est-ce Haïti dans les yeux de l’enfant que vous étiez que vous avez voulu mettre en scène dans ce spectacle ?
C’est Haïti de mon enfance… J’ai grandi à Port-au-Prince, au centre-ville… La maison n’existe plus depuis le tremblement de terre ; elle se trouvait dans la rue du Centre près du boulevard Jean-Jacques Dessalines. J’y suis resté jusqu'à l’age de 7 ans. Après ça, nous sommes montés à Petionville, rue Metellus, au-dessus de la place Boyer. La aussi, la maison a disparu… J’allais à l’école chez les bonnes sœurs de saint Joseph de Cluny. En 1949, c’est le président Estimé Magloire qui était au pouvoir, au moment où il y a la grande exposition internationale pour les 200 ans de Port-au-Prince. C’était magnifique, Haïti était un pays merveilleux. Port-au-Prince devait avoir 90 000 habitants quand il y en a 2 millions aujourd’hui.
Vous vouliez déjà être comédienne ?
Depuis toute petite ! Je vivais dans cette nature, dans le mystère d’une ville où le tambour ne cessait de résonner de la nuit, dans le mystère du vaudou, le carnaval… Cette vie ! Pour moi, c’était une vie idyllique. Quand je vais a Cayenne, ça me rappelle un peu Port-au-Prince de mon enfance. Quand j’ai eu mon bac, à 16 ans, je suis partie aux Etats-Unis et je suis arrivée en France, j’avais 17 ans.
Vous n’y etes jamais retournée pour y vivre ?
Au moment de la chute de Duvalier, j’y suis restée neuf mois. J’ai très vite perdu les images de mon enfance parce que la ville a explosé. Duvalier a fait quelque chose de terrible, il a fait venir tous les paysans des campagnes pour voter pour lui et il ne leur a pas donné l’argent du retour. C’est là que commencent les bidonvilles… J’ai perdu pratiquement toutes les images, sauf à la campagne. On avait une maison au-dessus de Jacmel… Ce qui m’enchante continuellement, c’est l’énergie de ce peuple, toujours à remonter le courant.
La troupe des Grandes personnes, qui vous a apporté les masques, a elle-même participé au carnaval de Jacmel…
Ils ont eu, comme par hasard, au moment où je les avais choisis, cette proposition d’aller a Jacmel. Ça tombait parfaitement bien !
Est-ce que les « chansons Haïti » de votre livre vous ont aidées à retrouver ces images pour ce spectacle ?
J’ai un imaginaire. Tous les souvenirs de mon enfance sont bien présents en moi et même si je ne retrouve pas ça dans le pays actuellement, comme je n’ai pas de nostalgie, je ne m’occupe pas du réel. J’ai parlé du séisme, on a évoqué la corruption et la misère, mais ce n’est pas l’objet du spectacle.
Quel est le propos du spectacle ?
C’est de montrer à quel point le carnaval est ce qu’il y a de plus authentique dans la culture haïtienne, à part les écrivains, à part la peinture, à part la musique, à part la poésie ! C’est une grand-mère qui grâce à un pécheur qui la rejetait au départ, revient. Le pécheur qui la croyait canadienne finit par l’accepter. Et c’est vrai qu’Haïti est construit par ceux de l’extérieur et ceux du dedans. Ce pécheur va être son initiateur pour qu’elle se replonge dans ce monde de couleurs et de musiques. Comme dans le conte, c’est ce qui permet de transcender la misère dans un sens. Ce qu’on montre dans ce spectacle, c’est qu’Haïti a continuellement un pied dans le tragique, un pied dans le merveilleux. Le conte a cette faculté de montrer qu’on dépasse le quotidien pour rêver un monde meilleur.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)