Patrick Karam et la magistrature
Patrick Karam, délégué interministériel à l’égalité des chances des Français d’outre-mer, a été reçu par le garde des sceaux, mercredi matin. Les deux hommes devaient s’entretenir de l’accès et de la promotion des Ultramarins dans la magistrature, objet d’un rapport du délégué interministériel. Interview
« 73 magistrats issus de l’outre-mer sur un corps de 7900 »
Pourquoi avoir voulu sensibiliser le garde des sceaux Michel Mercier à la question des Ultramarins dans la magistrature ?
Le constat est qu’il y a un très faible nombre d’Ultramarins dans la magistrature alors même qu’il y a un véritable vivier de juristes en outre-mer. Il n’y a que 73 magistrats issus de l’outre-mer sur un corps de 7900 personnes, soit moins de 1 % alors que les ultramarins représentent 3,5 à 4 % de la population française. Ca veut dire qu’il y a un déficit. Un autre chiffre est marquant : le nombre de magistrats issus des DOM qui exercent dans leur région d’origine est de moins de 7 %, et pour les Collectivités d’outre-mer, moins de 3 %, selon les statistiques de la direction des services judiciaires. Pour les magistrats qui exercent dans l’Hexagone, ce ratio s’élève à 21 % pour les métropolitains. Ca veut dire qu’un métropolitain peut faire sa carrière dans sa région d’origine sans jamais déménager loin, car il suffit de se faire muter dans une circonscription judiciaire voisine pour prendre un grade. C’est une des raisons de la faible présence des Ultramarins dans la magistrature car s’ils n’acceptent pas de quitter leur territoire, ils ne peuvent plus faire carrière. Ils ont le choix entre leur famille ou leur carrière.
Que préconisez-vous ?
Avec les états généraux de l’Outre-mer, j’ai changé la donne. Les mesures qui ont été prises pour l’administration peuvent être dupliquées sur cette question là, puisqu’il y a des mesures pour l’administration à condition que le ministre de l’Outre-mer veuille bien les faire appliquer. Ce qui ne me semble pas encore le cas bien que ces mesures existent et qu’elles s’imposeront naturellement.
Mais peut-être que la profession n’attire pas…
73 magistrats dont deux seulement sont présidents de juridiction ! Quand on voit ce chiffre, on ne peut que se dire qu’on est traité différemment…
Ou peut-être qu’on craint une certaine proximité…
On prête peut-être de mauvaises intentions aux magistrats en poste chez eux. Or, on se rend compte que les sanctions de l’inspection générale des affaires judiciaires touchent, en outre-mer, plutôt des magistrats métropolitains. Car quand ces magistrats arrivent dans une région d’outre-mer, il arrive à certains d’entre eux d’oublier les principes de la République. Ce ne sont que quelques cas, mais ça arrive alors que ça n’arrive pratiquement jamais avec des magistrats ultramarins. Et puis, cette situation pose un problème aux justiciables qui peuvent avoir l’impression d’une justice coloniale. Une justice où ce sont des Blancs qui jugent, et des Noirs ou des gens du cru qui sont jugés. Ca n’est pas possible ! Comme on doit avoir une fonction publique, y compris dans la hiérarchie supérieure, à l’image de la population, on doit avoir une magistrature à l’image. J’ai dit ça au ministre et je dois dire que j’ai été complètement rassuré.
Qu’avez-vous proposé au garde des Sceaux…
Cette mission a été voulue par Michèle Alliot-Marie quand elle était place Vendôme et qui s’était émue de constater cette situation. A sa demande, j’ai réuni des magistrats ultramarins et on a travaillé ensemble pour proposer des mesures. D’abord Michel Mercier m’a dit qu’il allait recevoir ces magistrats, assurer un suivi (quel que soit mon sort !), deuxièmement, il n’est pas défavorable à assurer le suivi de ces mesures, troisièmement, il est convaincu et a la volonté de multiplier le nombre de ces 73 magistrats grâce à une dizaine de propositions que nous lui avons soumis. Mais il ne s’agit pas que de multiplier ce nombre, mais d’améliorer l’avancement et la carrière de ces magistrats.
Concrètement…
Il n’est pas défavorable à une classe préparatoire égalité des chances en outre-mer. Il y en a trois dans l’Hexagone, pourquoi pas une autre chez nous. Par ailleurs, puisque la quasi moitié des magistrats viennent de l’Ecole nationale de la magistrature (ENM), pour les recrutements externes (avocats, administration…), il faut quand il s’agit d’instruire les dossiers que les ultramarins bénéficient d’une égalité de traitement avec les métropolitains. Il n’est pas non plus défavorable à ce que les magistrats ultramarins dans l’Hexagone puissent accueillir des jeunes gens qui viennent, pour leur servir de conseil… Comme il n’est pas défavorable à ce que des magistrats ultramarins en outre-mer se rapprochent de l’Education nationale, de l’université (comme l’a déjà prévu le directeur de l’ENM) pour présenter leur profession. Tout ça est lancé ou va l’être avec une véritable volonté du ministre de changer la donne.
En matière de nomination, c’est le Conseil supérieur de la magistrature qui décide…
Pour les magistrats du siège. Pour ceux du parquet, le CSM émet un avis et Michel Mercier s’est engagé à suivre son avis. Or, le CSM avait une jurisprudence qui était : « Outre-mer sur outre-mer ne vaut. » Il faut faire évoluer ce principe et prendre en compte les situations particulières. Les 17 mesures que j’ai proposées au ministre constituent un outil de travail pour ce chantier. Mais s’il y a un volontarisme, comme Nicolas Sarkozy l’a montré en nommant 4 préfets et dix sous-préfets ultramarins, il reste assis sur la compétence !
A propos de compétence, que pensez-vous de Claudy Siar pressenti pour vous succéder à la délégation ?
Pas de commentaire.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)