Rue Saint-Denis d'Alain Foix au théâtre
Rue Saint-Denis, un Œdipe créole
Marylin (Aïssatou Thiam), prostituée guadeloupéenne dans la rue Saint Denis à Paris, est prise de vertige et s’effondre sur le trottoir. Joseph (Mike Fédée), étudiant guadeloupéen qui passait par là, la ramasse et l’emporte avec l’aide d’une vieille prostituée, Josette (Cathy Bodet), dans sa chambre d’hôtel, et reprend son chemin vers la Sorbonne. L’affaire fait grand bruit dans le petit monde de la rue Saint-Denis. Oreste Moulineaux (Jean-Claude Drouot), un vieux concierge qui passe son temps à sa fenêtre, secrètement amoureux de Marilyn, est pris d’une vive inquiétude. Le conteur Moto (Modeste Npazassara) qui connaît toute l’histoire et tous les éléments de cette tragédie, la relate selon la tradition créole. La vieille dame à sa fenêtre (la marionnette d’Ombline de Benque figure Jenny Alpha) ne s’intéresse qu’aux pigeons qu’elle alimente de miettes de pain. Cette tragédie se clôt par la découverte d’un amour incestueux provoqué malgré lui par Oreste qui, par amour pour Marylin, se fait entremetteur et la précipite dans les bras du jeune Joseph qui n’est autre que son fils.
FXG (agence de presse GHM)
Création à l’Artchipel à Basse-Terre du 3 au 5 février.
A Paris, du 24 mars au 17 avril au théâtre de l’Epée de bois.Mike Fédée dans le rôle de Joseph, alias Théo Amado et Aissatou Thiam, dans le rôle de Marylin.
Interview Alain Foix
« Nos tragédies peuvent recouper les tragédies grecques »
Comment vous est venue l’envie de transposer Œdipe roi dans la rue Saint-Denis ?
Cette idée de pièce m’est venue quand j’habitais rue Saint-Denis à Paris. Je voyais des prostituées antillaises et je me demandais d’où elles venaient, quelle était leur histoire, leur vie… J’en ai interrogé quelques unes. Elles me répondaient très volontiers, même si elles ne me disaient pas tout… Ces femmes seules, souvent, ont laissé un enfant et je me suis posé la question : qu’est-ce qu’il arriverait si cet enfant, ayant grandi, passait rue Saint-Denis ?
C’est là qu’apparaît la dimension de la tragédie grecque…
Il y a une tragédie qui se joue. Les tragédies grecques sont réelles, elles recoupent une réalité et nos tragédies à nous, Créoles, peuvent recouper aussi les tragédies grecques. Comme les faits divers à la radio… La radio a tendance à banaliser des choses qui, sur scène, prennent une autre ampleur. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à voir avec la tragédie d’Œdipe et que je pouvais l’adapter très librement à cette question là en faisant se rapprocher deux mondes qui sont notre propre expérience. Guyanais, Martiniquais ou Guadeloupéens, nous sommes tous en lien avec cette chose métropolitaine. Parce que nous avons de la famille ici ou là-bas, de chaque côté de l’océan… Et c’est une pièce qui se passe des deux côtés de l’océan.
La pièce se passe sur le pavé de la rue Saint-Denis et pourtant, on se retrouve aussi au carnaval de Morne-à-l’Eau…
C’est une volonté de montrer la complexité de l’individu. On peut être ici tout en pensant être là-bas, et là-bas tout en étant ici. Les deux héros, Œdipe et Jocaste, Marylin et Joseph, sont deux êtres poétiques, capables de passer d’un monde à l’autre. Alors que Josette, la prostituée parisienne est campée là, rue Saint-Denis, elle se moque bien « du dessus de sa tête », comme dit le conteur… Ce qui compte pour elle, c’est de sauver sa peau, ici et maintenant. Marylin et Joseph sont des Créoles qui passent d’un monde à l’autre sans cesse… On a tout le temps nos deux vies qui se croisent, qui s’interposent, s’interpénètrent… Ca c’est notre réalité et l’imaginaire est une partie de la réalité. C’est aussi pour ça que la créolité n’est pas tellement lointaine de la grécité d’une certaine manière. Il y a quelque chose d’antique chez nous, quelque chose de puissant, d’archétypal. Et l’archétype fonctionne à tous les moments, dans tous les siècles et dans beaucoup d’univers parce que ça touche à l’humain dans son unité.
Œdipe est ce héros tragique qui va coucher avec sa mère. Tout le monde connaît l’histoire et malgré cela, dans votre pièce, on se laisse surprendre…
C’est ça la tragédie. Le héros tragique est celui qui sait déjà son destin, qui fait tout pour y échapper. Tout l’art de la tragédie grecque est de montrer comment un individu tente d’échapper à son destin qui, de toute façon, est plus fort. C’est vraiment une question existentielle. Tout le suspense, toute la tension sont liés à la manière dont le héros va essayer de s’en sortir.
C’est votre première mise en scène ?
Ce n’est pas un texte évident à mettre en scène si on n’a pas tous les arrière-plans. Si j’avais confié ça à un Allemand, il n’aurait pas tout perçu. Alors je me suis dit qu’il valait mieux que ce soit moi.
