Noirs de France sur France 5
Noirs de France sur France 5
L’historien Pascal Blanchard et le réalisateur Juan Gélas se sont intéressés, dans la série documentaire (3x52’) Noirs de France, aux Africains, Malgaches, Réunionnais, Martiniquais, Guadeloupéens, Guyanais, Comoriens, Haïtiens, Kanaks, mais aussi Parisiens, Marseillais, Lillois qui sont Français et Noirs. Il y a des noirs en France ; comment sont-ils arrivés, pourquoi sont-ils restés, comment se sont-ils adaptés, comment ont-ils été perçus ? Pour les auteurs, ils sont « les héritiers de siècle de lutte pour obtenir la liberté, l’égalité et la fraternité. » La série mêle des documents d’archive et des témoignages pour restituer ce que les Français ont encore parfois du mal à appeler un « passé commun ».
A partir de dimanche 5 février, dans la Case du siècle, présentée par Fabrice Almeida, à 22 heures.
ITW Pascal Légitimus
Le comédien d’origine antillaise fait partie de la trentaine de personnes qui témoignent dans le film de Juan Gélas et Pascal Blanchard, Noirs de France.
« Il y a un manque d’amour »
Pourquoi avoir voulu témoigner dans ce film ?
J’ai accepté de témoigner parce que ma famille a pas mal œuvré pour aider d’un point de vue associatif les Antillais qui débarquaient en France. Mon grand-père, Etienne Légitimus, le mari de Darling, ma grand-mère comédienne, a créé, lorsqu’il est arrivé, une association qui permettait aux Antillais de s’exprimer culturellement, artistiquement, socialement. Il leur trouvait des crèches, du travail, des places dans les lycées ou les collèges. Il avait créé un gros mouvement associatif qui s’appelait La Solidarité antillaise. Mon père a ensuite continué l’œuvre en tant qu’acteur entre les années 1960 et 1990. Il a fait partie de cette première troupe d’acteurs noirs qui s’appelait les Griots. Ils défendaient les œuvres des auteurs africains ou afro-américains. Issu de cette famille, je me devais de témoigner de ce passif. Et puis, j’ai été comédien à mon tour, alors forcément j’ai fait partie de ce paysage culturel et audiovisuel… Donc, j’avais des choses à raconter, des témoignages à restituer.
Avec l’histoire de votre famille, vous participez aux trois épisodes du film qui séquencent « le temps des pionniers (1889-1940) », « le temps des migrations (1940-1974) » et « le temps des passions (1975 à nos jours) »…
Pratiquement. D’un point de vue artistique aussi bien que politique parce que mon arrière grand-père, Hégésippe Légitimus a été un des premiers députés noirs. Il y a une lignée Légitimus qui a continué à être médiatisé.
Y a-t-il quelque chose de commun à ces quatre générations de Légitimus par rapport au fait d’être Noirs de France ?
Le point commun est qu’on passe notre temps à rétablir la normalité, à savoir qu’on essaie de faire exister légitimement, c’est le cas de le dire, les personnes de couleurs alors qu’on ne devrait pas le faire. Donc s’il y a eu un agissement comme ça depuis un certain temps, c’est qu’il y avait une carence, une sous-évaluation et il m’a fallu tout le temps essayer de réharmoniser, de mettre en avant les talents des DOM-TOM, ceux qu’on appelle les Ultramarins. On a toujours été infériorisés pour des raisons culturelles, d’éducation mais aussi de connerie, faut le dire ! La famille Légitimus a toujours été une espèce de Robin des bois qui essayait d’aider les gens mal perçus.
Et entre les divers témoignages de cette série, ceux de Manu Dibango, d’Harlem Désir, de Christiane Taubira, de Lilian Thuram ou le vôtre, y a-t-il là aussi des traits communs ?
Oui bien sûr, parce que c’est le même combat, la même bataille…
Y a-t-il une persistance dans la perception du Noir dans la société française ?
