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Publié par fxg

Rasinovan, création électro-poétique contemporaineRasinovan.jpg

« Musiciens, poètes et paroleurs  présentent un spectacle où l’on déracine, on déflore, on explore des poèmes et des textes pour les repiquer dans un nouveau décor électro-acoustique. » Ces quelques lignes sont l’accroche que propose l’équipe de Veronique Hermann Sambin au spectateur venu découvrir cette création, samedi soir, au centre Barabara à la Goutte-d’or (Pariis 18), dans le cadre du festival Influences Caraïbes. Sur scène, Jean-Rémy Guédon (machines, saxophone), Patrick Nupert (machines, percussions), Yann Ravet (Guitares), Simone (auteur),  Jimmy Apourou (auteur), Hermann (Chant), et Aissatel Amet (à travers ses illustrations numériques).

Jimmy-Apourou-1.jpgLe vent se lève, un souffle, plutôt, des halètements, des percussions de métal et de peau créent une ambiance cinématographique. Un poète entre, Apourou. Sa voix sonne à la manière de celle de Serge Gainsbourg dans l’album Marylou… C’est sa diction, le choix des mots… On est de plainpied jeté dans la poésie… « Les saisons suspendues au fil du sablier… Un cheval sans fond hennit sur la crête d’un vieux coq de basse-cour… » Les mots sont surréels : « A transporter ce vif écrasé par la mort… » Derrière, une guitare sèche, une flûte traversière… Simone-et-Jean-Remi-Guedon.jpgDe part et d’autre du pawoleur guadeloupéen de Petit-Bourg, Simone la Martiniquaise et Hermann, la Guadeloupéenne du Moule. Elles se contentent pour l’heure de faire des chœurs, voix de femmes, voix qui caquètent en murmurant, comme le chant de la rue... On reconnaît des mots et on reconnaît soudain des mots, « aux doux temps de la liberté ». Apourou ne chante pas, mais dit. Hermann vient prendre le micro, accompagnée par le sax. C’est un texte américain de Paul Laurence Dunbar, puis Simone vient chanter Sympathy du même Dunbar. On assiste à l’émergence d’une sorte d’avant-garde créole même si la plupart des textes sont en français et en anglais. Et même quand les paroles sont en créole, ce n’est pas ce qui marque, on retient l’art, la qualité, un son, une couleur et des textes ! Simone entonne « la femme Bissap, la femme Zip zap ». Hermann-1.jpgCe texte fait écho à ceux d’Apourou et de Dunbar. Il y a entre ces trois auteurs une cohérence qu’Hermann (et son discret rôle de potomitan) et les musiciens ont su révéler. La scène se vide et des mots créoles se font entendre. Personne n’est là pour les chanter. Puis Simone revient et reprend le fil de ces paroles sans maître, cette voix sans corps. Le texte créole ne trahit pas la tonalité poétique entendue jusqu’alors… « A pa pawol a carte bancaire, sé pa on boulimi capitaliss »… C’est Menfin, un morceau de Simone, puis un autre « We were the mask ». « On m’a dit Barbie… J’ai répondu ebony. On m’a dit coiffeur, mais j’ai pas su quoi faire alors j’ai répondu identité… » Depuis le début, le public est resté concentré, attentif. A tel point qu’après le final de Rasinovan, à trois voix, les spectateurs n’ont pas pensé à demander un rappel tant il est saisi de cette impression que la pièce a pris fin naturellement sans qu’il soit besoin d’en rajouter. Les cinq artistes saluent, une fois, deux fois, trois fois, disparaissent. Sur un écran, derrière la scène, restent deux mots : « Mat hier ».Rasinovan-equipe.jpg

FXG (agence de presse GHM)


ITW Veronique Sambin dite Hermann, responsable artistique de Rasinovan

Hermann-portrait.jpg« On ne le revendique pas mais on est Créoles et ça se voit »

Rasinovan, c’est de la « culture hors sol » ?

Pas que ça… C’est vrai que ça peut choquer au premier abord. Mais je trouvais intéressant de déraciner une plante, de lui faire prendre un peu l’air et de la replanter ailleurs, histoire qu’elle se frotte un peu à ce qui se passe à l’extérieur. C’est ça Rasinovan, mais c’est surtout la rencontre de genres, de la poésie qu’on met en musique…

Il y a des intrants ! Comme Simone Lagrand. Qu’attendiez-vous d’elle ?

