Ruddy Jean-Jacques, maître-fondeur
Ruddy Jean-Jacques, créateur du trophée de la 10e Route du rhum
Né il y a 48 ans à l'hôpital général de Pointe-à-Pitre, Ruddy Jean-Jacques est le seul entrepreneur fondeur d'art antillais. On lui doit la création des trophées afro-caribéens, du Crosgua, des Flamboyants du sport et aujourd'hui du trophée de la Route du rhum.
Les cinq trophées que remettra la Région aux vainqueurs de chaque chaque classe de la Route du Rhum sont l'oeuvre du fondeur d'art guadeloupéen, Ruddy Jean-Jacques. "J'étais en vacances au Panama en janvier dernier et j'ai commencé à réfléchir à l'idée d'un trophée, raconte-t-il alors qu'il travaille à la réalisation des pièces dans son atelier de Pantin (93). Je voulais figurer un Ultime dans la tourmente de Saint-Malo à Pointe-à-Pitre." Il a dessiné des vagues à la fois déferlantes et protectrices qui enveloppent un voilier. "Je savais que la Région voulait faire quelque chose..." Comme Ruddy habite le XIXe arrondissement de Paris, il a profité de la présence de Victorin Lurel dans son quartier lors de la campagne des municipales pour lui parler de son projet. Une première expérience heureuse aboutit avec les trophées des "Flamboyants du sport", puis il adresse un dossier avec son petit croquis de l'Ultime dans les vagues. La production des dix pièces a démarré le mercredi suivant le départ de la Route du rhum. Le trophée est un moulage en étain surmonté d'un mât et de deux voiles en laiton poli sur lesquelles est fondu le logo de la Région. Chaque trophée pèse 6,3 kilos. "J'aime le contact avec la matière. Je ne suis pas un artiste, mais un professionnel avec une sensibilité artistique. C'est ma valeur ajoutée !"
Formation et transmission
Ruddy travaille seul dans son atelier, mais il accueille régulièrement des apprentis. Actuellement, c'est Jean-Patrick Charles son élève. C'est un jeune Haïtien qui vient de l’une des dernières écoles de fonderie en en région parisienne, à Nogent sur Oise. "Il est venu me démarcher et je l'ai pris..." Ruddy a monté son entreprise "Art de fondre" il y a 20 ans et depuis, quelque 150 jeunes sont venus se former chez lui. "Ma précédente apprentie a été dernièrement primée nationalement !" Aujourd'hui, après trente ans de métier, Ruddy a envie de transmettre son métier. Il s'implique avec la chambre de métiers et d'artisanat de la Seine Saint-Denis. Il veut proposer des formations et de l'accompagnement pour les jeunes des Antilles. Il était présent lors des dernières Journées Outre-mer développement dans l'Hexagone et est un acteur essentiel du networking ultramarin. Il a fondé le groupement des entrepreneurs des départements français d'Outre-Mer (GEDFOM) en 2008 et participe au réseau Outre-mer Network de Daniel Hierso. Il apporte régulièrement son soutien et son expérience à tous ceux qui, parmi ses compatriotes ultramarins, veulent créer leur entreprise. "Il existe des entreprises ultramarines dans l'Hexagone et en Outre-mer, mais il n'y a aucune transversalité. Il faut mettre ça en oeuvre !" Il est prêt à achever sa carrière en se consacrant à la formation et à la transmission. Son objectif est d'arriver à mettre sur pied un pôle artisanal des métiers d'art au pays, comme la zone où se trouve son entreprise à Pantin. "Il y a du boulot dans ce secteur, plus de boulot que de main d'oeuvre !"
FXG, à Paris
Il a dit
"Je suis de la génération Mitterrand, mais j'ai toujours été gaulliste et chiraquien ! J'ai toujours ressenti le décalage entre la fonction publique qu'on me faisait miroiter et l'esprit d'entreprise qui me faisait rêver... Je suis un entrepreneur libéral qui place l'humain au centre de tout !"
Genèse d'une entreprise
Il n'y a qu'une centaine de fondeurs d'art en France, pas plus d'une vingtaine en région parisienne et Ruddy Jean-Jacques est le seul Antillais chef d'entreprise dans ce domaine. Pour en arriver là, Ruddy a commencé par ne pas être un bon élève ! "Je crayonnais..." A la fin de la classe de 3ème, alors qu'il se destine à apprendre un métier artistique et manuel, il visite une fonderie dans un lycée professionnel. "Le prof a dessiné vite fait une pièce de moteur de voiture, puis il nous a montré le moule..." Ruddy a trouvé sa voie et s'inscrit à l'école de fonderie. C'est la première année qu'un BEP est ouvert. Il le décroche, poursuit avec un bac technique, et enchaîne les stages dans de grandes entreprises (armement, automobile) où il se familiarise avec la conception assistée par ordinateur. Il s’inscrit ensuite en IUT afin de poursuivre son cursus scolaire. Une des sociétés où il a été stagiaire, Alcara, lui propose un job. Cette société fabrique des objets des cadeaux d'entreprise, des tours Eiffel, des bustes de Napoléon... "J'y suis entré à 18 ans comme opérateur." Au bout de six mois, il passe chef d'équipe et, lorsque le chef d'atelier part à la retraite, c'est à lui qu'on propose le poste. A 21 ans, il a sous sa responsabilité une vingtaine d'employés. Il reste pendant 9 ans chez Alcara où il gagne ses galons de directeur technique. Mais Ruddy sait depuis son apprentissage qu'il aura son entreprise à lui et en a déjà décidé le nom. Un de ses copains de promo avec qui il devait s'associer lui fait faux bond au dernier moment; il convainc son petit frère, Rodrigue, apprenti comptable, de le remplacer au pied levé. Art de fondre était née ! En 2013, son chiffre d'affaires était de 750 000 € et cette année, il vise le label "entreprise du patrimoine vivant".
