Rivyè wouj, chez Cap Béar éditions
Interview Luc Lamin, auteur de La Rivyè-wouj, Cap Béar éditions
Luc Lamin est un fonctionnaire de police employé au service d’information générale du ministère de l’Intérieur, place Beauvau. Il a quitté la Martinique en 1979, a travaillé à Washington et Berne, et vient de sortir un ouvrage sur le quartier de son enfance, le morne des Olives à Saint-Joseph, sous le titre Rivyè-wouj. Une évocation de la Martinique de son enfance, dans les années 1950-1960.
« J’ai voulu replonger les gens dans leurs propres souvenirs »
Pourquoi ce titre ?
Rivyè-wouj n’est pas du tout le nom du quartier. La Rivière rouge, en fin de compte, c’est un nom qu’on donnait au quartier pour le dénigrer en disant que c’était un quartier très violent. En fait, d’après la légende, les gens se bagarraient tellement dans ce quartier que, à chaque fois qu’il y avait un blessé, on le transportait à la rivière, ce qui fait que la rivière coulait rouge en permanence…
Et c’est là que vous avez vécu votre enfance…
J’y suis né et j’y ai grandi avec cette grand-mère que j’appelle Maman Doudou. J’ai quitté pour la première fois ce quartier, je devais avoir 12 ans…
Comment est née l’envie de raconter cette enfance à la Rivière rouge ?
J’ai voulu replonger les gens dans leurs propres souvenirs, mais également participer au devoir de mémoire. En plus de cela, j’ai voulu redynamiser le contact intergénérationnel parce qu’on se rend compte actuellement que ça se perd. On n’a plus ce dialogue qu’on avait entre adultes et enfants. Ce n’est pas de la littérature traditionnelle. J’essaie de faire en sorte que le lecteur soit lui-même narrateur, de sorte que, en permanence, l’ouvrage lui pose des questions sur ses parents, son enfance…
Votre ouvrage se présente comme une chronique, mais elle relève presque de l’ethnologie…
J’ai eu conscience de cela d’autant plus que ce sont des histoires vécues. Non seulement, ce sont des histoires réelles mais que beaucoup de gens ont eux-mêmes vécues, au-delà du quartier. Tout le monde, même des lecteurs de la métropole peuvent s’y retrouver également… Les traditions étaient différentes et c’est pourquoi je prends le temps de bien souligner les faits pour bien faire percevoir la discipline que les gens s’étaient eux-mêmes instaurés à l’époque pour faire triompher les valeurs humaines et fructifier les relations entre individus.
N’y a-t-il pas un peu de nostalgie, une manière de dire que c’était mieux avant ?
Il y a toujours un de nostalgie pour les histoires qu’on a vécues. Mais que l’on soit d’une famille pauvre ou non, le bonheur n’avait pas de différence. Etant petit, je m’étais adapté à cet environnement et je me sentais très bien même avec les difficultés du moment. C’est en cela qu’il y a peut-être un peu de nostalgie, mais je ne regrette pas du tout…
Et puis vous êtes témoin de cette modernité qui, peu à peu, arrive à la Rivière rouge…
Au départ, il y avait un manque de moyens incroyable ! Pas d’électricité, pas d’eau, pas de routes… A la fin de mon livre, s’il y a des routes, ce n’est pas grâce à l’Etat mais grâce aux gens du quartier parce que si l’électricité n’était pas encore arrivée, les voitures, oui.
Vous intitulez un chapitre, « Nature libertine ». Pourquoi ?
En Martinique, dans les années 1950, il y avait beaucoup d’enfants illégitimes. C’était même une culture. Les hommes se vantaient d’être le père de tel ou tel enfant qui passait. Pour eux, c’était une forme de valeur d’être pères d’une quantité d’enfants. C’est pourquoi j’ai voulu souligner cela dans ce chapitre. Je souligne aussi que les relations amoureuses étaient considérées comme des interdits. Avoir une relation publique, c’était que le mariage était quasiment assuré. Autrement, c’était interdit ! Les pères surveillaient énormément leur fille. C’est pourquoi tout se faisait en cachette.
La mémoire de l’esclavage est aussi présente…
L’esclavage a laissé énormément de séquelles mais il doit servir l’être humain pour progresser. C’est notre histoire mais l’histoire n’a pas l’obligation d’être présente matin, midi et soir. Ca doit être comme un starting block, un moyen de se caler pour se propulser. A l’époque où je parle de ce quartier, il y avait encore deux conceptions, celle des Noirs qui revendiquaient et celle du béké qui donnait une forme de supériorité. A mon avis, ça se faisait un peu inconsciemment et c’est resté dans notre culture de revendication. Il faudrait dépasser cela et passer à la culture d’affirmation.
Il y a aussi le point de vue politique, l’indépendance, l’autonomie, Césaire, de Gaulle, la France…
Les gens étaient très éloignés de tout ça. Ils ne faisaient pas la différence entre indépendance et autonomie. Seuls les hommes politiques les plus aguerris utilisaient ces termes. En plus les gens étaient plus préoccupés par leur situation sociale que par la politique. La presse n’était pas répandue comme actuellement. 30 % de la population avait une radio qui diffusait des informations venant uniquement de la métropole. On ne parlait pas du tout de la Martinique ou de la Guadeloupe.
Comme vos frères, vous avez quitté la Rivière rouge avec le BUMIDOM. Qu’avez-vous ressenti au moment du départ ?
On na toujours un pincement au cœur lorsque l’on quitte le lieu où l’on est né. C’est le lieu où toute ma vie repose. Quand j’ai besoin de me ressourcer, c’est à la Rivière rouge que je retourne. Et c’est pourquoi je dis en fin d’ouvrage que c’est un lieu paradisiaque.
Vous y retournerez ?
On y pense. Mes enfants sont nés à Paris et je n’ai pas envie de m’éloigner d’eux. J’ai aussi l’obligation de rester proche d’eux. Mais même si je ne retourne pas définitivement à la retraite, je ferai six mois là, six mois ici.
Vos enfants ont-ils lu le livre ?
Ils l’ont lu et ont découvert ce qu’ils ne savaient pas malgré les récits. Ca leur a permis de poser des questions, si bien qu’ils ont demandé à ce qu’on réunisse la famille pour en discuter ! Partout où j’ai présenté le livre, ca a viré en débat. C’est l’objectif de ce livre que de relancer le dialogue entre les générations.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)