Simone se définit comme une pawoleuse ; il y a une énergie, quelque chose de très brut qui sort. Il n’y a pas de censure chez Simone. Elle est très à l ‘aise avec les mots, l’écriture. Jimmy Apourou au-delà de la forme, c’est pareil. Il sort d’ailleurs son premier livre de poésie (éditions Vent d’ailleurs). Pour compléter, j’ai choisi un auteur, Paul Laurence Dunbar, un des plus grands poètes noirs nord-américains de la fin du XIXe siècle, qui a lancé la black poetry. Je l’ai choisi, notamment un de ses textes, parce que c’est du patois américain, celui qu’on peut entendre à la Jamaïque, à Trinidad, avec ce fort accent, ces mots complètement déformés et qui parle de la liberté de manière magnifique.

Et Hermann, vous êtes celle qui, outre votre prestation vocale, met en cohérence ces personnages, ces talents…

J’ai composé trois morceaux pour mettre en musique les textes de Paul Laurence Dunbar. Les autres ont travaillé par binôme. Simone a travaillé avec Jean-Rémi Guédon (machine, saxophone, flûte) et Patrick Nupert (machine, percussions) a travaillé avec Jimmy. Mon idée était de les laisser pour qu’ils échangent, pour qu’ils conversent, que la musique converse avec la poésie. Des concepts où l’on pose de la musique sur de la poésie, ça n’a rien de nouveau mais j’ai cherché à ce qu’il y ait une certaine musicalité et ça, c’est très compliqué. C’est difficile de rester sobre et en même temps d’amener de l’énergie sur scène…

Je n’ai pas voulu faire trop de mise en scène. L’idée, c’est de servir la poésie. Elle nous sert beaucoup en tant que musicien, mais il fallait lui laisser la place nécessaire.

Césaire, Glissant sont morts et vous montrez une poésie vivante, neuve, actuelle mais enracinée…

J’ai travaillé sur les poèmes de Paul Laurence Dunbar parce qu’il ne faut pas se priver d’aller puiser dans ce qui est passé mais il ne faut pas oublier que la poésie se passe aussi maintenant. Elle est actuelle et ça serait dommage d’attendre toujours que les choses se passent pour revenir en arrière. Il faut prendre ce qui existe, c’est pour ça que Simone et Jimmy étaient sur scène. Le présent, c’est le passé et le futur !

C’est de la poésie, mais aussi de la chanson…

Dans la poésie, il y a aussi une prosodie, un rythme naturel. Après l’interprète y ajoute sa part. Alors, c’est vrai que la poésie ne remplit pas les salles et la musique permet d’amener la poésie vers un public qui ne serait pas forcément prêt à écouter une lecture de textes simplement.

Le spectacle ne donne pas l’impression d’un simple concert, mais d’un spectacle à part entière, à la manière d’un album concept…

Je n’aime pas trop l’idée de concept, mais en tout cas, on essaie de créer une histoire. Ce n’est pas qu’un spectacle musical et c’est vrai que la question d’un rappel à la fin n’est pas nécessaire pour moi.

Vous êtes tous trois des Créoles, mais ce n’est pas ce que vous mettez en avant, même s’il y a des textes en créole et du ka. Est-ce une façon d’affirmer son être sans forcer le trait ?

Patrick Nupert était là avec le ka pour ça, et c’était important qu’il soit là. Mais, c’est vrai qu’il y a une dose d’électro avec des machines, de l’harmonie avec la guitare de Yann Ravet, de la mélodie avec le saxo… On ne revendique pas, mais on est Créole et ça se voit sur scène. Tout ce qu’on sort, c’est créole donc on ne le dit pas forcément. C’est comme si je suis très amoureuse ; il suffit de regarder dans mes yeux pour le voir. Je ne suis pas obligée de le dire ! Je suis plus sur ce crédo là. C’est important qu’il y ait des gens qui disent leur créolité et qu’ils le revendiquent. Il faut qu’il y ait des gens qui crient, des gens qui regardent, des gens qui écrivent…

Ce spectacle, créé pour le festival Influences Caraïbes, est-il amené à tourner ?

Ce serait dommage de se limiter à une seule représentation ! C’est un spectacle qui peut passer partout, dans toutes les salles, dans tous les pays et j’ai envie de ça ! On va d’ailleurs faire une sortie numérique du spectacle sur itunes, deezer… et puis vendre le spectacle.

Propos recueillis par FXG


Simone Lagrand, auteur, pawoleuse

Simone-Lagrand-portrait.jpg« Je parle de toutes mes sœurs et cousines, et de moi d’ailleurs aussi »

Comment vous êtes-vous intégrée dans ce trinôme que vous formez sur scène avec Jimmy Apourou et Hermann ?