Vous avez aussi fait appel à un compositeur…
Ca donne un spectacle particulier parce que c’est une pièce avec de grands monologues, avec une écriture très musicale et Patrick Marcland l’a traitée comme un livret d’opéra. On n’a pas voulu que la musique soit trop présente, mais c’est une pièce de théâtre avec son univers musical.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)
Photos : Régis Durand de Girard
Les comédiens
Jean-Claude Drouot est connu du grand public pour avoir inczarné dans sa jeunese Thierry La Fronde. Formé au Jeune Théâtre de l'Université libre de Bruxelles (ULB), il suit les cours Charles Dullin. Dès 1962, il interprète les tragédies classiques et les grandes oeuvres de Molière. De 1984 à 1986, il dirige le Centre dramatique national de Reims et, de 1985 à 1990, le Théâtre national de Belgique. Membre de la Comédie-Française de 1999 à 2001, il fit ses premiers pas au cinéma dans Les ruses du diable de Paul Vecchiali (1965). Il est également directeur artistique de la "Compagnie Jean-Claude Drouot" et metteur en scène de nombreuses pièces de théâtre notamment en co-production avec le "Théâtre régional des Pays de la Loire".
Cathy Bodet a fait une formation au Conservatoire National d'Art Dramatique de Paris - Classe Marcel Bluwal, Antoine Vitez et Conservatoire de Lyon. Elle a déjà une très grande carrière théâtrale à son acrif et, au cinéma, on a pu la voir dans LA VERITE OU PRESQUE - réal : Sam KARMANN ;DIEU QUE LES FEMMES SONT AMOUREUSES - réal : Magali CLEMENT ; LES FAUSSES TRANSPARENCES - réal : Pierre-Jean MAINTIGNEUX ; TIR GROUPE - réal : Jean-Claude MISSEAN
Aissatou Thiam est née à Dakar (Sénégal), d’une mère martiniquaise et d’un père sénégalais ; Aïssatou Thiam a grandi à Marseille. Après des débuts dans le «mannequinat» qui lui ont donné l’opportunité de travailler avec des couturiers tels qu’Yves Saint Laurent, Thierry Mugler, Paco Rabanne, Dior, Givenchy, entre autres, elle commence parallèlement sa carrière de comédienne au théâtre, au cinéma et à la télévision.
Formée à l'Atelier International de Blanche Salant & Paul Weaver, à Paris, méthode «Actor’s Studio». Elle a suivi des cours privés avec Isabelle Sadoyan (théâtre classique) et Jean-Louis Jacopin (théâtre contemporain) à Paris et un stage d’expression théâtrale chez Herbert Bergoff studio, à New-York.
Au théâtre, elle a joué le «Récit des Naissances» de Rolland Fichet, mise en scène de Jean-Louis Jacopin au Festival “In” d’Avignon 2007. Une Virée d’Enfer! de Virgile Fouilou, création collective, en 2007. « La Négresse avec son Violon » de Nadine Bitner, mis en scène de Claude Leblond, en 2008. Au Cinéma et à la télévision, elle a joué au cinéma dans l’Irrésolu au côté de Barbara Schultz, Sandrine Kimberlain, Vincent Lindon, Mauvais Genre de Laurent Bénégui avec Monica Bellucci , Bimboland d’Ariel Zeitoun avec Gérard Depardieu & Dany Boon, Le Genre Humain! de Claude Lelouch et plus récemment dans Le Missionnaire!, produit par Luc Besson au côté de Jean-Marie Bigard. Elle a joué pour la télévision dans plusieurs «unitaires» et «séries» dont «Les Monos» ainsi que le fameux Tropiques amers, une série sur l’esclavage pour France Télévisions.
Modeste Nzapassara, né le 14 juin 1967 à Bangui (en Centrafrique) est comédien, metteur en scène français. Il est également auteur. Il a travaillé avec Joël Jouanneau, Michael Batz, Gérard Gelas, Richard Demarcy… Il est Directeur artistique de la compagnie POLYCHROME Théâtre, fondée en 2008. Il est monté pour la première fois sur les planches huit jours avant ses vingt ans en 1987 et a attrapé le « virus » du théâtre, délaissant le 9ème art qu’il a pratiqué comme dessinateur et scénariste de bande dessinée. Il a reçu le 1er Prix du Comédien Espoir en 1989, a intégré le Théâtre National de Centrafrique Ŕ et parallèlement jouait dans d’autres troupes Ŕ , s’est produit de 1989 à 1992 dans des sketches comiques avec la compagnie de théâtre populaire Les Conteurs de Tout dont les spectacles sont basés sur des canevas et de l’improvisation. Il a été remarquable dans le rôle-titre « Néron noir », en 1991, puis, a enchaîné alors des rôles principaux. Il a réalisé sa première mise en scène, à vingt-trois ans, avec un montage de textes de poésie (Des mots en cascades).
Mike Fédée est né à Schoelcher en Martinique, il est le fruit du métissage entre un père Sainte-Lucien et une mère Métropolitaine. D'abord danseur de la troupe Ka'Ma'Guy, il est formé au théâtre par Yoshvani MEDINA et intégre le Théâtre SI. Philippe ADRIEN l'engage pour le rôle d'Hippolyte dans PHEDRE de Racine qu'il joue au Théâtre sur la Scène Nationale de la Martinique, l'Atrium. Il vient ensuite à Paris, y intègre l'Ecole CLAUDE MATHIEU. Il joue ensuite le rôle d'IPHICRATE dans « L'Île aux Esclaves » de Marivaux (mise en scène : alexandra Royan), puis le rôle d'Edgar dans « Le Roi Lear » de Shakespeare (mise en scène : Daniel Royan), et le rôle de Léonard dans « Noces de Sang » de FG Lorca (mise en scène par Marie Recours). Il est donc un artiste qui considère qu'il ne peut être complet s'il ne possède pas plusieurs cordes à son arc. C'est pourquoi il est sur tous les fronts, saute sur toutes les occasions intéressantes.