L’homme est toujours un loup pour l’homme. Il n’y a qu’à voir comment ça se passe dans le monde entier… Il n’y a pas que chez nous ! Ce n’est pas un racisme qui est du à la peur tout simplement et il n’y a pas que les Noirs de France qui en sont victimes ; il y a aussi les handicapés, les aveugles, toutes les personnes qu’on considère inférieures, différentes. De notre côté, c’est la couleur de la peau parce que c’est visible… Mais comment peut-on penser que l’extérieur est plus fort que l’intérieur ?…
Le propos de ce film ne rejoint-il pas justement le thème du spectacle que vous jouez en ce moment*, Alone man show ?
Bien sûr c’est ce que m’a dit Lilian Thuram quand il l’a vu, par rapport à son parcours, mais aussi par rapport à l’exposition du musée du quai Branly, l’Exhibition du sauvage. Ce que je raconte dans mon spectacle, ce n’est que le regard des autres car c’est l’autre qui m’a fait sentir ma différence. Je suis né à Paris, mon père est né à Paris donc je me sens beaucoup plus Français que certains mais forcément j’ai reçu des brimades qui me faisaient sentir que j’étais quelqu’un qui n’était pas forcément Français. J’ai du me bagarrer beaucoup plus que les autres, travailler beaucoup plus pour être quelqu’un de normal.
C’est pourquoi vous avez jugé nécessaire de faire votre « coming black » dans ce spectacle…
Je restitue un parcours de mon histoire, je fais un constat. Je ne suis pas dans l’animosité mais je veux que les personnes puissent savoir comment ça s’est passé. Je me considère, à mon niveau, comme un prof d’histoire.
Que voudriez-vous que les téléspectateurs retiennent de ce film sur l’histoire des Noirs de France ?
Qu’ils prennent conscience que la France n’a pas toujours été chaleureuse, ouverte par rapport aux trois mots qui sont sur les frontons des mairies, liberté, égalité, fraternité. Il faut aussi reconnaître ses erreurs et puis faire en sorte dans l’avenir de ne pas recommencer. Au final, tout ça a existé parce qu’il y a un manque d’amour. S’il y avait eu plus d’amour, on n’aurait peut-être pas eu cette discussion là !
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)
Les trois épisodes de la série Noirs de France seront diffusés sur France 5, les 5, 12 et 19 février à 22 heures
*Le spectacle de Pascal Légitimus, Alone man show sera en tournée en France à partir du 2 février. Il sera le 13 avril à Marseille, le 14 avril à Sanary, le 25 mai à Aix en Provence et le 26 mai à Nice
Un livre indispensable
Ils sont noirs, d’Afrique, des Antilles, de Nouvelle-Calédonie, d’Amérique du Sud. Ils ont fait et font la France. Un beau livre intitulé « La France noire » raconte leur histoire. L’auteur, Pascal Blanchard, avec la contribution de philosophes, historiens, politologues, spécialistes de la littérature antillaise, parmi lesquels se trouvent Romuald Fonkoa et Françoise Vergès, retrace en 360 pages trois siècles de présence.
Le livre à forte dimension esthétique et graphique raconte en image, en texte et en citations leur histoire, notre histoire, une partie de l’histoire de France trop rarement mise en lumière.
Elle commence aux alentours de 1685, à l’heure du code noir, passe par les deux décennies qui achevèrent la conquête coloniale (1890-1910) et les guerres de 14-18 et 39-45. Qui se souvient des quatre mille Noirs évadés d’Allemagne, des Frontstalags français ou rapatriés sanitaires, qui se sont engagés dans la Résistance ? Citons Blaise Diagne en 1915 qui disait que « quand une maison brûle, tous les habitants ont le devoir d’éteindre l’incendie (…). La maison c’est la France qui comprend le pays des noirs et le pays des Blancs ». Rappelons-nous de cette phrase du générale de Gaulle à l’attention de Jacques Foccart, en novembre 1968, dont on aurait préféré qu’elle fut prononcée un autre : «Cela suffit comme cela avec vos Nègres…Il y a des Nègres à l’Elysée tous les jours. Vous me les faites recevoir. Vous me les faites inviter à déjeuner…Mais cela fait très mauvais effet à l’extérieur.»
Un chapitre est également consacré aux années 1957-1974, période de l’immigration afro-antillaise et du Bumidom, à la France Black Blanc Beur à son apogée en 1998 et au pays métissé d’aujourd’hui où la discrimination n’a pas disparu.
Editions La découverte