Chacun a un flow différent, une couleur différente et on a réussi à mettre les unes avec les autres sans chercher à s’effacer l’un ou l’autre. En résumé, on s’entend bien !

Et quand vous n’êtes pas avec eux, comment vous exprimez-vous ?

Je viens de faire une création avec la compagnie Le Rêve de la soie, « L ‘autre bord », avec un chorégraphe, une danseuse, un musicien et un vidéaste. On va le jouer à Marseille en décembre au festival Mangrove. En Martinique où je vis, j’anime des ateliers d’écriture, et je suis aussi animatrice de soirées poétiques, de scènes ouvertes. Ca s’appelle Pawol la ka fèt, qu’on délocalise d’ailleurs de la Martinique à Paris pour le festival Influences Caraïbes

Vous semblez interpeller dans un de vos textes, Mayotte Capécia, cette femme martiniquaise que Franz Fanon a moquée pour son désir de se blanchir…

Non… Je parle de toutes mes sœurs et cousines, et de moi d’ailleurs aussi qui, à l’âge de 15 ans, me suis défrisée les cheveux pour entrer dans le moule aussi !

Vous avez composé expressément pour Rasinovan ?

Hermann a choisi des textes de ma composition qu’elle a trouvés intéressants de mettre en lumière pour Rasinovan. Je n’ai créé pour ce spectacle que le texte final ; d’ailleurs on l’a écrit tous ensemble…

Pourriez-vous nous en dire les premiers mots ?

Si ou bitin, si ou bagay, si ou choz

Gadé bien, kouté bien si ou noz

Fé sa ou lé, jan ou lé san fé poz

Stop cozé, désapyié, rasin ou sé an koz…

Propos recueillis par FXG


Jimmy Apourou

Jimmy-Apourou-portrait.jpg« Quand la raison butte, il reste la poésie »

On vous connaît plasticien… C’est nouveau de vous voir sur une scène balancer un flow, un flot de parole…

Patrick Nupert a composé une musique qu’il m’a fait parvenir et j’ai conversé avec sa musique, c’est-à-dire que j’ai écrit des mots directement liés à cette conversation. Ensuite, on a réalisé le chemin inverse. J’ai composé un texte, je lui ai envoyé et il a composé une musique en conversation avec ce texte. Donc, ce fut musique et parole essentiellement liées, c’est-à-dire qu’il n’y pas eu d’association brutale.

Que racontez-vous ?

Des thèmes qui me sont familiers : je ne fais qu’explorer l’angoisse, l’aboi de l’homme lâché dans l’existant et sommé d’assumer son destin. Naturellement, ça s’exprime par tous les compartiments possibles : le corps, l’âme, le cœur, le sexe, le son, le cri, la gorge…

La poésie est-elle le bon moyen pour sublimer la souffrance d’être homme ?

Il ne s’agit pas de souffrance ; je ne fais pas une poésie de la souffrance… Je lisais un ouvrage très savant récemment qui définissait les poètes comme l’avant-garde de l’espèce. Naturellement, il ne s’agit pas d’une supériorité ni d’intelligence ou de corps, mais d’une capacité de vision qui nous rappelle ces antiques Grecs voleurs de feu qui ont été amenés aux dépens de leurs ailes, au dépens de leur insolence, à donner un peu la lumière au reste des humains. Donc, il y a cette vocation d’avant-garde de la poésie d’exprimer les choses. Et ce qu’il y a d’intéressant dans la poésie, c’est qu’elle contient toutes les disciplines artistiques. On y trouve de la peinture, de la sculpture, de la musique, de la danse… Toutes les disciplines artistiques sont réunies au sein de la poésie, ce qui fait de la poésie, à mon sens, l’art majeur par excellence. Cherchez bien, vous ne trouverez pas un philosophe qui n’a pas un poète à côté de lui. Heidegger a Hölderlin à ses côtés ! Quand la raison butte, qu’elle ne peut aller plus loin, il reste la véritable métaphysique, l’art et l’art c’est la poésie.

Propos recueillis par FXGYann-Ravet-et-Hermann.jpg

 

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J
<br /> Dommage que de tels créations ne trouvent que peu de plkace dans les médias de la communauté<br />
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E
<br /> EXCELLENT FXG...!!! J'y étais et la synthèse ici faite de ce noyau nouveau/innovant est d'une justesse absolue*<br />
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