Grands comptes, artistes et outre-mer
Sa clientèle est très large, mais d'abord composée des "grands comptes". Ce sont GDF, les musées nationaux, Thalès, la direction des chantiers navals, ATR, Dior, Crédit agricole, Rollex, la police nationale, la ligue nationale de volley, les conserves Connétable... Son maître-mot : "rigueur et professionnalisme." Il a décroché GDF en 1999 à la suite d'un appel d'offres : "On était cinq en lice pour un trophée d'initiative. J'étais le seul à présenter une maquette en plus de mon dossier..." Il travaille aussi avec des artistes qui viennent lui demander d'éditer leurs sculptures. Il n'oubliera jamais la leçon que le sculpteur César lui a donnée lorsqu'il travaillait encore chez Alcara !
L'Outre-mer n'a jamais été sa première clientèle, mais en démontrant qu'il savait faire du beau et du bien fait dans nos régions où les fonderies n'existent pas, il a décroché des entreprises comme Bologne, Air Caraïbes ou l'UGPBan en anticipant leurs besoins. C'est lui qui a dessiné l'insigne et la broche des hôtesses de la compagnie aérienne, lui qui a proposé aux bananiers de disposer d'un cadeau VIP pour leurs démarches de lobbying à Bruxelles ! On lui doit les trophées du Crosgua, celui du syndicat de la coiffure de la Martinique, celui des bouchers de la Guadeloupe, le trophée William-Gallas, celui des arts afro-caribéens et, dernièrement, celui des entreprises afro-créoles. C'est aussi lui qui a fourni à Christian Lara les couronnes du sacre du couple impérial pour son film "Le mystère Joséphine". Mais la palette de Ruddy Jean-Jacques ne se limite pas à cela puisqu'il lui arrive de couler de l'argent pour la bijouterie et il imagine régulièrement des produits autour de la canne à sucre, du rhum ou du gwoka (luminaires, coupe-papier, couverts, sous-verres, bougeoirs...). Son deuxième maître-mot, c'est "jamais cheap !"
Un histoire de pin's
Si Ruddy Jean-Jacques a commencé par dessiner des boucles de ceintures pour des créateurs italiens, sa grande idée, celle qui lui a donné les fonds pour créer Art de fondre, ce sont les pin's représentant la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, la Réunion et l'Afrique. "En 1991, le défilé du carnaval se faisait alors sur l'esplanade de Vincennes. J'avais fabriqué 500 pin's de la Guadeloupe et de la Martinique. On a commencé à les vendre 20 francs pièces, puis on est vite passé à 40 ! En trois heures, on avait tout vendu." Ruddy a eu aussi dès le début, un comportement d'entrepreneur en déposant tous ses modèles à l'INPI. Un de ses clients indélicats en a fait un jour l'amère expérience !
Aujourd'hui que les pin's ne sont plus à la mode, il a ressorti sa collection sous la forme de "bijoux pays".
Aimé Césaire et la Marianne noire
En 2013, à l'occasion du centenaire de la naissance d'Aimé Césaire, Ruddy Jean-Jacques a voulu rendre hommage au père de la négritude. "J'ai proposé un projet au Comité martiniquais du tourisme, mais je n'ai pas eu de retour... Pas grave !" Aidé par un ami sculpteur, il conçoit à partir de plusieurs photos du poète un moule et sort le buste. Faute d'acquéreur, il l'a laissé à l'entrée de son atelier. "En entrant, mes clients, même ceux qui ne sont pas antillais, le reconnaissent. Cette pièce unique est quasiment devenue mon enseigne !" Dans le même esprit, il a créé en 1998 la première médaille commémorative du cent-cinquantenaire de l'abolition de l'esclavage avec une Marianne noire. Le label de Ralph Thamar, Wagram, en avait commandé 300 pour le lancement d’un CD réalisé pour l’occasion. C’est lors d’une prestation de l’artiste à l’Assemblée nationale qu’il invite Ruddy Jean-Jacques à présenter sa médaille. "Quand on a su ça, on a en fait une en plaqué or pour le président de l'Assemblée nationale. C'était alors Laurent Fabius. Au dernier moment, il a demandé à ce que ce soit moi, l'artiste, qui la lui remette..."
Avec Jean-Pierre Riga, son communicant, et Aimé Césaire, à l'entrée de l'atelier de fonderie à Pantin.